Ahmed BENSAADA
Lovée dans une des innombrables vallées bucoliques de la chaîne des Monts Zagros, la ville de Paveh est située dans la province de Kermanshah. Cette région de l'extrême ouest de l'Iran, limitrophe de l'Irak, est majoritairement peuplée par des Kurdes sunnites, arborant fièrement le « chalouar » et la large ceinture en tissu. Sise à une trentaine de kilomètres de la frontière irano-irakienne, Paveh n'aurait pu garder que le charme champêtre de son paysage et celui de ses routes sinueuses qui bordent les vergers d'arbres fruitiers si ce n'était sa position géostratégique, les intentions belliqueuses des pays voisins et l'instrumentalisation des minorités ethniques de l'Iran.
Déjà, en 1979, Paveh a été l'épicentre de la rébellion kurde à la suite de la chute du Chah et de la proclamation de la République islamique d'Iran. C'est dans cette même région que, durant la guerre Iran-Irak, les opposants iraniens de l'Organisation des moudjahidines du peuple iranien (Mujaheddin-e-Khalq, MeK), mouvement militaire armé par les autorités irakiennes ont essayé d'envahir l'Iran en marchant vers Kermanshah. Ils furent écrasés par l'armée iranienne.
Le 7 juin dernier, Téhéran fut frappé par un double attentat terroriste sanglant qui fit 17 morts et des dizaines de blessés. Selon des sources officielles, quatre des cinq terroristes étaient Iraniens, d'origine kurde. Parmi eux, certains étaient originaires de Paveh, dont Serias Sadeghi, un individu connu des services de sécurité iranienne et considéré comme un notoire recruteur pour Daech dans le Kurdistan iranien. Certaines sources ont d'autre part mentionné que ces terroristes étaient impliqués par le passé dans des attaques contre des salons de beauté féminins dans la région de Paveh, jugés contraires à la moralité.
De passage en Norvège, le chef de la diplomatie iranienne, M. Javad Zarif, a accusé l'Arabie saoudite d'être derrière ces attentats et d'autres qui ont touché la frontière Est du pays, fin avril dernier. « Nous avons des renseignements montrant que l'Arabie saoudite est activement engagée dans la promotion de groupes terroristes opérant dans l'Est de l'Iran » a-t-il déclaré tout en ajoutant « Dans l'Ouest, des activités du même type sont menées, là aussi en abusant de l'hospitalité diplomatique de nos autres voisins ».
Il faut dire les Saoudiens, gonflés par l'indécent soutien du président Trump, ne se sont pas gênés de proférer des menaces à peine voilées contre l'Iran. En effet, quelques semaines avant l'attentat meurtrier, Mohammed Ben Salmane, le vice-prince héritier du royaume saoudien, fit la déclaration suivante : « Nous n'attendrons pas que la bataille soit menée en Arabie saoudite. Au contraire, nous ferons en sorte qu'ils aient à mener bataille en Iran ».
À peine quelques heures avant les attaques terroristes, le ministre saoudien des affaires étrangères, Adel Jubeir, avait de son côté déclaré que l'Iran devait être puni pour son ingérence dans la région et le soutien d'organisations terroristes.
Cette poussée de témérité tartarinesque des Al Saoud a, comme par hasard, éclos juste après la visite du président Trump qui leur a réservé rien de moins que son premier voyage à l'étranger, une première dans l'histoire des États-Unis.
Reçu royalement avec cavalerie, danse du sabre et grotesque collier en or, le président américain a traîné sa mèche rebelle dans les palais saoudiens, promené Mélanie et Ivanka cheveux dans le vent et, évidemment, signé des contrats astronomiques, dont 110 milliards de dollars en vente d'armes pour contrer les « menaces iraniennes » (sic !). Un moyen comme un autre pour estomper les visées de la loi « JASTA » (Justice against Sponsors of Terrorism Act), votée sous la présidence Obama et qui ciblait tout particulièrement le royaume wahhabite.
