01/05/2018 les-crises.fr  10 min #140764

«L'espace est une zone de combat» : Trump évoque de nouveau la création d'une armée spatiale

Trump soutient la « Force spatiale » pour faire la guerre et dominer dans l'espace

Source :  Dennis J. Bernstein, Consortium News, 20-03-2018

Les appels de Trump pour une nouvelle « Force spatiale » pourraient accroître le potentiel d'un affrontement armé entre les États-Unis et des puissances étrangères, comme la Chine et la Russie, rapporte Dennis J. Bernstein dans cet entretien avec le militant pour la paix Bruce Gagnon.

Dans les quelques moments de rêve entre ses différents drames personnels et drames d'État, Trump a fait planer l'idée de créer une « Force spatiale » pour mener des guerres dans l'espace. Bruce Gagnon est inquiet. Jeudi dernier, le 15 mars, Gagnon, coordonnateur du  Réseau mondial contre les armes et l'énergie nucléaire dans l'espace, a déclaré : « L'industrie aérospatiale voit une occasion d'accroître sa capacité de profit par la création d'une nouvelle "Force spatiale" qui dirigerait le programme militaire américain en expansion dans l'espace. »

Image de la planète Terre tirée d'Apollo 17

« L'industrie », poursuit M. Gagnon, « a poussé le Congrès à autoriser ce nouveau service distinct, tandis que les dirigeants de la Force aérienne se sont opposés au plan en prétendant qu'il augmenterait l'inefficacité et la bureaucratie. Dans la récente NDAA [National Defense Authorization Act], il a été demandé à l'Air Force de se concentrer davantage sur l'espace et d'en faire une priorité plus élevée ».

Lorsque je suis arrivé chez Gagnon dans le Maine, il était au 31e jour d'une g rève de la faim pour protester contre un projet de loi d'aide à l'entreprise pour General Dynamics dans le Maine, où il vit. Néanmoins, il était assez fort et cohérent quant à son opposition au programme agressif et très coûteux des États-Unis en vue d'une domination totale dans l'espace.

Et il met en garde contre le pouvoir de l'industrie aérospatiale pour contrôler la situation. « L'année dernière, un projet de loi visant à créer une "Force spatiale" distincte a été adopté par la Chambre, mais n'a pas été approuvé par le Sénat ». L'appui de Trump au concept de « Force spatiale » indique que l'industrie aérospatiale a trouvé un solide allié à la Maison-Blanche et que les pressions exercées sur le Sénat pour qu'il approuve le plan vont maintenant augmenter de façon spectaculaire.

J'ai parlé à Gagnon dans le Maine le mercredi 14 mars 2018.

Dennis Bernstein : Vous êtes au 31e jour d'une grève de la faim. Parlez-nous de la grève et de la raison pour laquelle elle a lieu.

Bruce Gagnon : General Dynamics, qui possède Bath Iron Works dans ma ville natale de Heron, Maine, construit des destroyers pour la marine, qui sont envoyés pour encercler la Russie et la Chine avec des systèmes de défense antimissile. General Dynamics exige de notre État très pauvre 60 millions de dollars que nous n'avons pas. Ils n'en ont pas besoin, ils ont fait 3 milliards de dollars de profits l'an dernier. Ils demandent aussi 150 millions de dollars au Connecticut et ils ont déjà reçu 20 millions de dollars du Rhode Island. J'ai organisé une campagne dans tout l'État pour essayer de bloquer cela.

DB : Comment allez-vous, au fait ?

BG : Eh bien, mon esprit s'embrouille un peu plus, comme vous le remarquerez probablement dans cette interview.

DB : Pourquoi une grève de la faim ? Pourquoi mettre votre vie en jeu ?

BG : Je l'ai fait pour deux raisons. Premièrement, lorsque je suis revenu d'une audience publique sur ce projet de loi devant le Comité de la fiscalité de notre capitale, je jurais pendant tout le chemin du retour à la maison. J'ai dit ce soir-là que si je n'entame pas une grève de la faim, je vais avoir une crise cardiaque avant que tout cela ne soit terminé.

