Source: Sputnik
Un photographe indépendant a fui l'Irak après avoir collecté des preuves des exactions (tortures, viols) commises à Mossoul par des soldats d'élite de l'armée irakienne. Il a raconté à RT les exécutions dont il a été témoin.
Une vidéo choquante de 12 secondes, filmée avec un smartphone, a dévoilé le meurtre de sang froid d'un Irakien par des soldats de l'Emergency Response Division (ERD - Unité d'intervention rapide), une unité d'élite de l'armée irakienne. On y voit un homme, les bras attachés dans le dos, tenter d'échapper à ses bourreaux avant de se faire abattre. Cet assassinat aurait été filmé en décembre 2016 par les militaires de l'ERD eux-mêmes.
Les images de ce qui apparaît comme une exécution extrajudiciaire ont été révélées au monde par Ali Arkady. Entre octobre et décembre 2016, ce photographe irakien indépendant a collecté des preuves des brutalités commises par l'ERD à Mossoul. La deuxième ville d'Irak est le théâtre d'une longue et meurtrière bataille visant à reconquérir la cité, aux mains de l'Etat islamique depuis 2014.
Attention ces images peuvent heurter la sensibilité d'un public non averti.
Auteur: RT France
Interrogé par RT à propos de la vidéo, Ali Arkady a expliqué avoir pris connaissance de l'incident le 12 décembre 2016 lorsque deux membres de l'ERD - le capitaine Omar Nizar et le sergent Haider - sont revenus d'une de leurs missions et ont voulu partager les images de leur «exploit» avec le photographe et au moins deux autres journalistes.
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Les militaires de l'ERD avaient en effet poussé le vice jusqu'à enregistrer la scène de l'exécution sur un smartphone. «Ils ont commencé à montrer [les images], en disant : "Regardez comment nous avons tué cette personne. Il nous conduit dans un village. Nous voulions lui arracher des informations"», a raconté Ali Arkady.
«Le capitaine Omar Nazar et le sergent Haider sont revenus et nous ont montré une vidéo, dans laquelle le sergent Haider tire six à neuf fois sur un homme. Ensuite on peut entendre la voix du capitaine [Omar] Nazar dire : "Haider, stop ! C'est assez. Je veux lui parler." Et après il a lui-même tiré sur l'homme à trois reprises», a-t-il ajouté.
Selon le photographe, d'autres conversations entendues ce jour-là ont révélé que la victime avait été assassinée parce qu'elle aurait essayé de mener l'unité des forces spéciales dans une embuscade tendue par Daesh.
Poursuivant son récit, Ali Arakday a précisé : «[Les militaires de l'ERD] m'ont dit qu'ils s'étaient rendus à l'hôpital. Cette personne travaillait dans cet hôpital. Ils l'ont réduit en captivité, l'ont conduit dehors et lui ont dit: "Montre-nous où est Daesh. Tu dois savoir où sont [les djihadistes de] Daesh". L'individu aurait répondu que selon ses informations, les combattants de Daesh se trouvaient à proximité, dans le village de Bazwaya.»
En cours de route, les militaires ont cependant rencontré une vieille femme qui les a avertis que seuls «les snipers Daesh se trouvaient [dans le village].» Convaincus que le prisonnier voulait les livrer aux djihadistes, les officiers de l'ERD l'ont alors froidement exécuté. «Ils pensaient que cette personne [de l'hôpital] voulait les tromper. C'est pourquoi ils ont décidé de le tuer», a expliqué Ali Arkady.
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En côtoyant l'ERD, le photographe irakien a vu se transformer en monstres ceux qu'il considérait comme des héros. S'il a pu photographier certaines scènes d'exactions atroces, Ali Arkday a précisé qu'il avait reçu l'ordre de supprimer certains des passages les plus extrêmes.
Attention ces images peuvent heurter la sensibilité d'un public non averti.
Auteur: RT France
«Nous passions nos journées ensemble, nous dormions tous ensemble. Je passais plus de temps avec eux qu'avec ma propre famille. Je croyais que c'étaient des héros. Ils étaient si courageux, à aller se battre au front tous les jours. Mais j'ai ensuite découvert une autre facette : la torture, les viols, les meurtres. Au début, ils ne voulaient pas que je filme la torture et d'autres choses hideuses, mais finalement ils ont cédé et m'ont autorisé à le faire», a expliqué à RT le photographe.
Lorsqu'il a fui l'Irak et l'ERD, Ali Arakdy a emmené des preuves illustrant l'extrême brutalité des soldats de l'ERD. Des photographies montrent ainsi des soldats de l'ERD humilier et battre deux frères qui s'étaient évadés d'un quartier de Mossoul contrôlé par Daesh. «Questionnés» avant d'être tués, les deux Irakiens étaient pourtant en possession d'un document des forces spéciales irakiennes attestant qu'ils étaient bien des civils.