Trump ne retourna cependant vers sa tour manhattanienne qu'après avoir réuni le « monde musulman » sur, selon son expression, « cette terre sacrée où se trouvent les lieux saints de l'islam ». Oubliés ses propos islamophobes, son « muslim ban », sans parler de son projet de « fichier musulman ». Trump a profité de l'occasion pour réchauffer le concept « bushien » de « bataille entre le bien et le mal » et appelé les dirigeants musulmans à « combattre l'extrémisme islamiste ». Le président Trump et le roi Salman n'ont pas raté l'occasion pour pointer du doigt l'Iran, leur ennemi commun. Le premier l'a accusé de « soutenir le terrorisme » et le second l'a qualifié de « fer de lance du terrorisme mondial ». Ils ont juste oublié de préciser que leurs pays respectifs font partie du club des plus grands sponsors du terrorisme djihadiste mondial.
En ce qui concerne le monde musulman, il faut reconnaître une certaine continuité entre Trump et son prédécesseur, Obama. Ce dernier avait débuté son premier mandat en adressant au monde musulman son pompeux « discours du Caire ». Nous connaissons malheureusement le résultat de son sermon démagogique, le mal nommé « printemps arabe » étant là pour nous le rappeler quotidiennement. La seule différence, certainement pas anodine, réside dans le choix du lieu. Obama a choisi la terre de la Confrérie des Frères musulmans alors que Trump a préféré celle du Wahhabisme.
La politique étasunienne n'a décidément que des effets néfastes sur le monde arabe et ses institutions. L'action d'Obama a achevé ce qui restait de la « Ligue arabe », celle de Trump vient de provoquer une gigantesque lézarde dans les fondations du CGG (Conseil de coopération du Golfe).
En effet, la visite de Trump en « terre sainte de l'islam » a eu une autre conséquence. En plus de l'attaque en règle contre l'Iran, le royaume saoudien a unilatéralement coupé ses relations diplomatiques avec son voisin le Qatar, en raison de son « soutien au terrorisme ». Heureusement que le ridicule ne tue pas.
Pièce « shakespearienne » comme l'a qualifiée le journaliste britannique Robert Fisk ? Pantalonnade ou bouffonnerie royale, seraient des termes plus appropriés. Non pas parce que le Qatar ne soutient pas le terrorisme djihadiste (une réalité connue depuis des lustres et que viennent de découvrir les « fins limiers » saoudiens !), mais parce que l'Arabie saoudite et les États-Unis font pire !
La vraie raison est à chercher ailleurs : le rapprochement stratégique entre Doha et Téhéran qui défie les desiderata de l'administration Trump et ceux de ses affidés saoudiens. D'ailleurs, puisqu'on est si sûr que le Qatar fricote avec le terrorisme islamiste, pourquoi aucun des pays occidentaux - si sensibles à ce sujet ! - n'a sévi contre ce pays ?
Après le terrorisme scientifique qui a coûté la vie aux savants iraniens, le terrorisme informatique qui a ciblé leur programme nucléaire, une nouvelle saison d'attentats terroristes, injustes et déraisonnables, vient d'être ouverte sur le territoire iranien par les États-Unis et ses vassaux saoudiens.
L'instrumentalisation de la jeunesse (comme lors des élections présidentielles de 2009), l'exacerbation des tensions ethniques, l'exploitation de conflits religieux ou linguistiques seront les moyens de choix pour tenter de déstabiliser ce pays.
Pourtant, il aurait fallu déambuler sur l'avenue « Vali-e-Asr », à Téhéran, les soirées précédant la récente élection présidentielle pour voir cette foule dense et joyeuse, cette belle jeunesse iranienne, scandant des slogans et distribuant des tracts en faveur de leurs candidats, pour comprendre leur soif de paix et de bonheur.
Pourtant, il aurait suffi de sillonner les routes pittoresques de Paveh et de sa région, admirer ses merveilleux paysages vallonnés, s'émerveiller devant cette nature généreuse et féconde, contempler ces beaux villages qui apparaissent au gré d'un virage pour comprendre la fierté de ces homme vêtus de « chalouars » et de larges ceinture en tissu, et saisir leur attachement profond non seulement à leur terroir mais aussi à la quiétude d'une vie paisible et sereine.
Ahmed Bensaada
Cet article a été publié dans le numéro de juillet 2017 du mensuel Afrique Asie (pp. 34-35)
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