La raison politique en est que, puisque ce projet de loi est parrainé par deux démocrates de notre communauté locale et qu'il a l'appui de la direction du Parti démocrate, beaucoup de groupes de front démocrate de l'État qui travaillent sur la justice sociale se sont fait dire de ne pas s'en mêler. C'est donc vraiment la communauté de la paix qui organise tout cela. Je savais que si je faisais une grève de la faim, plus de gens seraient inspirés pour s'impliquer.

DB : Parlez-nous de ce nouveau concept de « force spatiale ». Qu'est-ce que c'est, qu'est-ce que c'est censé faire, et en avons-nous vraiment besoin ?

BG : Comme l'armée de l'air, l'armée de terre ou la marine, il s'agit d'une branche séparée de l'armée. Ce sont les gens de l'industrie aérospatiale qui font vraiment pression pour cela. Ils savent que s'ils peuvent établir une entité distincte, ils peuvent faire encore plus d'argent. On dit depuis longtemps que « Star Wars » serait le plus grand projet industriel de l'histoire.

Dans une publication de l'industrie, il y a des années, ils ont écrit qu'ils devraient trouver une source de financement spécialisée pour payer tout cela et ils l'ont appelé le programme d'admissibilité. C'est la raison pour laquelle nous voyons aujourd'hui au Congrès des efforts pour financer ces programmes et transférer l'argent dans ce programme très coûteux de la « Guerre des étoiles ».

Le chef d'état-major de la Force aérienne, le général David Goldfein, a récemment déclaré aux journalistes : « La nation s'attend à ce que sa Force aérienne possède l'ultime position de domination et atteigne la supériorité spatiale, ce qui, comme la supériorité aérienne, signifie la liberté d'attaquer et la liberté de manœuvrer ». Alors que les États-Unis encerclent militairement la Russie et la Chine aujourd'hui, essayant d'amener un changement de régime dans ces pays, la supériorité spatiale devient un élément central de toute cette stratégie.

Dans le dernier NDAA [National Defense Authorization Act], il y avait une disposition qui disait que l'armée de l'air devait faire plus d'efforts dans le domaine spatial. Le projet de loi a été adopté à la Chambre, puis renvoyé au Sénat où il a échoué, en grande partie parce que la Force aérienne s'y oppose, disant qu'il créera des inefficacités et plus de bureaucratie.

Mais à la suite du dernier vote de la NDAA, une division a été créée au sein de l'armée de l'air qui dirigera le commandement spatial américain et sera basée à Washington. Cela s'inscrit dans le cadre d'un effort plus large de la Force aérienne pour se conformer à ce mandat législatif de se concentrer sur l'espace et d'en faire une priorité élevée. L'industrie aérospatiale pousse fort et a beaucoup de pouvoir à Washington et, comme nous l'avons vu, Ils ont l'oreille de Trump.

DB : Les graines de ce genre de programme ont été semées depuis au moins Clinton avec la tentative de contrôler le monde entier depuis l'espace.

BG : La plupart des gens pensent au programme SDI [Strategic Defense Initiative] initié sous Reagan. Quand Clinton est arrivé, il a essentiellement annoncé que nous ferions fermer le SDI. Mais ce que les gens ne savaient pas, c'est qu'il a essentiellement transféré le financement à un programme appelé BMDO [Ballistic Missile Defense Organization], qui a fait la même recherche et le même développement. Quand George W. Bush est devenu président, il a changé le nom de nouveau, pour devenir Missile Defense Agency. Nous entrons maintenant dans de tout nouveaux domaines de développement de la technologie des armes spatiales.

De toute évidence, la Russie ne le souhaite pas. Ils se rendent à l'ONU depuis les années Clinton, suppliant les États-Unis de se joindre à eux dans la négociation d'un traité appelé PAROS, Prévention d'une course aux armements dans l'espace extra-atmosphérique. La position des États-Unis a toujours été qu'il n'y a pas de course aux armements et qu'il n'est donc pas nécessaire de négocier ce traité.

