Jean-Michel HUREAU
Le dénigrement des médias sur le régime vénézuélien et son emprise sur l'opinion publique, y compris ceux qui se prennent pour des politiciens et qui la répercute sans discernement, pourrait prêter à sourire si cela n'en était pas dramatique. Tous, écrits, parlés ou télévisés prétendent donner une information alors qu'elle n'est qu'un instrument de propagande visant le pouvoir en place. Vous aurez remarqué que, d'une seule voix et sans aucune démonstration, ils affirment que le régime est dictatorial ou en voie de le devenir. Or, chacun sait qu'il ne suffit pas d'affirmer pour faire une vérité. Il serait bon de faire preuve d'un regard plus critique quant à la situation, ce que nous serions en droit d'attendre de vrais journalistes.
Le manichéisme des journalistes est sans bornes comme on peut le constater dans les manchettes des journaux, avec force photos, ou par les questions vicieuses qui sont posées à ceux qui ont l'audace de dire que la situation est plus complexe que ce que l'on voudrait bien nous faire croire.
A cet égard, un article peut vous éclairer sur les manipulations exercées sans vergogne par un journal, pourtant réputé, mais dont l'aveuglement est inexplicable, encore que ce ne soit plus une surprise pour un certain nombre d'entres nous, qui avons la prétention d'être plus circonspects. legrandsoir.info
En fait, pour comprendre ce qui se passe au Venezuela aujourd'hui, il faut, un tant soit peu, avoir des notions sur son histoire. Depuis la chute du dictateur Perez Jimenez en 1958, le pays a été gouverné par deux partis majoritaires, Accion Democratica (AD) et COPEI, fondé par Rafael Caldera, jusqu'en 1994, ou le même Rafael Caldera accéda pour la seconde fois à la présidence mais sans l'aval de son parti. AD et COPEI ont alternés au pouvoir en menant, de connivence, des politiques libérales, teintées d'une corruption sans limite, privant ainsi le pays du bénéfice des revenus de la manne pétrolière pour son développement. En 1989, survient le « Caracazo » ou le peuple aux abois se révolte contre les mesures d'austérité prises par le gouvernement du sinistre Carlos Andres Perez. La DISIP, police politique, réprima sévèrement les émeutes qui firent plus de 3000 morts. Le 12 février 1992, un certain Hugo Chavez tente un coup d'Etat pour mettre fin à ce régime corrompu. Comme chacun sait, ce fût un échec qui le conduisit en prison, jusqu'à ce que Rafael Caldera le gracie quelques années plus tard. Je me souviens avec émotion de cette matinée du 12 février 1992 ou Caldera déclara à l'Assemblée Nationale : « On ne peut pas demander au peuple qu'il s'immole pour la démocratie et la liberté si la démocratie et la liberté ne sont pas capables de lui donner à manger ». Hugo Chavez remporta l'élection présidentielle de 1998.
C'est alors que Chavez entreprend de grands chantiers comme l'alphabétisation de masse, la construction de logements sociaux ou l'accès à la santé pour tous. En tout, une quinzaine d'élections qu'il a toutes gagnées, y compris un referendum révocatoire demandé par l'opposition. C'est lui-même qui a voulu que le referendum révocatoire soit inscrit dans la Constitution. Le simple fait qu'il puisse être qualifié de dictateur avec cette disposition est un non-sens. L'opposition, assistée de l'extérieur, n'a cessé de tenter des putschs qui se sont soldés par de cuisants échecs. Alors, comment peut-on imaginer un dictateur qui permet au peuple de le révoquer s'il le désire ? Tous les chefs d'Etats, ceux qui se revendiquent être les champions de la démocratie, ne s'y risqueraient certainement pas ! Ou alors, chiche ?
Chavez s'est converti en l'incarnation du peuple, comme le fût Fidel Castro à Cuba. Il fût un tribun hors-norme capable de retourner une foule, ce qui n'est pas à la portée du premier venu. Il est alors plus facile de comprendre que, malgré un certain charisme, la succession fût difficile pour Maduro.
Il est alors plus aisé pour les Etats-Unis et leurs alliés dans la région d'organiser et de soutenir une opposition au régime. Les fidèles serviteurs de l'Oncle Sam ne manquent pas : Mexique, Colombie, Brésil, Pérou, Argentine, Honduras, Costa Rica, Paraguay. On peut même y ajouter l'Equateur depuis que Lenin Moreno a succédé à Rafael Correa. Seule, la Bolivie d'Evo Morales reste une fidèle alliée. Il ne faut pas oublier que le Honduras et le Brésil sont gouvernés par des putschistes soutenus, bien entendu, par la CIA, comme l'opposition à Maduro. Il ne s'agit que de la bonne vieille théorie des dominos des années 70 où les Etats-Unis faisaient tomber un à un tous les gouvernements progressistes de la région. L'Amérique Latine est en passe de redevenir le jardin privé des faucons de Washington avec la complicité des médias et le silence assourdissant de ce l'on croit être la gauche européenne. Cela rappelle douloureusement ce qui s'est passé au Chili, en Argentine, au Brésil et dans toute l'Amérique Latine durant ces années noires.
Puisque les 130 morts, dont nous reparleront plus loin, survenus lors des affrontements soulèvent tant de réprobation dans la communauté internationale, il convient naturellement de s'interroger sur ce qui se passe dans les pays où ce rejet est le plus grand. Mais alors, qui sont réellement ces champions de la démocratie qui veulent à tout crin défendre la liberté contre la dictature ? Bien sûr, en tête, les Etats-Unis de Trump qui glorifie la suprématie de la race blanche et a ouvertement évoqué une opération militaire contre le Venezuela qui est peut-être déjà en cours. legrandsoir.info
Ça, c'est clair, mais faisons le point sur les autres :
- Mexique : plus de 16 000 assassinats, dont 36 journalistes, depuis le début de l'année soit 76 par jour.
