Le chargé d'affaires de l'ambassade US en Bolivie, Peter Brennan, -un expert dans le domaine de la subversion idéologique-, a pris sur lui de « conseiller » au président Evo Morales : « Pourvu que la Bolivie ne parvienne jamais au point où se trouve le Venezuela. » La réponse du leader indigène ne s'est pas fait attendre : « Ni la Bolivie ni le Venezuela ne sont l'arrière-cour de personne ».
Peter M. Brennan célébrant le Jour de la Terre dans les jardins de l'ambassade US à La Paz en avril 2017
Il a fallu un peu plus de trois années pour que le chargé d'affaires US, Peter Brennan, confirme enfin, le 10 août dernier, le caractère de la mission politique, opaque et déstabilisatrice, qui lui a été confiée pour la Bolivie, par le Département d'État, les agences et les services secrets US.
Dans des circonstances qui n'étaient apparemment en rien extraordinaires, l'homme qui, depuis juin 2014, est à la tête de l'ambassade des USA, a profité d'un acte public pour s'entretenir avec la presse et lancer, tout naturellement, un message d'ingérence à objectifs multiples : « Fasse le Ciel que la Bolivie ne parvienne jamais au point où se trouve le Venezuela », a-t-il lancé.
Que les questions de la presse aient été programmées ou non, Brennan, expert en subversion idéologique, dans sa rencontre avec les journalistes, a tourné autour de trois aspects ponctuels : la crise au Venezuela, le soutien que les leaders de gauche apportent au gouvernement de Caracas et ce qui pourrait bien arriver à la Bolivie si elle s'engageait sur le même chemin.
Les déclarations du responsable de l'ambassade US en Bolivie pourraient être interprétées comme une provocation et un ballon d'essai faisant partie de la stratégie que Washington déploie pour ruiner le processus de changement et ainsi éviter que le président Evo Morales ne se présente aux élections générales de décembre 2019. En tous cas, il ne s'agit pas là de paroles improvisées et encore moins lancées au hasard sans en espérer des effets politiques à l'intérieur comme à l'extérieur de la Bolivie.
Quels sont les objectifs poursuivis par Brennan ?
En premier lieu, avoir une plus forte incidence sur les voix politiques, médiatiques et des secteurs de la société civile -toutes dans l'opposition- qui critiquent les diverses manifestations de soutien et de solidarité du président Evo Morales à l'égard de la révolution bolivarienne, du gouvernement de Nicolás Maduro et de l'Assemblée constituante.
Les paroles de Brennan sont cohérentes. La stratégie impériale vise à isoler le Venezuela de la majeure partie de la communauté internationale, objectif qu'elle n'a pas réussi à atteindre depuis des mois, malgré toute la complicité de l'infatigable secrétaire général de la OEA, Luis Almagro, qui n'a pas pu réunir un total des deux tiers des voix des États membres de l'organisme régional pour pouvoir activer la Charte Démocratique Interaméricaine. A Cancún, Mexique, un total de 20 fut atteint et lors de la rencontre de Lima, convoquée par le président péruvien, Pablo Kuczynski -semblable à Sánchez de Lozada [président bolivien qui démissiona en octobre 2003, suite à la répression sanglante d'une grève générale, NdE] dans sa physionomie, sa façon de parler et de penser- une déclaration fut approuvée par 17 pays.
Une stratégie d'ingérence de grande ampleur a été lancée contre le Venezuela, incluant des éléments et des mesures politiques, économiques, militaires et médiatiques avec l'objectif de détruire la révolution bolivarienne à partir d'une implosion interne et, si cela était nécessaire, avec une intervention militaire « pour des raisons humanitaires » comme a prévenu Trump vendredi dernier.
En deuxième lieu, se servir de la très mauvaise image que l'appareil médiatique est parvenu à installer dans l'imaginaire collectif de secteurs sociaux perméables à la stratégie US, pour dissuader le gouvernement d'Evo Morales de continuer à soutenir Maduro. On joue avec les sentiments des gens -la peur, l'indignation et la haine, propres à la « guerre de quatrième génération »-, pour renforcer les certitudes chez les personnes alignées politiquement et culturellement contre les processus de changement, pour soulever des doutes dans quelques secteurs qui, à la base et à des niveaux de direction, font partie de ces expériences révolutionnaires qui ont pris le contrôle de l'Etat. C'est-à-dire qu'il s'agit de semer le doute chez certains proches de Morales.
