Philippe ALAIN
Lors de ses voeux à la presse, le 3 janvier 2018, Emmanuel Macron s'est fendu d'une nouvelle promesse : afin de protéger la démocratie, il va légiférer sur la liberté de la presse et faire voter une loi contre les "fake news".
Comment ? Vous n'étiez pas au courant ? Et oui, on vient de l'apprendre, la France est menacée par un nouveau fléau dévastateur : une épidémie de fake news. Comme ces nouvelles épidémies qui nous valent maintenant d'injecter 11 vaccins à nos nourrissons pour le plus grand profit des laboratoires pharmaceutiques, pardon pour leur sauver la vie, une loi sera donc votée pour nous protéger de ceux qui remettent un peu trop en question les thèses officielles véhiculées par les médias aux mains de quelques milliardaires amis du pouvoir.
Cette annonce a néanmoins déclenché un tollé chez tous les journalistes qui se respectent car ils y voient clairement une volonté du pouvoir de mieux contrôler l'information. Tout le monde l'a bien compris, sous prétexte d'empêcher des médias étrangers d'influencer l'opinion publique française, Macron veut en réalité mettre au pas l'ensemble de la profession et contrôler la diffusion des informations qui pourraient mettre en difficulté le pouvoir.
Face à la levée de boucliers unanime, Macron a donc envoyé ses petites mains assurer le service après-vente. Parmi eux, on retrouve Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement qui enchaîne les plateaux télés et radios. Le 6 janvier, sur ONPC de France 2, il évoque le sujet en affirmant : "les informations les plus partagées sont souvent des informations totalement fausses". Il appuie son argumentation en évoquant... les groupes terroristes. Bouh, vous avez compris ? Vous avez peur maintenant, non ?
"Si demain un milliardaire étranger ou un groupe terroriste avec des fonds importants décidaient de sponsoriser des contenus diffamant tel ou tel candidat, ils peuvent librement le faire sur les plates-formes alors qu'un candidat, aujourd'hui, vous ne pouvez pas, vous, sponsoriser vos propres contenus sur le web..." (sic) (1)
Ah oui, c'est nouveau, ça vient de sortir, pour 2018, les groupes terroristes arrêtent les attentats. Ils se consacreront désormais aux fake news, d'où l'importance d'une loi.
Comment ? Vous pensez que les hommes politiques se foutent de notre gueule ? Vous avez bien raison.
Benjamin Griveaux est un ancien socialiste qui a participé activement à la campagne de Dominique Strauss-Kahn en 2006. En 2012, il a même fait partie du cabinet de Marisol Touraine, ministre socialiste de la santé du gouvernement Valls. Cet illustre ex-socialiste a publié un livre intitulé : "salauds de pauvre". Si vous observez attentivement la couverture, vous découvrirez le nom de l'éditeur : Fayard et juste au dessus un logo avec une mention : "Fondation Jean Jaurès".
Attention, la manipulation ne fait que commencer.
Que se passe-t-il le 7 janvier ? 4 jours après l'annonce de Macron, le lendemain de l'argument massue du porte-fake news ? La Fondation Jean Jaurès, tiens, tiens, la même qui a sponsorisé le livre de Benjamin Griveaux, sort une "étude" intitulée : "le conspirationnisme dans l'opinion publique française" dont la principale conclusion, reprise en boucle par l'ensembles des médias mainstream est la suivante : "8 français sur 10 croient à au moins une théorie du complot". Quelle coïncidence, non ? Pour être parfaitement rigoureux, cette étude a été commanditée par la Fondation Jean Jaurès mais également par un site aux faux airs anglo-saxons : "Conspiracy Watch", site internet fondé en 2007 par Rudy Reichstadt,... membre de... non ? et si.. membre de la Fondation Jean Jaurès...
Intéressons-nous donc à la Fondation Jean Jaurès.
Officiellement, la Fondation Jean-Jaurès se décrit à la fois comme "un think tank, un acteur de terrain et un centre d'histoire au service de tous ceux qui défendent le progrès et la démocratie dans le monde." En réalité, la Fondation Jean Jaurès est un think tank fondé sous l'impulsion de Pierre Mauroy, ancien premier ministre de François Mitterand. On trouve dans son conseil d'administration bon nombre de socialistes comme Jean-Marc Ayrault, Vincent Peillon ou Bruno Le Roux, mais plus surprenant, devinez qui occupe jusqu'en mai 2017 le poste de secrétaire général ? Gérard Collomb... Aujourd'hui ministre de l'intérieur de Macron. Pour la petite histoire, avec Gérard Collomb qui est toujours membre du Conseil d'Administration, on trouve également au poste d'administrateur, monsieur Christophe Carol, qui aussi est chef du bureau des associations et fondations au ministère de l'intérieur. Bonjour le conflit d'intérêts. (2)
Côté financement, ça vaut aussi son pesant de cacahuètes. La Fondation Jean Jaurès se vante d'être indépendante. Ah bon ? Le budget voté le 21 décembre 2016 est de 2 730 000 €. 1 000 000 d'euros de recettes proviennent des services généraux du premier ministre" et 878 000 € proviennent de subventions publiques. Autrement dit, l'Etat finance la Fondation Jean Jaurès à hauteur de 70% de son budget. Les ressources propres : publications, dons... ne représentent que 6% des recettes.
