26/05/2018 les-crises.fr  10 min #141762

Les Palestiniens sont des êtres humains, pas des cibles

Après le massacre de Gaza, les dirigeants israéliens devraient être poursuivis pour crimes de guerre. Par Marjorie Cohn

Source :  Marjorie Cohn, Consortium News, 08-04-2018

Selon Marjorie Cohn, après que les soldats israéliens ont massacré des manifestants sans armes à Gaza, les dirigeants du pays devraient être poursuivis par la Cour pénale internationale.

Le 30 mars, les soldats de l'IDF, l'armée israélienne, ont tiré sur 773 manifestants palestiniens sans armes à Gaza, en tuant 17 et en blessant 140 dont vingt sont toujours dans un état critique. Les manifestants défilaient pour exiger  le droit reconnu internationalement de retour des réfugiés dans leurs villes et leurs villages d'origine, qui se trouvent maintenant en territoire israélien.

Les dirigeants israéliens qui ont ordonné ce massacre ont clairement enfreint le droit international et ils devraient être poursuivis pour crimes de guerre.

Usage prémédité de la force contre des manifestants pacifiques.

Le recours à des armes meurtrières contre des manifestants pacifiques était prémédité. L'IDF [Israël Defence Forces : Armée israélienne, NdT] a déployé 100 snipers aux barrières de la frontière entre Gaza et Israël, où 30 000 à 40 000 Palestiniens se sont rassemblés pour « la Grande Marche du retour » ; Dans un tweet accablant, effacé plus tard, l'IDF a écrit : « Rien n'a eu lieu indépendamment de notre volonté, tout a été fait avec précision et mesure, et nous savons qui a touché chaque balle. »

Djihad al Djouaidi, le directeur de l'unité de soins intensifs de l'hôpital Shifa de Gaza,  a déclaré à al Jazeera que tous les blessés qui sont arrivés à l'hôpital avaient été blessés à la tête, aux articulations des hanches ou à celles du genou. « Ce type de blessures montre que les forces israéliennes ont tiré pour tuer ou pour provoquer des handicaps. »

B'Tselem, une organisation de défense des droits de l'homme basée à Jérusalem,  a qualifié les ordres de l'armée comme « une invitation à tirer pour tuer les Palestiniens non armés qui prenaient part à ces manifestations. »

« Les soldats israéliens n'ont pas fait seulement un usage excessif de la force, mais ont apparemment obéi à des ordre qui assuraient pratiquement un bain de sang provoqué par l'armée en réaction aux manifestations palestiniennes »,  a affirmé Eric Goldstein, directeur adjoint de l'HRW, l'Human Rights Watch, pour le Moyen-Orient et l'Afrique.

De hauts gradés de l'armée israélienne  ont déclaré à Haaretz avant la manifestation qu'un grand nombre de victimes était « un prix que nous serions décidés à payer pour empêcher une brèche » dans les barrières de la frontière.

Les dirigeants israéliens ont encouragé les faux récits prétendant que le Hamas soutenait cette manifestation. Jason Greenblatt, l'envoyé des États-Unis pour les négociations israélo-palestiniennes, leur a emboîté le pas en tweetant : « Le Hamas encourage en ce moment même une marche hostile à la frontière entre Israël et Gaza » et il a accusé le Hamas « d'inciter à la violence contre Israël ».

Mais, en fait, la manifestation était organisée par plusieurs organisations de la société civile palestinienne. « Aucune faction palestinienne, aucune organisation, aucun groupe ne peuvent revendiquer cette marche. Le Hamas n'a fait que suivre le mouvement »,  écrit Jamil Khader dans Mondoweiss. Les drapeaux étaient des drapeaux palestiniens, pas des drapeaux de telle ou telle faction.

En amalgamant terroristes et civils et en présentant une réaction planifiée comme une protection contre un risque de sécurité, les autorités israéliennes ont ainsi pu parler de Gaza comme d'une « zone de combat ».

L'emploi d'armes meurtrières n'est légal qu'en cas de menace vitale imminente.

Selon le droit humanitaire international, il est illégal de tirer sur des civils sans armes. Des manifestants ont lancé des pierres et brûlé des pneus près des barrières de la frontière. Cependant l'HRW  n'a trouvé « aucune preuve qu'un manifestant ait utilisé des armes à feu ou ait menacé d'en faire usage comme le prétend l'armée israélienne ». Aucun soldat israélien n'a été tué et « l'armée n'a pas fait savoir qu'un de ses soldats avait été blessé ».

Netanyahou : « Bravo à nos soldats ». (photo du gouvernement israélien)

« Même si un Palestinien lançait une pierre, les risques qu'un tel acte, dans de telles conditions, présente une menace vitale imminente - seule situation dans laquelle, d'après le droit international, l'usage d'armes meurtrières se justifierait - sont infinitésimaux »,  écrit dans le Huffington Post Youssef Mounayyer, administrateur de la campagne états-unienne pour les droits palestiniens. « En fait, même si des Palestiniens essayaient d'escalader les barrières, cela ne donnerait pas pour autant à Israël le droit de faire usage d'armes meurtrières. »

Sarah Leah Wilson, directrice de l'HRW pour le Moyen-Orient et le Maghreb partage cet avis et déclare « les allégations israéliennes selon lesquelles certains manifestants se sont montrés violents ne changent pas ce fait : l'usage d'armes meurtrières est interdit par le droit international sauf en cas de menace vitale imminente. »

En effet, les principes fondamentaux des Nations Unies sur l'usage de la force et des armes à feu par les forces de l'ordre le spécifient, « on ne peut faire un usage intentionnel et meurtrier d'armes à feu que lorsque cela se révèle totalement inévitable pour protéger des vies ».

