Jacques-Marie BOURGET
"28 Minutes" d'Arte se prend pour le lieu géométrique de la vérité. Pas un mot, pas un son, pas un signe de cette tribune qui ne soit vrai, authentique comme le camembert à la louche. Mardi 9 janvier la clique à Quin s'en est pris à Mélenchon accusé de "Fake". Manque de pot c'est celui qui le dit qui y est : Mélenchon a "bon" et les petits marquis d'Arte, "faux".
Le 4 septembre 2009 le journal « Le Parisien » nous faisait part d'une fondamentale et magnifique nouvelle : « La journaliste Elisabeth Quin a été nommée chargée de mission pour les industries de la haute couture et du prêt-à-porter auprès du ministre de l'Industrie, Christian Estrosi. » Editorialiste, « reporter sur la haute couture » et chroniqueuse culture à Madame Figaro, critique de cinéma à Paris Première, la journaliste a 46 ans... « Elle devra également exercer un rôle de veille en créant notamment un lien permanent entre les professionnels et le ministre ».
Je me demandais depuis longtemps où Elisabeth Quin qui, chaque soir lors de son émission « 28 minutes » sur Arte noie les naïfs qui la regardent d'un flot de bonnes pensées, je me demandais donc où la dame avait appris toutes ses certitudes ? Voilà, c'est chez Estrosi qu'elle a parfait son absence de doute. Faut dire qu'avoir pour patron un motodidacte vous conduit tout de suite soit dans le décor, soit dans le savoir. Heureusement le « trailbike » enfourché par Quin l'a lancée sur le chemin de la vérité. Bravo Elisabeth.
Bien sûr, son émission est le plus souvent un défilé masques et de faux culs, d'experts à double ou triple casquette jamais présentés comme tels. Un exemple vite fait. Les spectateurs béats de « 28 Minutes » ont-ils été informés qu'Anne Elisabeth Moutet, simplement et uniquement présentée comme « une journaliste travaillant pour la presse britannique » était aussi un pilier de « Gatestone », un institut étasunien. Un truc immonde qui, et c'est tant mieux, choque d'autres citoyens des EU. Ainsi dans le journal The Hill, J. Dana Stuster écrit : « Gatestone est paranoïaque en clamant que l'immigration en Europe est une « civilisation du djihad », le résultat d'une « invasion musulmane. » » Vous noterez que l'on frôle ici des thèmes chers à Christian, l'ancien maître-ministre avec lequel Quin devait faire « lien ». 1 Et j'ajoute que madame Moutet a parfaitement le droit de s'exprimer si l'auditeur est informé d'un CV plus complet.
Hier soir, les abonnés à la chasse au Mélenchon n'ont pas été déçus. Comme par hasard c'est lui qui est passé à l'impitoyable moulinette du « Fake News » si cher à Elisabeth. Rien de mieux qu'un journaliste pas totalement compétent pour tourner avec innocence la manivelle, comme le gamin que l'on envoie sous la table pour désigner à qui ira chaque part de la galette des Rois. Ici c'est Nadia Daam qui a fait l'enfant. Au bout de 28 minutes et 57 secondes de Vidéo, on entend Nadia nous dire que le patron des Insoumis a fait du « fake » quand il a « accusé les Américains d'avoir aidé Daech en Syrie ». Ouh là ! Que c'est faux et grave !
Patatras la chasseuse de « fake » tombe dans la fosse, ou plutôt la fausse. Pourtant sur le sujet les sources fiables, comme Seymour Hersh, multiple Prix Pulitzer, existent. Pour convaincre Nadia que Seymour est presqu'aussi fort que Delahousse, voici le début de sa notice Wikipédia : « Seymour Myron « Sy » Hersh est un journaliste d'investigation américain, né le 8 avril 1937 à Chicago, spécialisé dans les affaires militaires américaines et les services secrets. Il écrit notamment pour The New Yorker et le New York Times. » Pas vraiment le profil d'une machine à « Fake »...
« Il est à l'origine de nombreuses révélations comme le scandale des tortures de Abu Ghraib, prison en Irak, ou encore le massacre de Mỹ Lai au Viêt Nam pour lequel il obtient un prix Pulitzer. » Ça va comme ça ou il faut vous l'envelopper ? Et voici, au sujet des relations entre Washington et Daech en Syrie, un extrait d'un article consacré par Hersh à la politique que les Etats-Unis ont conduite au pays d'Assad :
« Le Rapport estimatif pointait la Turquie comme obstacle majeur à la politique d'Obama en Syrie. Le document montrait, selon ce conseiller, « que ce qui avait débuté comme une opération secrète pour armer et soutenir les rebelles modérés luttant contre Assad, avait été approuvé par la Turquie, et s'était transformé en un programme technique, militaire et logistique à cheval sur la frontière pour toutes les forces d'opposition, y compris Jabhat al-Nusra et l'État Islamique. Les soi-disant rebelles modérés s'étaient évaporés, et l'Armée syrienne libre n'était qu'un mirage stationné sur une base aérienne en Turquie. Le constat était peu réjouissant : il n'y avait aucune opposition modérée viable face à Assad, et les USA armaient des extrémistes. » Vous avez lu, comme Mélenchon, « Y compris Jabhat al-Nusra et l'Etat Islamique », (autre petit nom de Daech).
Mieux, pour blinder le dossier il suffit de s'en remettre à un entretien donné à la BBC par Hamad Ben Jassem (HBJ), ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de Qatar :
« Dès que les événements ont commencé en Syrie, je suis allé en Arabie Saoudite rencontrer le roi Abdallah à Riyad. Je lui ai dit : ça se passe comme ça en Syrie, il m'a répondu : « Nous sommes avec vous. Continuez ! Occupez-vous de cette affaire et nous nous coordonnons avec vous. Mais vous prenez l'affaire en main ».
« Et nous l'avons prise en main, je ne veux pas donner de détails, nous avons des tas de documents et preuves sur ce sujet. Tout ce qui partait en Syrie, allait en Turquie en coordination avec les forces spéciales américaines. Toute distribution se faisait par les forces américaines. Les turcs, nous-mêmes et nos frères syriens et tous les militaires étaient présents. Il y a eu, peut-être, une erreur quand on a soutenu un groupe... ». Du genre Daech ? Mais HBJ qui n'est pas fou affirme ne pas les connaitre.
Lors d'un point presse à Paris, un journaliste de France 2 a interrogé le président turc de passage chez Macron, interrogation sur le « double-jeu » que mènerait Ankara vis-à-vis du djihadisme. Recep Tayyip Erdogan, visiblement irrité, réplique au reporter : « Qui a envoyé des armes en Syrie ? Tu me poses cette question, mais les Etats-Unis ont envoyé 4 000 camions d'armes en Syrie. Pourquoi est-ce que tu ne me poses pas cette question ? 4 000 camions d'armes ont été apportés par les Etats-Unis, tu es journaliste, tu devrais le savoir. Tu devrais aussi poser des questions là-dessus. Pourquoi est-ce que tu ne me poses pas de questions là-dessus ? ».
Donc Mélenchon n'a écrit aucun « Fake » et « 28 Minutes » a raison de s'occuper de « reportages à la mode ».
Jacques-Marie BOURGET