Par John Wight
« Le socialisme est bon en théorie. En pratique, il est généralement saboté par un coup d'État soutenu par la CIA. » 𝕏 Lee Camp, humoriste politique américain
Au delà de son opinion personnelle favorable à l'expérience socialiste vénézuelienne, l'auteur de l'article ci-dessous pose les bonnes questions sur la propagande pro-occidentale, qui ne se lasse pas de trouver des défauts à Maduro - pendant que, dans un remake à l'identique des nombreux coups d'État fomentés en Amérique latine par les USA au long du XXe siècle, les leaders américains parlent ouvertement de le renverser. Encore !
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Ce qui se passe au Vénézuela est une tentative de contre-révolution. Washington veut retrouver « son » pays, ce qui explique pourquoi elle apporte des soutiens ouverts et secrets à une opposition déterminée à rendre le pays à son ancien statut de filiale des USA.
Ce qui doit être souligné est qu'en établissant une Assemblée constituante au Vénézuela, le président Nicolas Maduro agit en accord avec la Constitution de son pays :
Article 348 : L'initiative d'appeler à une Assemblée nationale constituante peut émaner du président de la république, avec le cabinet des ministres ; de l'Assemblée nationale, par vote des deux-tiers de ses membres ; des Conseils municipaux en session ouverte, par vote des deux-tiers de leurs membres ; et de 15% des électeurs enregistrés par le Bureau de l'état civil et électoral.
Quant aux tentatives de l'opposition pour saboter l'établissement de l'Assemblée constituante par des manifestations, des émeutes et un appel au boycott national de l'élection de délégués à la nouvelle assemblée, elles ont été entreprises en infraction de la Constitution, dont l'article 349 stipule : 'Le président de la république n'aura pas le pouvoir de s'opposer à la nouvelle Constitution. Les autorités constituées existantes n'auront d'aucune façon l'autorisation de faire obstruction à l'Assemblée constituante.'(Mes italiques).
Photo par Diariocritico de Venezuela | CC BY 2.0
Il va sans dire, bien sûr, que les gens ne peuvent pas manger une Constitution. Avec comme nouvelle norme des pénuries en nourriture, en médicaments et une inflation galopante, seuls les plus hardis tenteraient de suggérer que Mr Maduro et son gouvernement n'ont pas à répondre à certaines questions sur une crise qui a bouleversé la société vénézuelienne.
Mais ces questions sont différentes de celles qui sont soulevées par le fatras de la couverture médiatique occidentale du gouvernement vénézuelien. Dans ce qui a ressemblé à la cacophonie nocturne de grenouilles dans un étang, Maduro a été calomnié avec cette sorte d'hystérie réservée à ceux qui osent s'embarquer dans un programme de redistribution des richesses favorable aux pauvres et à la classe laborieuse. Pour ces personnages, le socialisme est une abomination, une menace mortelle contre leur conception de la liberté en tant que mécanisme par lequel, comme l'a dit Thucydide, 'les forts (les riches) font ce qu'ils veulent, et les faibles (les pauvres) souffrent comme ils le doivent.'
Voici le traitement de CNN du choix, le 30 juillet, de mandater l'établissement d'une Assemblée constituante. 'Les critiques du Vénézuela et de l'étranger expliquent que cette action de Maduro éroderait les derniers signes de la démocratie dans le pays. « Cela donnerait l'opportunité au gouvernement de transformer le Vénézuela en État à un seul parti, sans aucune entrave démocratique, » dit Eric Farnsworth, vice-président du Council of the Americas, une association dédiée à l'entreprise.
Deux éléments ressortent dans ce passage. Le premier est l'affirmation selon laquelle une assemblée constituante serait anti-démocratique. Étant donné le cadre déjà mentionné de la Constitution du pays, cette affirmation est fausse. La deuxième est la position de Mr Farnsworth : 'vice-président du Council of the Americas, une association dédiée à l'entreprise.'