Voilà pourquoi le « pourvu que la Bolivie ne parvienne jamais au point où se trouve le Venezuela » ne peut être pris comme une réflexion politique imprécise. Pas quand ces mots sortent de la bouche de Brennan. En réalité ils viennent étayer le discours des politiques, analystes et commentateurs qui cherchent à semer chez les gens la peur d'un hypothétique « futur sombre » pour l'économie bolivienne, qui, à la surprise de l'opposition qui ne veut pas l'admettre, est l'économie qui se comporte le mieux dans la zone sud-américaine et jouit d'une structure productive diversifiée qui diminuerait les effets de toute guerre économique.
En troisième lieu, c'est un avertissement à Evo Morales et aux mouvements sociaux s'ils persistent dans la ligne du dernier congrès du MAS, en décembre 2016, où furent approuvées quatre voies pour garantir la continuité du processus de changement sous la direction du leader indigène paysan pour 2025. Ce qui veut dire, Morales candidat en décembre 2019.
L'avertissement au gouvernement du président Morales s'est fait en douceur mais pas pour autant sans profondeur. Il faut lire textuellement ce qui a été dit en réponse à la question de savoir si la Bolivie ne prenait pas même chemin que le Venezuela, en ignorant les résultats du référendum du 21 février 2016, lorsque le NON s'est imposé d'un point au référendum sur l'engagement vers une réforme constitutionnelle qui rendrait possible la participation du binôme Evo-Alvaro aux élections générales de 2019. "Je ne vais pas avoir un avis ni spéculer sur la situation de la Bolivie, sur la situation politique interne qu'il appartient aux Boliviens de résoudre ; mais fasse le Ciel que la Bolivie ne parvienne jamais au point où se trouve le Venezuela actuellement car sa situation est déplorable et lamentable”.
Dérapage verbal ou une ligne d'action ?
Pour répondre à cette question il vaut mieux se rapporter à la logique selon laquelle les USA agissent contre le processus de changement depuis janvier 2006, lorsqu' Evo Morales l'emporta, par une victoire indiscutable en décembre 2005, obtenant 54% des votes.
La stratégie US pour renverser Morales s'est mise en mouvement depuis le début. Les USA ont envoyé dans le pays, en 2006, un ambassadeur expert en organisation de batailles de confrontation ouverte : Philip Goldberg, qui avait acquis sa réputation pour son rôle dans la division de l'ex-république socialiste de Yougoslavie. De fait, le diplomate a parié sur le départ brutal du leader indigène en 2008, lorsque l'opposition non démocratique fit le choix d'actions de fait comme la prise d'institutions publiques, le siège de l'Assemblée Constituante, le harcèlement physique des autorités et dirigeants du processus de changement et l'assassinat de Morales. La révolution s'est enracinée, la DEA a été expulsée en juin 2008 pour espionnage politique et Golberg a connu le même sort en septembre de la même année pour être intervenu dans des affaires internes (réunions systématiques avec l'opposition non démocratique à Santa Cruz).
Après Golberg, la conduite de l'ambassade US fut assumée, en sa condition d'attaché commercial, par Larry Memmott, qui, tout en privilégiant la ligne politique, dut souvent marcher sur les traces laissées par l'Agence Centrale d'Intelligence (CIA), dans des opérations réalisées contre le gouvernement de Morales. Cela ne réussit pas non plus au diplomate et, à côté de son second collaborateur, Mitchel Ferguson, il n'eut pas plus de dix jours pour quitter le pays. Ce ne fut pas Evo qui l'expulsa mais le Département d'Etat qui le rappela de façon impromptue.
Entre Memmott et Peter Brennan il y eut quelques mois de transition assurée par autre chargé d'affaires, Aruna Amirthanayagam, dont l'unique et fondamentale tâche consista à «faire le ménage» dans la maison laissée par le premier, afin de garantir l'action prédominante des agences en matière de subversion et de renseignement, à la charge du second. Deux mois à peine suffirent pour accomplir cette tâche.
Trois exemples suffisent, en guise d'échantillons.
Sous la gestion Brennan à la tête de l'ambassade US, on compte trois opérations à la fois ouvertes et masquées contre le processus de changement du président Morales.
La première, la participation de Brennan à l'affaire Zapata. La rencontre entre le chargé d'affaires et Carlos Valverde (celui qui a lancé l'accusation) a lieu à l'hôtel Los Tajibos, actuellement propriété du chef d'entreprise Samuel Doria Medina, peu de temps avant que cette « bombe » fabriquée et médiatique ne soit lancée en pleine campagne pour la modification de la Constitution politique de l'État. Mais il y a eu également l'arrivée de techniciens en informatique pour appuyer la même opération.