- Colombie : plus de 12 500 morts depuis le début de l'année. La procureure générale de la république bolivarienne, Luisa Ortega, s'y est réfugiée avec son mari, German Ferrer, et un de ses acolytes de la DISIP, Gustavo Diaz. Elle aurait détourné 6 millions de dollars. Santos est impliqué dans le cas « Odebrecht » et aurait touché 1 million de dollars pour financer sa campagne de 2014. Ortega et Ferrer sont accusés d'avoir mis en place un réseau d'extorsion de fonds et d'être les mentors de la violence survenue ces derniers mois.
legrandsoir.info
legrandsoir.info
legrandsoir.info
- Brésil : Temer n'a, à ce jour reçu aucun mandat électif. Luisa Ortega s'y trouve aujourd'hui.
- Pérou : des milliers de morts. Luczynski a gouverné en 2016 avec 112 décrets sans aucune opposition législative.
- Honduras : qui se souvient de la répression sanglante lors de l'éviction du pouvoir de Zelaya en 2010.
- Argentine : Macri, impliqué dans les « Panama papers », et ses sbires ont fait disparaître Santiago Maldonado depuis plus de 15 jours. Milagro Sala est toujours prisonnière politique. frances.prensa-latina.cu
La question judicieuse à se poser pourrait être : A quels brigands et criminels avons-nous affaire ?
L'autre question est : Pourquoi le Venezuela est-il si important pour les Etats-Unis ?
La réponse est donnée dans une explication très pédagogique. facebook.com
Le processus constituant en cours au Venezuela est aussi la clé de voûte du projet de l'Avenir en commun. Comment pourrions-nous le désapprouver alors que nous revendiquons l'avènement d'une VI ème République basée sur le même processus ? C'est la raison pour laquelle il faut approuver la démarche et enfoncer le clou vers plus de démocratie. Il ne s'agit pas de donner un blanc-seing au régime en place et de considérer que ce qui se passe au Venezuela est applicable en France car le contexte et les histoires sont totalement différentes mais essayer de comprendre ne signifie pas approuver sans pour autant condamner comme le font les médias bien-pensants. S'en inspirer dans les grandes lignes en l'adaptant à ce que nous sommes ne peut pas être nuisible. Il convient dans ce domaine de faire preuve d'humilité.
C'est la raison pour laquelle il est de bon ton de revenir sur la partialité des médias sur les affrontements à Caracas. On nous montre des images de la répression des manifestants à Caracas quand, en France, on nous expose l'agressivité des manifestants auprès des forces de l'ordre. Les images sont choisies et orientées. La réalité est que les violences sont des deux côtés. Cependant, les rôles des agressés et des agresseurs sont inversés selon ce que l'on veut démontrer. A Paris, c'est un policier incendié avec un cocktail Molotov et à Caracas, un manifestant brutalisé par les forces de l'ordre. Il y eût, à Caracas, 130 morts en 4 mois, nous a-t-on matraqué durant des semaines. Comparons alors avec ce qui est comparable. Et ça n'a rien à voir avec le nombre de morts recensés au Mexique, en Colombie ou au Pérou et pas de mystérieux disparus non plus. Sinon, que ne pourrions-nous pas lire et entendre ? En réalité, sur les 130 morts, et un est toujours un de trop, il se trouve que moins de la moitié fait partie des manifestants et un nombre important parmi les forces de l'ordre. D'autres sont des passants, pris dans les affrontements qui, il faut en avoir conscience, ont été d'une extrême violence. Il faut savoir que des gens de couleur noire ont été brûlés vifs pour avoir été simplement soupçonnés d'être favorables au régime, ce qui est la marque d'une extrême droite raciste.
En fait, il s'agissait de quoi ? Simplement de savoir si le peuple voulait la convocation d'une Assemblée Constituante qui redéfinisse les règles du jeu démocratique et insuffle un renouveau dans la relation entre le peuple et leurs représentants c'est-à-dire de l'exercice de la souveraineté populaire à son indépendance et à son autodétermination.
Il va de soi que ce type de processus ne convient pas à la droite réactionnaire, encore moins à l'extrême droite aux ordres de Trump et de la CIA, ce qu'elle a, d'ailleurs officiellement reconnu.
Comment peut-on se prétendre démocrate si l'on ne respecte pas l'expression populaire par les urnes ? On entrerait alors de ce qui peut se qualifier de dictature. Il se trouve que c'est l'opposition qui refuse de se présenter aux suffrages des électeurs.
Pour finir, la légitimité du pouvoir est une grande question. Quand elle est usurpée par des coups de force, la question ne se pose guère. Mais, Trump, Macron et beaucoup d'autres sont-ils légitimes quand ils ne recueillent pas une majorité de voix comparativement au nombre d'inscrits ? En Colombie, en 1991, la participation au processus constituant a été de 27% soit 3,7 millions de voix sur 13,7. Au Venezuela, en 2017, 41% soit 8,1 millions de voix sur 19,4. Et le président colombien actuel ne reconnaît pas la légitimité de la consultation ? On peut ainsi s'interroger sur n'importe quel vote !
Il est clair que les évènements actuels au Venezuela dépassent largement les frontières du pays et concernent le devenir de l'Amérique Latine toute entière.
Jean-Michel Hureau