© Ali Arkady/VII/Redux
Deux frères torturés par des militaires de l'ERD
«Au début, je ne réalisais pas. Puis au cours de la deuxième semaine, je suis rentré chez moi et mes proches m'ont demandé quel était le problème. C'est là que tout a changé», a confié Ali Arakdy à RT avant de préciser : «Cela a commencé à m'affecter sur le plan psychologique. Je pensais tout le temps à la torture, à toutes ces personnes et à leurs souffrances. Cela devenait de pire en pire et au bout de cinq semaines, c'était devenu tellement insoutenable que j'ai décidé de tout rendre public.»
© Ali Arkady/VII/Redux
Scène de torture à Mossoul
Ali Arkady a également déclaré à RT que sa famille avait reçu plusieurs menaces de mort de la part de militaires de l'ERD après la publication de ses clichés et de ses témoignages, notamment dans les magazines Der Spiegel et Télérama. «Il y a deux mois, ma famille a reçu des menaces directes de la part de ces forces, précisément d'Omar Nizar sur Facebook. Il les a menacés, en disant qu'ils viendraient tous les tuer pendant la nuit», a déclaré Ali Arkady à RT, ajoutant : «Mais, bien sûr, toutes les menaces qu'ils ont adressées à ma famille étaient adressées à moi également.»
Ali Arakdy a précisé qu'il n'avait personnellement reçu aucune menace puisqu'il n'avait plus de contact avec ces personnes qu'il considérait autrefois comme des «héros». Les soldats de l'ERD étaient en effet censés être les protagonistes de son futur documentaire sur cette unité d'élite en guerre contre Daesh. «Cette histoire de tortures, de viols, de meurtres, [..]. a duré cinq semaines [..]. J'ai continué à travailler parce que je me suis dit qu'il fallait travailler aussi longtemps que possible pour collecter des [preuves] et documenter tout ce à quoi je pouvais assister, et ensuite inclure [ces éléments] dans le documentaire que je [réaliserai]», a souligné le photographe irakien.
Qui s'intéresse aujourd'hui aux exactions de l'ERD et au sort des civils de Mossoul ?
Au regard des exactions commises et des preuves mises en avant, RT a demandé leur avis à plusieurs groupes de défense des droits de l'homme, sans toutefois obtenir de réponse autre que le silence dans la plupart des cas.
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Human Rights Watch (HRW) a réitéré une déclaration antérieure selon laquelle «les Etats-Unis et d'autres membres de la coalition anti-Daesh risqu[ai]ent d'être complices des exactions [commises en] Irak au regard de leur participation à des opérations militaires aux côtés des forces de sécurité [irakiennes]».
Selon Belkis Wille, membre de HRW et experte des questions irakiennes, Human Rights Watch a déclaré vouloir interviewer les familles des victimes. «Les images et vidéos publiées par Ali Arkady après son intégration [au sein de l'ERD] montrent que l'unité qu'il suivait a exercé les formes les plus horribles de torture et d'exécutions sur six hommes accusés d'avoir des liens avec l'Etat islamique», a-t-elle rappelé.
«Les autorités devraient immédiatement et sans conditions lancer une enquête indépendante, approfondie et impartiale sur les violations passées, dans l'optique de publier les résultats et d'amener les responsables en justice conformément aux normes internationales», a également déclaré le Centre du Golfe pour les droits de l'homme dans un communiqué transmis à RT.
Du côté des militaires américains, l'heure est à la prise de distance... nuancée. Selon le Pentagone, l'ERD a été inscrite en 2015 sur une liste noire interdisant, en vertu de la loi Leahy, à Washington de fournir une assistance militaire à ceux qui violent les droits de l'homme. «Actuellement, les Etats-Unis ne forment pas et ne fournissent pas d'équipement à l'ERD», a précisé le Pentagone dans un communiqué transmis à RT, ajoutant toutefois que la loi Leahy n'empêchait pas les Etats-Unis de «travailler avec l'ERD».
Par ailleurs, le commandement de la coalition internationale menée par les Etats-Unis en Irak et en Syrie (CJTF) a déclaré à RT : «Les forces américaines n'ont jamais été informées de ces allégations avant que vous ne les portiez à notre attention.»
Après les révélations d'Ali Arkady et la demande d'ouverture d'une enquête par les Etats-Unis, le gouvernement irakien a accepté de lancer une investigation. Toutefois, certaines ONG ont d'ores et déjà réclamé l'ouverture d'une enquête internationale et impartiale pour que la lumière soit faite sur la situation à Mossoul.
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