« Des dirigeants israéliens de haut niveau qui ont appelé illégalement à l'usage de balles réelles contre les manifestants palestiniens qui ne constituaient aucune menace vitale imminente portent la responsabilité » des morts et des blessés,  a affirmé l'HWR dans un communiqué. Cette condamnation inclut le premier ministre israélien, le ministre de la Défense et le chef d'État major.

B'Tselem, qui a appelé les soldats israéliens à désobéir à des ordres manifestement illégaux,  a évoqué ce devoir légal de désobéir à des ordres illégaux : « C'est aussi un délit pénal d'obéir à des ordres manifestement illégaux. En conséquence, tant que les soldats sur le terrain continueront à recevoir l'ordre d'utiliser des balles réelles contre des civils sans armes, ils ont le devoir de refuser de s'y soumettre ».

Les dirigeants israéliens devraient être poursuivis par la Cour pénale internationale.

Les dirigeants israéliens responsables des morts et des blessés le 30 mars devraient être poursuivis à la Cour pénale internationale.

Selon la Quatrième convention de Genève, une puissance occupante a légalement le devoir de protéger les ressortissants du pays occupé. De graves infractions à cette convention constituent des crimes de guerre, parmi ceux-ci homicide volontaire, grandes souffrances ou graves blessures intentionnelles, des attaques dirigées intentionnellement contre la population civile, et le lancement intentionnel d'attaques dont on sait qu'elles seront à l'origine de la mort de civils ou de blessures contre ces mêmes civils. L'armée israélienne s'est rendue coupable de chacun de ces graves délits le 30 mars.

En outre, selon le droit humanitaire international, elle a échoué à respecter les principes de distinction et de proportionnalité. La distinction demande aux parties d'un conflit de diriger leurs attaques seulement contre ceux qui prennent part aux hostilités. La proportionnalité interdit d'attaquer si les dommages infligés à la population civile vont se révéler plus importants que les bénéfices espérés de l'attaque. Or l'armée israélienne a violé chacun de ces deux principes le 30 mars.

Une commission d'enquête indépendante mise sur pied par le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies pour enquêter sur le massacre perpétré en 2014 par les israéliens à Gaza  a recensé 2 251 Palestiniens dont 1 462 civils morts et 11 231 blessés. Du côté israélien, 6 civils et 67 soldats ont été tués et on déplore 1 600 blessés. La commission a conclu qu'Israël, et, dans une moindre mesure, les groupes armés palestiniens, avaient probablement violé le droit humanitaire international et celui des droits de l'homme, se rendant ainsi coupables de crimes de guerre.

Actuellement, la procureure de la Cour pénale internationale, Fatou Bensouda, conduit un examen préliminaire sur le massacre de 2014. Elle devrait élargir son enquête pour y inclure les événements du 30 mars 2018.

Il faudrait enquêter sur les veto des États-Unis.

Le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, et la cheffe de la diplomatie de l'Union européenne, Federica Mogheni, ont encouragé des enquêtes indépendantes au sujet de l'usage d'armes meurtrières par l'armée israélienne à la frontière le 30 mars. Cependant le jour qui a suivi le massacre, les États-Unis ont opposé leur veto à une résolution du Conseil de sécurité qui demandait une « enquête indépendante et transparente » et affirmait le droit des Palestiniens à manifester de façon pacifique.

Avigdor Lieberman, le ministre de la Défense d'Israël, a déclaré que les soldats de l'IDF « méritaient une médaille » pour avoir protégé la frontière. « En ce qui concerne une commission d'enquête, eh bien, il n'y en aura pas » a-t-il affirmé sur la radio de l'armée israélienne.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a fait l'éloge de ses troupes qui « ont protégé les frontières du pays » et permis « aux citoyens israéliens de célébrer en paix la Pâque juive », avant d'ajouter « Bravo à nos soldats ».

Le rabbin Alissa Wise, directrice adjointe de la Jewish Voice for Peace (la voix juive pour la paix), a fait remarquer dans un communiqué : « Quelle que soit la façon dont les Palestiniens affirment leurs droits fondamentaux et quel que soit le moment, l'armée israélienne va évidemment les considérer comme violents et les traiter avec une violence meurtrière ».

Cependant les manifestations palestiniennes sont prévues pour durer jusqu'au 15 mai, le jour où les Palestiniens commémorent la Nakba ou la « grande catastrophe » de 1948-1949, moment où les Israéliens ont expulsé 800 000 Palestiniens de leurs terres pour que soit fondé l'État d'Israël. Environ 70% des 1 300 000 habitants de Gaza sont des réfugiés.

« Pour moi, la seule façon d'avancer vraiment est de reconnaître qu'il y a à tout cela une cause profonde : 70 ans de Nabka », a déclaré Alissa Wise.

Copyright  Truthout. Reproduit avec autorisation

Marjorie Cohn est professeur émérite à la Faculté de droit Thomas Jefferson, ancienne présidente de l'Association nationale des avocats, secrétaire adjointe de l'Association internationale des avocats démocrates, membre du Conseil consultatif des Vétérans pour la paix et membre de la Jewish Voice for Peace.

Source :  Marjorie Cohn, Consortium News, 08-04-2018

Traduit par les lecteurs du site  www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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