08/06/2018 histoireetsociete.wordpress.com  7 min #142231

Voici le projet de base commune qui n'a pas convaincu le Cn, à vous de juger.

Pourquoi Parler De Theses Quand Il S'Agit D'Un Vague Inventaire Sans Perspective Révolutionnaire

Je tente de lire les trente pages de la proposition de base commune et je le fais avec conscience mais avec les difficultés d'une telle lecture où tout semble fait pour que le lecteur perde pied. Je suis frappée par l'absence de « méthode » et par le saupoudrage qui est fait de références révolutionnaires alors que toute l'économie du texte les contredit. Ce texte devrait entièrement être réécrit, repensé après une discussion collective de fond. En l'état il n'est pas amendable.

Je voudrais donner un exemple de ce qui le rend difficile de lecture et encore plus de prétendre le modifier.

Ce qui me frappe dans la première partie de la proposition de base commune qui semble pourtant la moins contestable puisqu'elle se contente d'un état des lieux c'est la manière dont à la suite de la débâcle électorale et de l'échec manifeste de la direction, il est opéré un « retour » au moins formel à des fondamentaux « communistes ». C'est le fruit de l'échec mais aussi celui de la volonté majoritaire des communistes de refuser d'être « débaptisés », leur exigence de rester communiste. On a tenu compte de cela mais on l'a noyé dans l'idée force qu'on allait faire mieux en continuant sur la lancée précédente. Sans opérer en fait la moindre autocritique sans laquelle il n'y a pas de rupture avec les errances antérieures.

Si le texte est difficile à lire et s'il n'est pas amendable c'est à cause de ce refus d'autocritique et la volonté de poursuivre sur la même lancée tout en lâchant du lest. Changer un petit quelque chose pour que tout demeure en état n'a jamais été une ligne révolutionnaire.

Après une introduction emphatique encombrée d'adjectifs et d'adverbes inutiles, mais visant à donner du « souffle » à une pensée asthmatique, nous voici devant des « thèses », ce qui bien évidemment rappelle Lénine lançant la Révolution bolchevique.

Le texte « Les Tâches du prolétariat dans la présente révolution », connu sous le titre de « Thèses d'Avril », est un article de Lénine paru dans le N° 26 de la Pravda le 7 avril 1917, soit un mois après la révolution de Février. De retour d'exil, Lénine, arrivé à Petrograd dans la nuit du 3 au 4 avril, présente ces thèses à la réunion du Parti bolchevik du 4 avril. Il développe dans ces écrits ses idées antiparlementaires en faveur de la dictature du prolétariat et de sa révolution nécessaire.

Dans les « Thèses d'avril », Lénine commence par caractériser la situation comme une « transition de la première étape de la révolution, qui a donné le pouvoir à la bourgeoisie par suite du degré insuffisant de conscience et d'organisation du prolétariat, à sa deuxième étape, qui doit donner le pouvoir au prolétariat et aux couches pauvres de la paysannerie. »

Il présente ensuite la tactique que le Parti doit adopter vis-à-vis de la guerre en cours et du gouvernement provisoire.

Nous avons donc avec les Thèses ce que Gramsci appelait avec provocation : une révolution contre le Capital. Si le Capital est conçu comme l'ouvrage qui développe la manière dont le socialisme naît des contradictions du capitalisme arrivée à maturité, Lénine, qui en fait malgré ce qu'en dit Gramsci, a très bien assimilé la pensée de Marx y compris sa perception de la Russie, propose de rompre avec l'étape de la bourgeoisie et de sa démocratie parlementaire.

« La proposition de base commune » ne craint pas de nommer thèses une espèce d'inventaire à la Prévert (et un raton laveur) de « la crise » et une description sans ligne force autre qu'un vague humanisme petit-bourgeois de ce que sont censés revendiquer les communistes. Quelques citations éparses de Marx prétendent donner du corps théorique à une description qui est aux antipodes de la rigueur de la pensée marxiste tout autant que de la force d'intervention et d'action léniniste. Jamais à l'inverse de Lénine, il n'y a affrontement et rupture donc dépassement.

Je voudrais donner un exemple de cet exposé qui ne mène nulle part si ce n'est premièrement nous faire croire qu'une démarche petite bourgeoise, libérale libertaire parée d'une vague dénonciation des « méfaits » du capitalisme pourrait apporter du changement alors que la preuve est faite par l'expérience qu'elle est sans objectif révolutionnaire et donc sans capacité de rassemblement ; mais là n'est pas son but puisqu'elle substitue de fait à ce projet de rassemblement sans contenu tout ce qui peut permettre des alliances qui ont déjà fait la preuve de leur caractère non convaincant et totalement inadapté à toute transformation sociale.

