Alors qu'Israël a tué de sang froid plus de 50 Palestiniens qui manifestaient contre la décision de transfert de l'ambassade américaine lundi, Joe Lauria affirme que les médias américains n'ont pas relaté précisément les événements qui ont eu lieu à Gaza ; une fois de plus, les médias US se sont contentés de protéger la ligne gouvernementale.
Source : Joe Lauria, Consortium News,14-05-2018
Typique de l'état d'esprit des médias « mainstream », voici un tweet de CNN qui rend compte de ce qui s'est passé à Gaza lundi alors que des soldats israéliens ont tué plus de 50 manifestants Palestiniens : « Le nombre de morts s'élève à au moins 52 personnes au cours des affrontements le long de la barrière frontalière entre Israël et Gaza, disent les responsables palestiniens. Plus de 2 400 personnes ont été blessées ». Le nouveau slogan de CNN étant « #FactsFirst », « Les faits d'abord ».
Adam Johnson, qui écrit pour « Fairness and Accuracy in Reporting » [Équité et Exactitude dans le Journalisme, une organisation de « surveillance du journalisme » ( fair.org, NdT] a tweeté en réponse à CNN.
« Cette formulation résume tout :
- "Le nombre des morts augmente" - personne n'a été tué, personne en particulier n'a commis de meurtre, le nombre de morts "augmente" juste mystérieusement
- le terme "affrontements" qui fait disparaître toute l'asymétrie du rapport de force
- "2 400 personnes ont été blessées" - Ces 2 400 personnes sont toutes palestiniennes, mais allons-y pour les "les gens" ».
Craig Murray, ancien ambassadeur britannique en Ouzbékistan a expliqué sur son blog qu'après avoir recherché le mot « massacre » sur Google News, il n'y a trouvé aucune référence à Gaza.
Lundi, le New York Times titrait : « Des dizaines de Palestiniens sont morts dans des manifestations alors que l'ambassade US se prépare à ouvrir à Jérusalem ». Le journaliste Glenn Greenwald a répondu : « Grâce à des années de pratique, la plupart des médias occidentaux sont devenus très doués pour écrire des gros titres et décrire les massacres israéliens à la forme passive afin d'en cacher le coupable. Mais le champion de tous les temps a longtemps été, et reste, le New York Times. #SontMorts. »
(peut être à cause des pressions exercées par Greenwald et d'autres, le Times a changé son titre lundi soir en « Israël tue des dizaines de personnes à la frontière de Gaza alors que l'ambassade US ouvre ses portes à Jérusalem)
Un autre titre de CNN se contente de : « Des douzaines de personnes meurent à Gaza ». Le journaliste Max Blumenthal a répondu : « Peut-être qu'ils étaient vieux. Ils étaient peut-être très malades. Ils se sont juste levés et sont ils morts ! Qui donc réussira à élucider ces morts mystérieuses ? »
Blumenthal proposera plus tard une explication à ce mystère : « Selon la Maison Blanche, le Hamas aurait lancé 41 manifestants sur d'innocentes balles israéliennes ».
La projection
C'est une chose que de récuser la responsabilité d'Israël, c'en est une autre que de la faire porter par la victime. L'ambassadeur d'Israël, Danny Danon, a appelé lundi le Conseil de sécurité de l'ONU à « condamner le Hamas pour ses crimes de guerre », parce que « chaque victime à la frontière est une victime directe du Hamas ».
Il a déclaré dans un communiqué publié par la mission de l'ONU en Israël :
« Condamnez le Hamas pour les crimes de guerre qu'ils commettent. Non seulement le Hamas incite des dizaines de milliers de Palestiniens à franchir la frontière pour attaquer des civils israéliens, mais il met aussi délibérément en danger les civils palestiniens. Le meurtre de civils israéliens, tout comme la mort du peuple de Gaza, est une issue que le Hamas appelle de ses vœux. Chaque victime à la frontière est une victime des crimes de guerre du Hamas, chaque mort est le résultat de l'activité terroriste du Hamas, et seul le Hamas porte la responsabilité de ces victimes. »
Présenter les choses ainsi, c'est permettre aux autorités israéliennes de s'en tirer les mains propres, malgré le bain de sang, surtout si vous craignez qu'Israël soit accusé de crimes de guerre pour ses actions de lundi. Danon a parlé d'une « brèche dans la frontière ». Cependant, il est pratiquement impossible d'entrer ou de sortir de Gaza sans l'autorisation d'Israël. Dans l'esprit de Danon, les cerfs-volants en flammes qui ont survolé la frontière constituent une soi-disant « brèche », pour près de deux millions de Gazaouis palestiniens soumis à un blocus économique non reconnu à l'échelle internationale.
