Article de : Stefano Mauro
La bataille fait rage à Raqqa, capitale autoproclamée de l'Etat islamique en Syrie. La coalition arabo-kurde soutenue par les Etats-Unis y a lancé l'assaut contre les combattants de Daesh. De même que l'armée syrienne. Alors que les plus grandes villes ont été reprises par le gouvernement syrien, la conquête de Raqqa présente à première vue un enjeu symbolique. Mais tous les acteurs impliqués dans la lutte contre Daesh ne partagent pas nécessairement les mêmes objectifs... (IGA)
« La bataille de Raqqa est entrée dans sa phase finale » - a ainsi annoncé le commandant de la force américaine CENTCOM Joseph Votel - « même si pour sa libération il faudra plusieurs mois. » Presque tous les protagonistes du conflit syrien (locaux, régionaux et internationaux) semblent déterminés à participer à la bataille pour la libération de la capitale de l'État islamique en Syrie.
Début juin, les Forces Démocratiques Syriennes (FDS, soutenues par les Etats-Unis et dont le plus grand nombre est composé par les troupes kurdes) ont lancé la cinquième phase: l'attaque décisive de Raqqa. Après la conquête d'Al Tabaqa, avec le soutien aérien des États-Unis, les FDS ont encerclé la ville au nord, à l'ouest et à l'est, et ont réussi à entrer dans la périphérie de Raqqa. En même temps, les troupes de Damas, ces derniers jours, ont pris Al Rasafa, une ville au sud de la capitale de Daech et ont regagné plus de 1500 kilomètres carrés en quelques jours.
Du point de vue stratégique, Raqqa représente peu. Rien à voir avec Alep, la deuxième ville de Syrie et capitale économique ou avec Palmyre, la « Perle du désert » stratégique pour l'accès au désert syrien appelé Badia. Raqqa, cependant, est un symbole parce qu'elle est « la capitale de l'État islamique » et sa conquête représenterait la défaite finale de Daech en Syrie, comme cela est arrivé récemment à Mossoul en Irak.
Fox News et RT ont annoncé que, durant ces derniers mois, l'État islamique a déplacé la plupart de son leadership et, surtout, ses ressources économiques dans la ville de Al Mayadin, au sud de Deir Ez Zor. En effet, plusieurs témoins ont indiqué une grande mobilisation de miliciens djihadistes avec leurs familles dans ce secteur stratégique car proche de la frontière irakienne. Dans la capitale de Daech, selon le quotidien français Libération, restent beaucoup de « foreign fighters tunisiens, égyptiens et tchétchènes qui sont prêts à défendre leur capitale. »
Dans une interview avec la chaîne hongkongaise Phoenix, le président syrien Bachar Al-Assad a déclaré que « la libération de Raqqa et Deir Ez Zor est le prochain objectif de Damas » après la reconquête, rien que cette année, de plus de 40% du territoire national. À présent, le gouvernement syrien contrôle les cinq plus grandes villes du pays: Damas, Alep, Homs, Lattaquié et Hama où se trouvent plus de 80% de la population syrienne.
La conquête de Raqqa et, plus encore, celle de Deir ez-Zor, sont stratégiques pour une question symbolique et, surtout, pour empêcher les plans US dans la région. Selon Damas en effet, Washington vise à conquérir la ville de Raqqa pour se positionner de manière stable et pour imposer son plan en Syrie. Le journal libanais Al Akhbar a déclaré que les Américains voudraient remplacer Daesh avec une milice tribale « rebelle » afin de diviser l'État syrien dans sa partie centre-orientale et limiter la présence iranienne en Syrie.
Ce scénario compliquerait la situation des combattants kurdes syriens (YPG). De ce point de vue, comme l'a écrit récemment la presse américaine, les YPG devraient, après avoir fait le « sale boulot » pour Washington, retourner dans leur territoire. Il pourrait alors devoir combattre une autre "opération de nettoyage", menée par le président turc Erdogan. Pour cette raison, plusieurs dirigeants kurdes syriens ont rétabli leurs relations avec le gouvernement de Damas, comme cela est déjà arrivé à Manbij, afin de pouvoir résoudre la question de leur indépendance avec éventuellement une zone autonome mais pas séparée du gouvernement de Damas, dans le Rojava.
En raison de l'avancée très rapide des FDS vers Raqqa, les troupes syriennes et le Hezbollah ont pour objectif prioritaire de libérer Deir Ez Zor. La ville est déjà occupée en partie par les troupes loyalistes, mais elle est assiégée par Daesh. Les troupes syriennes ont pour but d'empêcher les djihadistes de l'État islamique de fuire et visent à entraver une possible expansion des « rebelles » pro-américains vers la partie orientale du pays.
Damas, soutenu par la Russie, l'Iran et le Hezbollah, reste le véritable vainqueur de cette guerre de stratégie. La présence de Qassem Soleimani, général de la brigade iranienne Al Qouds (unité militaire agissant en dehors des frontières iraniennes et ressource vitale pour la réorganisation des troupes irakiennes pro-chiites), a conduit dans les dernières semaines à la conquête d'une grande partie de la zone frontalière du midi avec la Jordanie et l'Irak. Une victoire qui a limité les ambitions expansionnistes des États-Unis dans la région d'Al Tanf et qui a contribué à la réunification des troupes de Damas avec l'Hached Chaabi irakien (Unité de mobilisation populaire) pour combattre Daesh et fermer la frontière avec la Syrie.
Il reste à gagner, enfin, la zone Idlib où « survit » l'autre groupe djihadiste Tahrir Hayat Al Sham (Al Nusra) qui, durant ces derniers mois, a éliminé tous les groupes « rebelles » contraires à ses positions. Aux efforts militaires se sont ajoutés les efforts diplomatiques avec les accords d'Astana. La création de quatre « zones de désescalade » a facilité, encore une fois, le gouvernement de Damas: dans ces zones peuvent rester seulement les observateurs russes, iraniens et turcs, ce qui a diminué la capacité de soutien militaire tant américain qu'israélien aux groupes rebelles.
Les prochains mois seront, donc, décisifs pour l'avenir de la Syrie et de son intégrité territoriale. Actuellement, l'unique et triste certitude est que cent mille civils sont pris en otage à Raqqa. Ils sont détenus comme "boucliers humains" contre les frappes aériennes de la coalition qui ont causé ces derniers jours plus de 200 victimes.
Source originale : Contropiano
Traduit de l'italien par Stefano Mauro pour Investig'Action
Source: Investig'Action