Gregory WILPERT
Le Venezuela s'approche de plus en plus d'une situation dangereuse, dans laquelle une guerre civile de grande ampleur deviendrait une réalité. Jusqu'à présent plus de 100 personnes sont décédées à cause des manifestations (lorsqu'on connait les causes des décès). La possibilité d'une guerre civile devient encore plus probable, lorsque les médias internationaux noircissent le tableau qui permet de voir qui est le responsable de la violence, et tant que la gauche internationale reste en marge du conflit et ne montre pas sa solidarité avec le mouvement socialiste bolivarien du Venezuela.
Si la gauche internationale reçoit des informations sur le Venezuela principalement des médias internationaux il est facile de comprendre son silence. Après tout, ces médias du statu quo, omettent régulièrement de dire qui est en train d'inciter à la violence dans ce conflit. Par exemple, quelqu'un qui regarde CNN ou qui lit le New York Times, ignore que sur les 103 morts liés aux manifestations, 27 sont des victimes (directes ou indirectes) des actions des manifestants. 14 personnes sont décédées suite à l'incendie qu'ils avaient déclenché dans un magasin qu'ils saccageaient. 14 décès sont directement liés aux actions d'autorités de l'Etat (dans la quasi-totalité des cas, des poursuites ont été engagés à l'encontre des responsables) et 44 décès font l'objet d'une enquête ou sont en discussion. Toutes ces informations proviennent du cabinet de la Procureure générale de la République, qui récemment s'est rapprochée de l'opposition.
Au même titre, la plupart de ces lecteurs ignorent que le 11 juillet dernier, les opposants qui manifestent ont fait exploser une bombe dans le centre de Caracas, blessant 7 membres de l'armée, que le lendemain ils ont mis le feu à l'immeuble du Tribunal Suprême de Justice ou encore que le 17 mai ils avaient attaqué une maternité.
Autrement dit, il est possible qu'une bonne partie de la gauche internationale ait été bernée sur la violence au Venezuela. Et que l'on l'ait amené à penser que le gouvernement est le seul responsable, que le président Maduro s'est autoproclamé dictateur à vie (alors qu'il a confirmé que les élections présidentielles auront lieu à la fin de 2018, comme prévu dans le chronogramme) et que toute dissidence est punie de prison (alors que Leopoldo Lopez, responsable pour la violence post-électorale de 2014, a été libéré et purge sa peine en résidence surveillée). Si c'est celle-là l'explication du silence de la gauche sur le Venezuela, alors elle devrait avoir honte de ne pas lire ses propres critiques sur les grands médias.
Ceci ne veut pas dire qu'il n'y a pas des aspects à critiquer dans le gouvernement de Maduro, notamment dans la gestion de la situation économique et politique. Néanmoins, les critiques (que je me suis faites moi-même) ne justifient pas l'adoption d'une position neutre dans ce conflit. Comme l'a dit l'activiste anti-apartheid Desmond Tutu : « si tu es neutre dans des situations d'injustice, tu as choisi le camp de l'oppresseur ».
Le cas vénézuélien prête à confusion parce que le président Maduro est au pouvoir et pas l'opposition. Ce qui rend difficile de voir l'opposition comme « l'oppresseur ». Cependant, pour un internationaliste de gauche, ceci ne devrait pas être si difficile. Après tout, l'opposition vénézuélienne reçoit un soutien important, non seulement du secteur privé, mais aussi du gouvernement des Etats Unis, de la droite internationale et du capital transnational.
Peut-être que les progressistes sentent que le gouvernement de Maduro a perdu toute légitimité démocratique et que pour cette raison il ne faut pas le soutenir. D'après les médias traditionnels, Maduro a annulé les élections régionales prévues pour décembre 2016, il a empêché le referendum révocatoire et a neutralisé l'Assemblée Nationale. Voyons rapidement ces arguments un par un.
D'abord, les élections régionales (pour élire des gouverneurs et des maires) auraient du avoir lieu à la fin 2016, mais le Conseil National Electoral (CNE), les a reportées argumentant que les partis politiques auraient du d'abord s'enregistrer. Mettant de côté cet argument, le CNE a récemment fixé les élections pour décembre 2017. Rapporter des élections prévues n'est pas inédit au Venezuela, ceci s'est déjà produit en 2004, lorsque les élections locales ont été reportées d'un an. A ce moment-là, avec le président Chávez au pouvoir, presque personne n'a contesté la décision.
Ensuite, pour ce qui est du referendum révocatoire, il était reconnu que l'organisation d'un tel processus, du début jusqu'à la fin, prendrait 10 mois. Cependant, l'opposition a demandé l'organisation du referendum en avril 2016, ce qui ne permettait pas sa réalisation pendant l'année 2016 comme ils l'auraient souhaité (car si le referendum avait lieu en 2017 il n'y avait plus de possibilité de faire une nouvelle élection présidentielle, conformément à la Constitution, et le vice-président devrait assumer la présidence pour le reste du mandant).
