Par Bruno Adrie
Vendredi 12 août, le président cow-boy des États-Unis a affirmé qu'il n'excluait pas une intervention militaire au Venezuela pour mettre un terme au chaos engendré par le gouvernement Maduro. Aussitôt, Vladimir Padrino López, le ministre vénézuélien de la défense, a qualifié ses intentions « d'acte de folie » (« acto de locura »). Mais est-ce vraiment un acte de folie et Trump est-il fou ? Nous ne le pensons pas. En tout cas, il n'est pas fou de la folie qu'on croit.
Aujourd'hui, les cinq plus gros fournisseurs en pétrole brut des États-Unis sont le Canada (38% du total des importations de pétrole), l'Arabie Saoudite (11%), le Venezuela (8%), le Mexique (7%) et la Colombie (5%).
De ces cinq pays, le plus éloigné est l'Arabie Saoudite. Or depuis quelques années, les importations en provenance de ce pays ont diminué en conséquence de l'exploitation du gaz de schiste mais aussi du souhait américain de se retirer d'un Proche-Orient où la Russie et l'Iran ont accru leur présence, une région dans laquelle, selon le géopolitologue Frédéric Pichon, les Etats-Unis « ne tenteront plus aucune aventure de maintien de l'ordre» (Syrie, une guerre pour rien, éditions du Cerf, 2017).
Un repli stratégique sur des fournisseurs proches présente des avantages évidents: réduction des délais de livraison, contrôle facilité de la vie politique dans les pays exportateurs (la CIA se sent chez elle dans toute l'Amérique latine), approvisionnement protégé en cas de conflit en Eurasie ou en Afrique.
Or on peut constater que le volume de pétrole importé du Venezuela a diminué ces dernières années. Une baisse d'autant plus regrettable, pour Washington, que le Venezuela possède les plus grosses réserves prouvées de pétrole du monde (300 milliards de barils soit 17,6% du total mondial), devant l'Arabie saoudite (266 milliards de barils soit 15,6% des réserves prouvées mondiales) et l'Amérique du Nord (227 milliards de barils soit 13,3% des réserves prouvées mondiales dont la majorité se trouve concentrée au Canada : 10% du total mondial). Le Venezuela a toutes les qualités pour occuper, dans l'avenir, à la place de l'Arabie saoudite, le rang de second fournisseur en pétrole des États-Unis. (source : BP Statistical Review of World Energy, édition 2017)
S'il est une chance pour M. Trump que ce pétrole soit situé dans les limites du pré carré défini par la doctrine Monroe, il a le grave inconvénient d'être la propriété d'un État souverainiste et sourd à ses objurgations. Heureusement, lorsqu'il est contrarié, M. Trump a le droit de piocher dans le grand coffre à jouet des accusations toutes prêtes dont dispose en permanence la diplomatie étasunienne. Et il a la garantie que la presse à grand tirage le suivra dans son oeuvre de réécriture du réel qui permet de faire d'un président élu une ordure à abattre. En France, il suffit d'ouvrir la journal Le Monde, le torchon croupi du milliardaire Xavier Niel, pour voir la propagande en action : « Au Venezuela, une assemblée constituante élue dans le sang ».