DB : Ce programme a tout à voir avec le genre de revendications que le nouveau secrétaire d'État [Mike Pompeo] va défendre [s'il est approuvé par le Congrès]. Il s'agit de contrôler les puissances de ce nouveau siècle par le biais d'une domination totale dans l'espace. C'est ce qui se passe vraiment dans les coulisses lorsque les États-Unis menacent la Corée du Nord en tant qu'agresseur.

BG : C'est exact. La Corée du Nord est un théâtre secondaire pour justifier les investissements massifs des États-Unis dans la technologie de l'armement dans la région. Rappelez-vous que ce sont Hillary Clinton et Barack Obama qui ont créé le « Pivot to Asia », par lequel nous déplacerions 60% des forces militaires américaines en Asie pour encercler à la fois la Chine et la Russie.

En conséquence, ils ont besoin de plus de ports d'escale pour leurs navires, comme sur l'île de Jeju, ils ont besoin de plus de terrains d'aviation comme nous le voyons à Okinawa, plus de casernes pour les soldats américains comme ceux qui sont en construction à Darwin, en Australie. Et maintenant, nous voyons l'OTAN s'étendre dans la région Asie-Pacifique.

DB : Le pire pollueur du monde est l'armée américaine. Les États-Unis se sont retirés du traité ABM [Anti-Ballistic Missile] en 2002 et depuis lors, ils ont la « suprématie » totale.

BG : Il s'agit en fait de la Chine et de la Russie qui disent : « Nous voulons un monde multipolaire où de nombreux pays participent à l'économie mondiale et s'occupent des questions de sécurité de la planète ». Les États-Unis reconnaissent qu'ils n'ont que deux ou trois ans pour essayer de faire tomber la Russie et la Chine avant qu'ils n'atteignent un point où ils ne peuvent plus être démantelés.

Ce que Poutine a dit, c'est que nous ne voulons pas de guerre, mais nous n'allons pas vous laisser contrôler et dominer l'espace. La défense antimissile est en réalité le bouclier que les États-Unis utiliseront après avoir lancé une première frappe.

DB : General Dynamics peut-il tirer profit de ce scénario de « force spatiale » ?

BG : Oh, oui. Ces destroyers qu'ils construisent dans ma communauté sont équipés d'un de ces systèmes de défense antimissile, appelés intercepteurs SM3. Ils stationnent les navires très près de la Russie et de la Chine afin de pouvoir déclencher une frappe de représailles. Ils mettent également ces systèmes sur le terrain en Roumanie et en Pologne, jusqu'à la frontière avec la Russie.

DB : L'industrie a-t-elle en fait acheté le Congrès pour faire avancer ce nouveau programme spatial ?

BG : Absolument, républicains et démocrates. C'est la réalité de l'Amérique. Nous avons été vidés et transformés en un pays qui fabrique des armes. Notre principal produit d'exportation aujourd'hui est l'armement. Que devient alors votre stratégie marketing globale ?

DB : Comment estimeriez-vous le montant d'argent qui est aspiré dans cette économie de guerre permanente ?

BG : Tout compte fait, nous dépensons un billion [1 billion, en échelle longue comme en France, = mille milliards] de dollars par an pour l'armée. C'est un montant énorme et c'est pourquoi il n'y a pas d'argent pour les programmes sociaux, pour l'assainissement de l'environnement, pour la lutte contre les changements climatiques. Les dépenses militaires sont de loin le pire moyen de créer des emplois.

Dennis J. Bernstein est un animateur de "Flashpoints" sur le réseau de radio Pacifica et l'auteur de  Special Ed : Voices from a Hidden Classroom. Vous pouvez accéder aux archives audio à l'adresse  www.flashpoints.net.

Source :  Dennis J. Bernstein, Consortium News, 20-03-2018

Traduit par les lecteurs du site  www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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