Il s'agit de la thèse n° 3 et je prends volontairement celle qui a le plus de « sens » puisqu'elle porte ou devrait porter sur la contradiction entre forces productives et rapport de production.

Sa conclusion est : « La révolution informationnelle, qui commence déjà à franchir un nouveau stade, notamment avec l'intelligence artificielle, est centrale pour notre combat communiste car elle accélère ces transformations autant qu'elle peut
permettre leur dépassement. »

Quelles sont ces « transformations » et en quoi nous présentent-elles une contradiction qui permettrait d'envisager le dépassement du capitalisme?

Voici la description :

« La phase actuelle de développement et de crise du capitalisme est marquée par des transformations de très grande ampleur : expansion territoriale et polarisation entre centres dominants et périphéries dominées ; privatisation et marchandisation progressive de toutes les activités humaines ; financiarisation des économies et création monétaire massive au service des marchés financiers ; concentration de la propriété dans un petit nombre d'actionnaires à la tête de firmes multinationales gigantesques et augmentation des dividendes versés aux actionnaires et des intérêts payés au banques ; restructuration des entreprises et transformations des systèmes productifs ; transformation de l'organisation du travail afin de déposséder totalement les travailleurs·euses de la maîtrise et de la finalité de leur travail ; politiques libérales renforcées, singulièrement en Europe dans la dernière décennie ; libéralisation des échanges pour réduire les barrières tarifaires et abaisser les normes sociales ou écologiques. «

Cette énumération vous le remarquerez à aucun moment ne présente l'existence d'un pôle contradictoire classe ouvrière, prolétariat ou même pays en proie en l'impérialisme et revendiquant leur souveraineté? Comment imaginer un quelconque dépassement quand la force antagoniste a disparu et a cédé la place à l'idée essentielle du texte: nous sommes des humanistes épris de justice et de bons sentiments et nous sommes plus nombreux que les capitalistes.

Comment dans de telles conditions peut-on non seulement parler de thèses mais prétendre démontrer l'utilité d'un parti révolutionnaire?

Notons que dans les thèses d'avril, Lénine démontre « l'actualité » de la Révolution, à la fois à travers une analyse théorique des contradictions et une manière d'être en prise directe sur l'événement, ce qu'évite soigneusement « la thèse » de la base commune qui ne quitte jamais le niveau des généralités.

Alors même que nous sommes confrontés au plan national à la grève la plus suivie et la plus déterminée que l'on ait pu rencontrer depuis des années avec la grève des cheminots, et au plan international à l'assaut impérialiste de Trump contre ses propres alliés, tandis que la planification chinoise ose en Iran les affrontements que nous vassaux, dans les faits, sommes incapables d'envisager, tandis que la Chine avance à pas de géant dans le domaine de l'intelligence artificielle toujours grâce à la planification, nous n'en tirons aucune conséquence, aucune réflexion... En quoi la Chine est-elle aujourd'hui en mesure de faire face au défi du dollar et des autres instruments de la domination US? En quoi l'existence d'un parti communiste joue-t-il un rôle et lequel? Qu'est-ce que l'Europe, l'UE, l'OTAN dans ce contexte de « transformations »? Comment analyser les conditions actuelles de la concurrence intermonopoliste y compris entre les Etats-Unis et leurs « alliés », le fait que se pose à ces derniers comme unique chemin rationnel la transformation des alliances, une politique de paix sur laquelle il est nécessaire de favoriser l'intervention des masses? Pour ne citer que quelques questions soigneusement éludées au profit d'un discours plein de bons sentiments et qui à aucun moment en l'état n'impose de ce fait la nécessité d'un parti révolutionnaire.

J'ai pourtant choisi la thèse qui aurait pu donner lieu à une analyse anti-impérialiste basée sur la contradiction forces productives-rapports de production dans le cadre de la mondialisation monopoliste financiarisée pour reprendre plus ou moins les termes de Lénine dans « Impérialisme stade suprême du capitalisme ». La thèse qui permet le débat et qui pourtant l'évite. Il y a pourtant urgence à ce que ce Congrès soit réellement extraordinaire et on peut s'interroger sur ceux qui refusent de se confronter à cette nécessité donc à la survie d'un parti révolutionnaire en France.

Danielle Bleitrach

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