Par Comaguer
Contexte juridico-diplomatique
Depuis quelques années les recherches de gisements sous-marins de gaz naturel dans cette région se sont multipliées.La probabilité pour que ces recherches soient fructueuses est forte et l'Egypte avait même mis en exploitation un petit gisement au nord du delta du Nil qui est aujourd'hui épuisé.
Pour permettre à chacun des états riverains d'exploiter sa ZEE (zone économique exclusive) en mer il a fallu que des accords soient conclus entre états voisins dans le cadre des procédures de la Convention internationale sur le droit de la mer. Il est évident que vu le cout de ses recherches aucune entreprise spécialisée même les plus puissantes n'accepte de courir le risque de se mettre à forer et ensuite d'extraire du gaz dans une zone dont la jouissance par un état riverain souverain serait contestée.
Pour autant la situation n'est pas encore complètement clarifiée : la Turquie veut profiter de la ZEE de la République turque de Chypre qui n'a aucune reconnaissance internationale, la guerre empêche la Syrie de lancer une politique d'exploitation des fonds sous-marins au large de ses côtes, la non reconnaissance internationale de l'Etat Palestinien lui interdit de conduire au large de Gaza des recherches qui,si elles étaient fructueuses, lui assureraient l'indépendance énergétique et garantiraient son indépendance économique.
En conséquence seuls trois pays ont pu vraiment se lancer dans l'aventure : La République de Chypre forte de son appartenance à l'Union Européenne et surtout depuis que le parti communiste chypriote n'est plus au pouvoir, Israël et l'Egypte. La stabilisation gouvernementale au Liban devrait permettre rapidement à ce pays de se joindre au mouvement.
Etat actuel des recherches
Israël est le premier des états riverains à avoir découvert deux gisements exploitables : Tamar et Léviathan. La mise en exploitation est en cours et la production devrait commencer entre 2018 et 2019. Le gisement Léviathan est d'une telle taille qu'il va transformer Israël en exportateur. L'Europe de l'Ouest étant et devant rester un très gros importateur net de gaz naturel, ouvrir le marché ouest européen au gaz israélien était une façon très directe de réduire les importations de gaz russe. Cette diminution de la part de la Russie est un vieux projet de l'Union Européenne qui n'a pas abouti jusqu'à présent. Ainsi le projet NABUCCO de transport de gaz extrait en Azerbaïdjan et acheminé vers l'Europe de l'Ouest via la Turquie n'a pas abouti. D'autre part l'UE a réussi en exerçant une très forte pression sur le gouvernement bulgare à bloquer le projet Southstream de fournir de gaz russe par un gazoduc sous la Mer Noire aboutissant sur la côte bulgare.
La stratégie israélienne
Pour les européens sionistes l'arrivée d'Israël sur le marché était un véritable bonheur. Emmanuel Macron ministre de l'économie du gouvernement Valls ne pouvait que mettre tout le poids de la France en faveur des projets d'acheminement de gaz israélien vers l'Europe. Projets d'autant plus intéressants qu'un futur gazoduc partant des eaux israéliens devait passer par Chypre et permettre à ce pays de vendre aussi son gaz extrait de gisements dont la découverte dans les eaux chypriotes est, dans l'état d'avancement des forages en cours aujourd'hui, extrêmement probable. La Grèce qui entreprend aussi des recherches dans ses eaux territoriales peut envisager de se joindre au projet de gazoduc israélo-chypriote et les excellentes relations actuelles entre Tsipras et Netanyahou ne peuvent que faciliter l'opération.
Une nouvelle découverte vient troubler ce jeu israélo-français. En effet à la limite Nord de ses eaux territoriales l'Egypte vient de découvrir le gisement de Zohr qui promet d'être un des plus importants du monde et lui permettra de satisfaire ses besoins et de prendre place parmi les grands exportateurs mondiaux.
Cette évolution en cours dans la géo-économie du gaz naturel va évidemment avoir des répercussions sur les marchés actuels. Le premier pays impacté est le Qatar. Très puissant producteur l'émirat ne peut exporter son gaz que par navires sous forme de gaz liquéfié via Ormuz et Suez ce qui le défavorise pour la desserte du marché européen. Aussi caressait-il l'ambition dés avant 2011 de voir s'installer en Syrie un gouvernement proche de Frères Musulmans qu'il finance qui laisserait arriver via l'Irak un gazoduc qatari en Méditerranée. Le gouvernement syrien s'y est opposé et reste favorable au contraire à un projet de gazoduc iranien aboutissant lui aussi en Méditerranée. En misant sur le terrorisme islamique le Qatar a donc perdu son pari syrien.
Repositionnement du Qatar
Une nouvelle stratégie s'ouvre à lui sous deux formes.
En premier lieu le Qatar a passé un accord avec l'Iran. Celui-ci met en effet en exploitation sur l'autre rive du Golfe persique un gisement de très grande taille qui est le simple prolongement géologique du gisement qatari et il a proposé au Qatar de lui donner accès au gazoduc iranien en projet qui via l'Irak et la Syrie aboutira sur la côte méditerranéenne. Cet accord est en contradiction totale avec la fondation d'une alliance militaire des monarchies du golfe contre l'Iran annoncée récemment à Riad par le Président US, d'où la brutalité de la crise entre l'Arabie et le Qatar.
Crise qui divise totalement le monde arabe. En effet la rupture avec le Qatar n'est le fait que de l'Arabie, des Emirats arabes unis, du gouvernement du Yémen en exil et de l'Egypte laquelle ne s'embarque dans cette galère que pour répliquer au soutien du Qatar aux Frères Musulmans et au terrorisme islamiste en Egypte même. Le Koweït, Oman et même la Jordanie appellent au calme. Quant au Liban il s'est désolidarisé immédiatement du projet d'alliance militaire arabe anti-irakienne.
D'autre part le gouvernement chypriote a dans l'octroi de nouveaux permis de recherches gazières sous marines ouvert la porte aux investissements qataris.
L'émirat peut donc caresser l'espoir de vendre bientôt sa future part du gaz chypriote à l'Europe ce qui le transformera en acteur global et durable du marché gazier mondial au lieu d'être réduit à la seule vente du gaz extrait sur son propre sol.
Que va faire la France ?
Monsieur Macron qui en 2015 s'était fait le champion du gaz israélien sur le marché européen va devoir adapter la politique française à cette très large redistribution des cartes gazières dans la région et tenir compte aussi des intérêts iranien, syrien et qatari, c'est-à-dire tenter de sortir de toutes les impasses de la diplomatie régionale sarko-hollandaise dans lesquelles il avait fidèlement inscrit ses pas jusqu'à présent.
Occasion de rappeler que Total avait d 'importants projets de recherche dans les eaux chypriotes et que le décès accidentel mal élucidé en Octobre 2014 de Christophe de Margerie*, son PDG sur l'aérodrome de Moscou a curieusement mis fin à une orientation qui menaçait de priver Israël d'une position dominante dans la fourniture à l'Europe de gaz naturel via le futur gazoduc Méditerranée orientale-Union européenne.
Comaguer
*La Russie vient de donner son nom à un méthanier géant brise-glace qu'elle vient de lancer à Saint Petersburg
Source de la photo :
La source originale de cet article est Le blog de Comaguer