La deuxième, la déclaration de Brennan lors de la célébration du jour de l'indépendance de son pays, en juillet dernier ; au cours de la cérémonie à laquelle, curieusement, aucun membre de l'opposition n'était présent, il tint les propos suivants : "la liberté; la liberté de la presse et la liberté d'expression; un pouvoir judiciaire indépendant, non partisan et choisi selon un processus juste et transparent; être à l'abri de poursuites acharnées; la protection des minorités; de même le caractère inacceptable de l'emprisonnement, de la répression ou du harcèlement des opposants politiques ainsi que de ceux qui ne respectent pas la ligne d'un parti (...) tels sont les idéaux, les principes, les intérêts communs et les valeurs universelles auxquels, nous, aux USA, nous croyons fermement et que, j'en suis sûr, nous partageons aussi avec la grande majorité des Boliviens ».
La troisième, une action permanente et caractéristique de subversion masquée dans quelque chose qui, à première vue, ne dévoile rien : la soi-disant « diplomatie de peuple à peuples », comme il l'a déclaré dans son discours. Cette méthode a permis de pénétrer les communautés de la province d'Omasuyos, en particulier les Achacachi, et de Los Yungas de La Paz, où, « curieusement » des voix se sont élevées contre les politiques publiques du gouvernement.
Mais l'ingérence de Brennan s'est heurtée, et comment, à la fermeté de la position d'Evo Morales qui a écrit sur son compte tweeter : « Les USA nous menacent et oublient que nous avons expulsé leur ambassadeur pour de pareilles ingérences. Ni la Bolivie ni le Venezuela ne sont l'arrière-cour de personne ».
Brennan -substitut idéal de Memmott en raison de son profil- arrive à La Paz dans l'étape qui précède la ligne droite finale de la campagne électorale de décembre 2014, alors que Washington espère que l'opposition formera un front uni pour lutter contre les aspirations à la réélection de Morales, lequel passera à l'histoire pour avoir conduit la révolution la plus profonde de la Bolivie et pour avoir recueilli un nombre de voix sans précédent pour la démocratie dans le pays (54% aux élections de 2005, 64% aux élections de 2009 et 62% aux dernières élections).
Brennan, en raison de son expérience, convenait parfaitement aux stratèges US, car il disposait de la connaissance et de la pratique suffisantes pour appliquer la stratégie du « coup d'État soft », la nouvelle modalité de déstabilisation menée par Washington. Le Venezuela en est la meilleure preuve.
Celui qui a été désigné comme chargé d'affaires depuis juillet 2014 a joué un rôle implacable dans l'ingérence des USA au Costa-Rica et au Nicaragua, en tant que second couteau, comme en attestent les câbles publiés par Wikileaks et d'autres informations en provenance des deux pays. En 2007 Brennan a fait pression sur le gouvernement costaricain d'Oscar Arias pour que des policiers de ce pays (puisqu'il n'a pas d'armée) soient « discrètement » entrainés à l'académie du Commandement Sud.
Sous le gouvernement d'Enrique Bolaños au Nicaragua, Brennan a également joué un rôle d'ingérence ouverte. En mars 2003, le diplomate US informa le Chef d'État-major de l'Armée du Nicaragua, le Général Julio César Avilés, que l'aide militaire annuelle versée à ce pays -estimée à 2.3 millions de dollars- serait suspendue tant que ne seraient pas détruits tous les missiles et la capacité de défense militaire que le gouvernement sandiniste avait construite au cours de près d'une décennie de révolution.
L'expérience de Brennan, tout comme celle de Brown, dans le domaine que l'USAID et la NED nomment "initiatives démocratiques”, s'est aussi exercée dans de multiples actions subversives contre Cuba: le 13 janvier, aux côtés de trois hauts fonctionnaires du Département d'État, le diplomate qui est en Bolivie profita d'un déplacement à La Havane consacré aux thèmes migratoires, pour rencontrer clandestinement un groupe de dissidents cubains dont les actions de subversion sont organisées et financées par le gouvernement US, comme l'a fréquemment prouvé le gouvernement socialiste.
Le diplomate US, qui était l'un des personnages chargés de garantir la stabilité politique pour les militaires de son pays au Pakistan, et de promouvoir le déplacement de jeunes de ce pays aux USA pour y aborder des thèmes autour des « initiatives démocratiques », fut assez actif comme « chef du Bureau des Affaires cubaines » à Washington puisqu'il impulsa une série d'actions pour obtenir la libération d'Alan Gross, un agent engagé par l'USAID pour installer un réseau clandestin de télécommunications à Cuba.
Avec Brennan à la tête du "bureau Cuba” les actions US contre le gouvernement socialiste se sont intensifiées. Il ne serait nullement surprenant que le programme « Zunzuneo » récemment découvert, -un programme de « Twitter cubain » pour interconnecter la dissidence-, aie ses origines dans la gestion de celui qui sera chargé des affaires US en Bolivie à partir de juillet.
Zunzuneo, un programme clandestin qui a échoué