L'analyse des blessures infligées par les tirs israéliens contre les manifestants désarmés de la bande de Gaza rend compte d'une véritable stratégie visant à mutiler durablement la jeunesse palestinienne, témoigne le responsable des services de chirurgie orthopédique et reconstructive dans la bande de Gaza, le Professeur Nafiz Abu Shaban.
Ecrivant, en urgence, dans la dernière livraison du British Medical Journal (BMJ), l'une des principales revues médicales mondiales, le Dr Shaban effectue une mise à jour d'un premier bilan publié le 4 mai dernier, sous le titre « Gaza, un champ d'amputations » par Marie-Elisabeth Ingres et ses collègues de Médecins Sans Frontières Palestine.
Le nombre et la nature des blessures provoquées par les tirs israéliens posent clairement la question d'une enquête de la Cour Pénale Internationale, tant les lois de la guerre apparaissent avoir été systématiquement violées par l'armée israélienne.
En date du 18 mai 2018, on comptait déjà 117 Palestiniens tués (le nombre de morts à Gaza dépasse depuis lors les 130), 12.271 blessés, dont 6.760 ont requis une hospitalisation, pour blessures par balles dans 3.598 cas.
Dans les seuls établissements où MSF Palestine intervient, « plus de la moitié des 500 pris en charge ont été victimes de tirs où la balle a littéralement détruit les tissus et pulvérisé l'os atteint ».
« Voilà où nous en sommes. J'ai vu beaucoup de traumatismes physiques au fil des attaques israéliennes contre Gaza, mais je n'avais jamais rencontré ce type de blessures auparavant. A l'examen des blessures, il semble qu'on est en présence de l'usage systématique par les snipers de l'armée israélienne de munitions ayant un effet expansif au point d'impact », écrit-il.
« Nous avons actuellement (au 18 mai 2018, NDLR) entre 300 et 350 fractures tibiales provoquées par des munitions à haute énergie. Ce sont les plus difficiles à traiter des fractures ouvertes. Les blessures aux membres inférieurs d'une telle sévérité nécessitent entre 5 et 7 procédures chirurgicales consécutives, chaque opération demandant de 3 à 6 heures. Même avec un savoir-faire et des équipements de pointe, la cicatrisation demande de 1 à 2 ans. ».
La plupart des patients développeront des infections osseuses et on va inévitablement assister à une augmentation d'amputations obligatoires. Pas de perspectives non plus en matière de réhabilitation, puisque le seul hôpital de Gaza spécialisé dans ce type de soins a été bombardé par Israël en 2014 et n'a pu être reconstruit.
« C'est donc une vie entière de handicap qui attend maintenant des milliers de citoyens de Gaza, généralement jeunes, pour avoir participé, sans armes, à des manifestations contre le blocus israélien qui les prive de toute perspective politique et sociale ».
La reconstruction de telles blessures est complètement hors de portée des capacités des services hospitaliers de la bande de Gaza, déjà ravagés par 12 ans de siège. A l'hôpital Shifa, par exemple, on est submergés et on n'a pas un lit disponible. « Ajoutons que la complexité des blessures à traiter dépasse les capacités de la chirurgie orthopédique générale, et qu'il nous faudrait le renfort d 'équipes spécialisés dans le sauvetage des membres », ajoute le Dr Shaban.
« Je suis certain que si 6.000 blessés, dont la moitié par balles, arrivaient dans un laps de temps aussi bref aux hôpitaux de Londres, vos services auraient du mal à faire face à la situation, malgré l'excellence de vos ressources », écrit encore le médecin palestinien à ses confrères-lecteurs britanniques. « On me dit d'ailleurs qu'aucun service de reconstruction des membres au Royaume-Uni n'a jamais eu à connaître une situation pareille, avec tant de blessures aux jambes. Alors, que pouvons-nous faire, ici à Gaza, pour gérer une situation pareille ? ».
« Je comprends maintenant pourquoi il faut se tourner vers la Cour Pénale Internationale et lui demander l'ouverture d'une enquête », conclut-il.
L'article paru dans le British Medical Journal
CAPJPO-EuroPalestine