Il ferait bien de méditer sur les paroles de Moshe Dayan, l'un des Pères Fondateurs d'Israël, qui a dit en 1956 :
« Quelle raison avons-nous de nous plaindre de leur haine féroce envers nous ? Depuis huit ans maintenant, ils sont assis dans leurs camps de réfugiés à Gaza, et sous leurs yeux, nous faisons notre pays des terres et des villages dans lesquels eux et leurs ancêtres ont vécu ». Il a continué : « Nous sommes une génération de colons, et sans le casque d'acier et le canon du fusil, nous ne pourrions ni planter un arbre, ni construire une maison... N'ayons pas peur de voir la haine qui accompagne et consume la vie de centaines de milliers d'Arabes qui s'assoient tout autour de nous et attendent le moment où ils pourront, de leurs mains, faire couler notre sang. »
Aujourd'hui, 61 ans plus tard, plutôt que de laisser son statut en négociation, les États-Unis ont reconnu Jérusalem/Al Qods capitale d'Israël en y transférant leur ambassade. Les habitants de Gaza, toujours prisonniers, ont manifesté face à la porte close, les tireurs d'élite de l'armée israélienne en abattant plus de 50 et en blessant des milliers pour avoir osé protester contre leur captivité.
Les États-Unis Perroquet d'Israël, les Media Perroquet des États-Unis.
La position de Danon a été cruellement encouragée par la Maison Blanche lundi. L'attaché de presse adjoint Raj Shah a été invité à plusieurs reprises à condamner la réponse militaire d'Israël. « Nous pensons que le Hamas est responsable de ces morts tragiques », a-t-il répondu. « Leur exploitation plutôt cynique de la situation est à l'origine de ces morts et nous voulons que cela cesse ». Plus tard, il a accusé le Hamas de « tentative de propagande sordide et déplorable ».
Sans surprise, le Congrès s'est aussi aligné derrière l'État juif, la plupart ignorant ce qui s'était passé à Gaza.
Lors de la cérémonie d'ouverture de l'ambassade US, la sénatrice de Caroline du Sud Lindsey Graham, a qualifié cette journée de « journée historique dans les relations entre les États-Unis et Israël ». Le sénateur du Texas Ted Cruz, qui faisait partie des quatre sénateurs et des dix membres de la Chambre des représentants présents, a fait une déclaration incroyable selon laquelle le déplacement de l'ambassade « favorise les chances de paix au Moyen-Orient en démontrant que l'appui des États-Unis à Israël est inconditionnel et ne se laissera pas intimider par l'opinion des médias internationaux ».
De retour à Washington, le sénateur Chuck Schumer, de New York, a proclamé : « Chaque nation devrait avoir le droit de choisir sa capitale. J'ai présenté un projet de loi en ce sens il y a 20 ans, et j'applaudis le président Trump pour l'avoir fait ».
Ajamu Baraka, le candidat à la vice-présidence du Parti Écologique en 2016, a tweeté : « Où sont les Démocrates qui condamnent le massacre de Gaza ? Si c'était Assad, ils se joindraient aux Républicains qui appellent à l'action militaire en prétendant qu'ils se soucient de la vie arabe ».
Une poignée de Démocrates prennent la parole
Bernie Sanders, sénateur du Vermont, a quelque peu critiqué la réaction meurtrière d'Israël. « La violence du Hamas ne justifie pas qu'Israël tire sur des manifestants non armés. Les États-Unis doivent jouer un rôle moteur en réunissant Israël, l'Autorité palestinienne, l'Égypte et la communauté internationale pour faire face à la crise humanitaire de Gaza et mettre fin à cette escalade de la violence. »
Feinstein : Ça lui brise le cœur.
La sénatrice de Californie Dianne Feinstein, Démocrate, s'est, elle, montrée plus critique : « C'est absolument désolant. La situation humanitaire à Gaza est dramatique. Au lieu de réduire l'aide, l'administration Trump doit rétablir notre rôle de chef de file et faire ce qu'elle peut pour alléger les souffrances des Palestiniens. L'emplacement de l'ambassade est une question de statut définitif qui aurait dû être résolue dans le cadre de négociations de paix dont chacune des deux parties serait sortie gagnante, et non une seule. Israël ne connaîtra la véritable sécurité que lorsqu'il sera en paix avec ses voisins. »
La représentante [députée, NdT] Démocrate du Minnesota Betty McCollum, a tweeté : « Aujourd'hui, l'ouverture de l'ambassade d'Israël à Jérusalem et l'assassinat de dizaines de manifestants de Gaza font avancer la politique d'occupation et d'oppression des Palestiniens pratiquée par Netanyahou. Les politiques de Donald Trump alimentent les conflits, abandonnant les efforts diplomatiques pour parvenir à la paix. »
Au Capitole, la pression pour soutenir Israël est d'une puissance répugnante. Mais quelle est l'excuse des médias pour avoir peur de simplement rapporter des faits, tels que des soldats israéliens ont « tué » des Palestiniens lundi ? Ils ne sont pas simplement décédés.
Ce n'est pas parce que des personnalités de l'État américain sont des défenseurs d'Israël que les médias doivent leur emboîter le pas. Mais pour cela, il faudrait que les États-Unis disposent de médias grand public indépendants.
Quand une ligne éditoriale a permis à un média grand public de se hisser au plus haut rang de la hiérarchie du genre, avec ce que ça offre comme possibilités d'auto-promotion, il lui est pratiquement impossible de rétrograder et de poser un regard différent sur l'information qu'il diffuse.
Joe Lauria est rédacteur en chef de Consortium News et ancien correspondant du Wall Street Journal, du Boston Globe, du Sunday Times of London et de nombreux autres journaux. On peut le joindre à joelauriaconsortiumnews.com et le suivre sur Twitter 𝕏 @unjoe.
Source : Joe Lauria, Consortium News,14-05-2018
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.