Enfin, par rapport au discrédit de l'Assemblée Nationale, il s'agit d'un coup auto infligé par l'opposition. En effet, alors que l'opposition avait obtenu 109 votes sur 167 sièges (65%) de plein droit, ils ont investi 3 candidats dont l'élection était contestée pour fraude. Par conséquent, le Tribunal Suprême de Justice, s'est prononcé en affirmant que tant que les 3 membres ne seront pas révoqués, la plupart des décisions de l'Assemblée National ne seraient pas valides.
En d'autres termes, aucun des arguments contre la légitimité du gouvernement de Maduro ne tient pas. De plus, les sondages montrent qu'alors que Maduro est moyennement impopulaire, une majorité de vénézuéliens veulent qu'il finisse son mandat prévu jusqu'à janvier 2019. En fait, le pourcentage de popularité de Maduro n'est pas si bas que celui d'autres présidents (conservateurs) d'Amérique Latine. Tel est le cas d'Enrique Peña Nieto au Mexique (17% mars 2017), de Temer au Brésil (7% juin 2017) ou Juan Manuel Santos en Colombie (14 % juin 2017). Comparez ces chiffres au 24% d'approbation de Maduro en mars 2017 !
Maintenant que nous avons vu quelles étaient les possibles raisons qui expliqueraient pourquoi la gauche internationale a été très peu solidaire avec le gouvernement de Maduro et le mouvement socialiste bolivarien, il est nécessaire de comprendre ce qu'impliquerait la « neutralité » dans ce genre de situation - à savoir de permettre que l'opposition arrive au pouvoir par la biais d'une transition violente et illégale.
Premièrement, l'arrivée de l'opposition au pouvoir impliquerait que tous les chavistes - qu'ils soutiennent ou pas à Maduro en ce moment - seraient persécutés. Beaucoup de chavistes n'oublient pas le Caracazo, bien qu'il se soit produit il y a très longtemps, lorsqu'en février 1989, le président Carlos Andrés Pérez a riposté contre les barrios pauvres [quartiers populaires, ndt] pour avoir manifesté contre son gouvernement, tuant entre 400 et 1000 personnes. Plus récemment, en avril 2002, l'opposition a montré qu'elle était prête à déployer la répression contre les chavistes. La plupart de gens ne le savent pas, mais pendant les deux jours du régime putschiste, 60 chavistes ont été tués (ce chiffre ne prend pas en considération les 19 personnes décédées à cause des actions qui ont mené au coup d'Etat et qui sont attribuables aux deux camps du spectre politique).
Au même titre, lors des actes de violence post-électorale d'avril 2013 où il y a eu 7 morts ou encore lors de guarimbas de février à avril 2014 où 43 personnes sont décédées, bien que les morts aient été des chavistes, des activistes de l'opposition ou des personnes étrangères aux conflit, dans presque tous les cas de violence, en fait, la plupart des morts étaient des chavistes.
Actuellement, dans la plus récente vague de guarimbas, il y a eu plusieurs incidents dans lesquels des chavistes se trouvant à proximité des manifestants de l'opposition ont été persécutés et assassinées par des activistes de l'opposition qui les auraient identifiés comme chavistes.
Autrement dit, il y a un réel danger pour que les chavistes soient persécutés si l'opposition arrivait au pouvoir. Même s'il existe des individus raisonnables qui ne soutiendraient pas de telles persécutions, le leadership actuel n'a rien fait pour arrêter les tendances fascistes dans ses rangs, mais au contraire les a stimulées.
Deuxièmement, même si l'opposition n'a pas rendu public un programme concret des actions qu'elle mènerait une fois arrivée au pouvoir (l'une de raisons de l'impopularité de l'opposition auprès de la population et du gouvernement), les déclarations individuelles des leurs leaders montrent qu'ils mettraient en oeuvre immédiatement un programme économique néolibéral dans la lignée de Temer au Brésil ou de Mauricio Macri en Argentine. Ils arriveraient surement à réduire l'inflation et à finir avec la pénurie, mais au détriment des financements des programmes sociaux pour tous les pauvres. Aussi, ils finiraient avec les politiques de soutien aux conseils communaux et aux communes, qui ont été des piliers de la démocratie participative dans la révolution bolivarienne.
Par conséquent, le mouvement socialiste bolivarien a besoin de la solidarité et non pas du silence, de la neutralité ou de l'indécision de la gauche internationale. Cette solidarité implique de s'opposer énergiquement aux efforts pour renverser le président Maduro. En plus de l'évidente illégalité que représenterait ce renversement, ceci serait un coup mortel qui finirait avec le mouvement socialiste bolivarien et l'héritage de Chavez. La gauche internationale n'est pas obligée de se prononcer pour dire si la meilleure façon de résoudre la crise actuelle est la proposition d'Assemblée Nationale Constituante ou les négociations avec l'opposition. C'est aux vénézuéliens de décider. S'opposer à l'intervention, diffuser des informations sur ce qui se passe réellement au Venezuela, voilà ce que les non vénézuéliens pouvons faire de constructif.
Gregory Wilpert
Gregory Wilpert était directeur du site Telesur en anglais et auteur de « Changing Venezuela by taking power : the history and policies of Chavez governement ».