Arrivé au pouvoir en 1998, Hugo Chavez a gardé intacte son intention, exprimée pendant la campagne, d'utiliser une partie de la manne pétrolière pour lutter contre la pauvreté. Entre 1999 et 2001, il promulgue deux lois qui permettent à l'État de reprendre le contrôle de la compagnie Petróleos de Venezuela S.A. (PDVSA), incite les autres membres de l'OPEP à faire baisser la production pour augmenter les prix du brut et signe un accord de vente de pétrole à prix cassés avec plusieurs pays des Caraïbes dont Cuba. Sa décision de prélever 600 millions de dollars sur les bénéfices de PDVSA pour financer ses programmes sociaux provoque un conflit dans l'entreprise. Devant la résistance, Hugo Chavez choisit de licencier, le 7 avril, une vingtaine de cadres de la compagnie et doit faire face, 5 jours plus tard, au coup d'État dirigé par l'oligarchie et des militaires factieux. Mais le coup ne dure que deux jours. Rétabli dans ses fonctions par des militaires loyalistes, Hugo Chavez a gagné une bataille. Mais le capital continue de se tordre sous son pied vengeur: en novembre 2002, les cadres qui ont échappé à la purge organisent une grève générale. La production baisse alors de 70% et le PIB de 9%. Afin d'asseoir le contrôle de l'État sur l'entreprise, Hugo Chavez licencie 18000 des 42000 employés de PDVSA et interdit aux cadres, qui représentent 80% de cette charrette de licenciements, toute réembauche dans un quelconque secteur de l'industrie du pays. En 2006, continuant sur sa lancée, il interdit aux majors d'opérer seules dans le pays: pour continuer d'extraire du pétrole au Venezuela, elles devront désormais s'associer à PDVSA dans le cadre d'entreprises conjointes contrôlées à 60% par la société étatique (lire par Tristan Gaston-Breton, « Hugo Chavez ou le pétrole 'rendu au peuple' », Les Échos, 18-08-2006).
Il n'est donc pas surprenant que, face à l'échec des propagandes et des manifestations dirigées contre le président Maduro, le président Trump, en digne représentant de la classe dominante - il a nommé vice-président l'ingénieur et homme d'affaires Rex Tillerson qui a fait toute sa carrière, depuis 1975, chez Exxon Mobil - menace, aujourd'hui, le Venezuela d'une intervention militaire. Car il faut que le Venezuela devienne un atout de la politique étrangère étasunienne.
Voilà pourquoi je pense que le ministre Vladimir Padrino López a tort: Donald Trump n'est pas fou, bien au contraire. Une invasion est une option très rationnelle de la part d'un président élu à la tête de la plus grande démocratie du monde mais qui orientera toujours sa politique dans l'intérêt de ceux qui vivent penchés sur l'univers avec des crocs plein les yeux. Il n'est pas différent des Eisenhower et autres Nixon qui ont conspiré, en leur temps, contre la Cuba de Fidel Castro. Bien entendu, il est très cynique, M. Trump, lorsqu'il prétend dissimuler la voracité des gens de son espèce sous l'emballage cadeau de la libération du peuple vénézuélien. Bien entendu, il manque d'imagination quand il ment. Car on les connaît les sauvetages américains, les débarquements, les bombardements, les invasions libératrices. On les connaît, les conséquences de la générosité yankee. Et il ne s'agit pas que de Trump. Elle en aurait fait autant, Hillary, la candidate hystérique du Deep State, du Council on Foreign Relations et de Wall Street, la candidate de tout ce que le monde compte de plus vil et de plus vulgaire et qui roule carrosse et se prélasse dans le luxe et se gargarise de mots creux, parlant de « liberté » et de « démocratie », tout en étranglant, d'une main juste et inflexible, les nations aux richesses trop tentantes. C'est, à mon sens, le comte de Gobineau qui a le mieux décrit l'idiosyncrasie de « l'Anglosaxon américain », il y a presque 170 ans:
« Sa nature raisonnante et amie des formes légales lui a fait trouver mille subterfuges pour concilier le cri de l'équité avec le cri plus impérieux encore d'une rapacité sans bornes. Il a inventé des mots, des théories, des déclamations pour innocenter sa conduite. Peut-être a-t-il reconnu, au fond du dernier retrait de sa conscience, l'impropriété de ces tristes excuses. Il n'en a pas moins persévéré dans l'exercice de tout envahir, qui est sa première loi, et la plus nettement gravée dans son cœur. » (Traité sur l'inégalité, 1853)
La guerre n'est donc, malheureusement, pas terminée pour le peuple vénézuélien.
Bruno Adrie
Source de la photo : forotecnologico.bligoo.cl
La source originale de cet article est Le blog de Bruno Adrie