Le Council of the Americas est une organisation basée aux USA, avec des antennes à Washington DC, New York et Miami. Dans sa déclaration de mission, elle de décrit comme 'Une organisation relative au business de premier plan, dont les membres partagent le même engagement dans le développement économique et social, le libre marché, le droit, et la démocratie à travers l'hémisphère occidental. »
En lisant ce passage, vous seriez bien en peine de trouver un soutien plus concis et plus clair au capitalisme de libre marché et des droits qu'il confère aux riches d'exploiter les pauvres au nom de la démocratie. Comme le souligne l'auteur George Ciccariello-Maher, « les aspirations anti-démocratiques de l'opposition se drapent dans le langage de la démocratie. » De plus, quand nous apprenons que le vice-président des USA, Mike Pence, est entré directement en contact avec des leaders de l'opposition vénézuelienne, notre mémoire collective devrait immédiatement nous transporter à travers le temps jusqu'à l'Iran de 1953, au Guatemala de 1954, à l'Indonésie de 1965, au Chili de 1973, et bien sûr à l'Ukraine de 2014 - des exemples de coups d'État fomentés ou soutenus par les USA contre des leaders assez téméraires pour refuser d'obéir à leur suzerain impérial.
Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour comprendre, particulièrement dans le cas d'un pays où un coup d'État soutenu par Washington a raté en 2002.
Les problèmes économiques du Vénézuela sont principalement dus à l'effondrement des cours mondiaux du pétrole de ces dernières années. Entre 2014 et 2016, le prix du brut a chuté de 96,29 à 40, 68 dollars le baril, une baisse monumentale de plus de 40%. Et bien que le prix soit reparti à la hausse en 2017, à 50,31 dollars le baril, il reste à sérieuse distance de son zénith de 2012, à 108,45 dollars le baril.
Pour un pays aussi dépendant du prix du pétrole, une baisse de cette importance sismique représente la garantie d'un choc économique également sismique. Et au delà, le pétrole étant la seule exportation notable du Vénézuela, la crise a exposé des faiblesses structurelles de l'économie bien antérieures à l'arrivée sur la scène d'Hugo Chavez, et a fortiori de son successeur Nicolas Maduro.
Comme déjà mentionné, malgré tout, le gouvernement Maduro a une part de responsabilité dans la crise actuelle. Revenons à George Ciccariello-Maher, dont nous apprenons que « le système mal conçu de contrôle de la monnaie qui gouverne la distribution des revenus du pétrole n'a jamais été totalement démantelé. Le résultat en a été un cercle vicieux de spéculation sur la monnaie dans le marché noir, le stockage et la contrebande d'essence et de nourriture, et une explosion de la corruption à l'intersection des secteurs public et privé. Confronté à des manifestations de rue et à des pénuries de nourriture, Maduro a répondu de façon désordonnée. Pour tenter de garnir les rayons des supermarchés en produits alimentaires, il a soutenu la production locale des communes tout en courtisant les entreprises privées. »
Ce qu'il faut comprendre est que les événements du Vénézuela ne se produisent pas dans le vide. Ce pays riche en pétrole, qui a été un espoir pour les pauvres, les indigènes et les opprimés du continent avec l'arrivée d'Hugo Chavez au pouvoir en 1999, fait l'expérience des défis spécifiques à la création d'un îlot socialiste au beau milieu d'une mer de capitalisme dominé par les USA.
Sa vulnérabilité à la volatilité des prix du pétrole ne fait que confirmer que la présence de grandes réserves de pétrole peut handicaper, plutôt que renforcer, le développement économique d'une nation, particulièrement dans les pays du Sud où la diversification économique se heurte à la réalité de la domination des marchés mondiaux par les institutions financières et les corporations occidentales.
En dernière analyse, c'est le capitalisme et non le socialisme qui a échoué au Vénézuela. Malgré tout, la responsabilité en est rejetée sur le socialisme.
John Wight
Paru sur Counterpunch sous le titre Venezuela Crisis: the US Wants "Its” Country Back, le 4 août 2017
Traduction Entelekheia
Photo Pixabay : Vendeur de rue, Maracaibo, Vénezuela
La source originale de cet article est CounterPunch