Bref, la Fondation Jean Jaurès est une véritable "organe d'influence", une officine de propagande d'Etat qui n'ose pas dire son nom.
Ca y est ? Vous comprenez mieux la manipulation ?
Bien évidemment, tous les médias vont reprendre en boucle les informations de la fameuse étude censée démontrer que les Français sont des adeptes inconditionnels des fake news et du conspirationnisme. Libération, qui appartient, comme L'Express, l'Expansion, BFM et RMC à Patrick Drahi, le milliardaire Franco-Israélien, fait la une sur le sujet en titrant son édition du 9 janvier : "Complotisme : le côté obscur de la France". Le soir même, Europe 1, propriété du milliardaire Arnaud Lagardère consacre un débat au fake news. Bref, tout le monde s'y met et ne parle que de ça ou presque pendant plusieurs jours.
Voilà, la boucle est bouclée. Aucun journaliste n'aura remarqué la supercherie, ou du moins, aucun ne s'est intéressé au véritable commanditaire de l'étude.
Sur le fond du sujet, précisons simplement deux ou trois choses.
Aux Etats-Unis, Hillary Clinton a dépensé pour sa campagne 1,2 milliards de dollars, la plus grosse somme jamais dépensée dans l'histoire des Etats-Unis lors d'une campagne électorale pour finalement se faire battre. Alors il va falloir qu'on nous explique comment un Etat étranger peut dépenser quelques milliers de dollars en contenus sponsorisés sur Facebook et Twitter et faire basculer le résultat de l'élection américaine. Enfin, c'est surtout à Hillary qu'il faudra l'expliquer car apparemment, elle n'est pas au courant et elle aurait bien aimé connaître la recette pour se l'appliquer à elle-même.
En Angleterre, une commission parlementaire a décidé de demander des comptes à Facebook et Twitter concernant une possible ingérence russe dans le Brexit. Dans un courrier adressé à la commission fin décembre, Facebook révèle, après vérifications, que le principal compte russe supposé avoir payé des publicités afin d'influencer le vote lors du brexit n'a dépensé que... 1 dollar... A peine mieux du côté de Twitter qui ne relève que 6 tweets sponsorisés par Russia Today pour une valeur d'environ 1 00 dollars. (3)
Enfin, pour tous ceux qui l'auraient oublié, la plus grande, la plus énorme, la plus gigantesque des fake news jamais inventée n'est pas l'oeuvre d'un journal, d'une télévision ou d'une radio, c'est l'oeuvre d'un Etat. En l'occurrence, l'Etat américain, sous l'administration Bush. Rappelez-vous, c'était le 5 février 2003 devant les Nations-Unies à New-York. Pendant 80 minutes, Colin Powell se livre à un véritable réquisitoire contre l'Irak, il montre des photos satellite, il brandit un flacon d'anthrax et explique que Sadam Hussein est en train de fabriquer une bombe nucléaire. (4)
On connaît la suite, le 20 mars 2003, les forces armées américaines envahissent l'Irak qu'elles occuperont pendant 8 ans avant de se retirer le 18 décembre 2011, pour un coût estimé à 3 000 milliards de dollars. 10 ans après, à l'occasion de la publication d'un livre, Colin Powel avoue à propos des armes de destruction massive que "Saddam Hussein... n'en possédait pas un gramme". Et oui, tout cela n'était qu'un énorme mensonge destiné à justifier l'invasion américaine et le pillage du pétrole irakien. Juste une fake news en fin de compte.
Et si vous pensez que seuls les américains sont capables de manipuler ainsi les peuples, rappelez-vous de l'affaire du sang contaminé ou du nuage radio-actif de Tchernobyl qui avait touché toute l'Europe mais s'était miraculeusement arrêté aux frontières de la France.
En résumé : le 4 janvier, Macron annonce une nouvelle forme de censure contre les médias ; les jours suivants, le porte-parole va expliquer sur les plateaux que c'est indispensable pour se protéger, par exemple des groupes terroristes et le 7 janvier, une officine de propagande financée par l'Etat nous pond une étude qui démontre que nous sommes tous atteints de complotisme aigu et que, par conséquent, une cure de désintoxication s'impose. Diffusée en boucle par tous les médias, cette "étude" vient clore le débat et faire taire tous ceux qui s'étaient pourtant offusqués quelques jours plus tôt de l'annonce d'une nouvelle mesure liberticide.
Voilà un parfait exemple de manipulation de l'opinion publique par l'Etat lui-même.
Jamais personne n'aura autant de moyens médiatiques, humains, financiers et politiques permettant de réussir de telles manipulations. Tous les producteurs de "fake news" devraient s'en inspirer et tous les journalistes devraient s'en rappeler.
Chapeau bas, monsieur Macron. Opération parfaitement réussie. Personne ne vous arrivera jamais à la cheville en matière de manipulation, sauf bien évidemment monsieur Bush.
Philippe Alain
(1)
(à 3'50)(2) jean-jaures.org
(3) buzzfeed.com
(4) ina.fr