08/07/2018 mondialisation.ca  7 min #143387

Mexique : « Amlo » et le pouvoir réel

La classe dirigeante américaine prend la mesure de la victoire de López Obrador au Mexique

À la suite des élections sans précédent du 1er juillet au Mexique, décrites comme un tsunami politique pour avoir balayé les vieux partis de la domination bourgeoise et offrant une marge populaire sans précédent au candidat à la présidence du parti MORENA, Andrés Manuel López Obrador, l'establishment américain a commencé à évaluer l'importance des résultats pour ses vastes intérêts au sud de sa frontière.

Le président américain Donald Trump, qui a calomnié les Mexicains, a exigé que le Mexique paye jusqu'à 15 milliards de dollars pour construire un mur qui scelle sa frontière nord avec les États-Unis et a fait usage de mesures policières contre les réfugiés qui traversent cette frontière, a donné son soutien favorable à Obrador, populairement connu sous ses initiales comme AMLO, qui prendra ses fonctions le 1er décembre prochain.

Décrivant une conversation téléphonique d'une demi-heure avec le président élu mexicain lundi, Trump a déclaré: «Nous avons parlé de la sécurité frontalière. Nous avons parlé de commerce. Nous avons parlé de l'ALENA. Nous avons parlé d'un accord distinct, juste le Mexique et les États-Unis. Nous avons eu beaucoup de bonnes discussions. Je pense que la relation sera très bonne. Nous verrons ce qui va se passer, mais je crois vraiment que ça va être très bon».

Pour sa part, AMLO a indiqué qu'il avait discuté de contrôles plus stricts sur la frontière américano-mexicaine dans le cadre d'un «accord global» qui inclurait des projets de développement au Mexique qui «créeraient des emplois» et «réduiraient la migration».

AMLO, comme ses rivaux, le candidat du PRI (Parti révolutionnaire institutionnel) au pouvoir, José Antonio Meade, qui a remporté à peine 16% des voix, et Ricardo Anaya, de l'opposition de droite PAN (Parti d'action nationale), qui en a remporté 22,5%, a usé de la rhétorique anti-Trump au cours de la campagne électorale. Tous trois étaient impatients de se distinguer du président sortant du PRI, Enrique Peña Nieto, qui avait invité en 2016 le candidat Trump à Mexico, où il avait été accueilli en tant que futur chef d'État, pour ensuite revenir aux États-Unis et menacer le gouvernement mexicain de devoir payer pour un mur frontalier.

Néanmoins, la campagne d'AMLO est demeurée silencieuse sur les politiques de l'administration Trump criminalisant et emprisonnant des réfugiés et séparant des familles à la frontière, pratiques violentes qui ont provoqué une vive protestation aux États-Unis. Il ne fait aucun doute que le candidat de MORENA savait très bien qu'il poursuivrait les mêmes politiques de répression à la frontière nord du Mexique et de collaboration étroite avec les autorités américaines de l'immigration, de la police et de l'armée appliquées par son prédécesseur.

Alors qu'il est universellement décrit comme «gauchiste» dans les médias de la grande entreprise et mis sur un piédestal par les illusions entretenues par la pseudo-gauche au Mexique et aux États-Unis, AMLO a travaillé sans relâche pour rassurer le capital mexicain et international qu'il n'a aucune intention d'introduire des politiques qui viendraient porter atteinte à leurs intérêts financiers ou de renverser les «réformes» introduites par Peña Nieto ouvrant le secteur de l'énergie, le système éducatif, l'industrie des télécommunications et d'autres domaines à la privatisation et à l'exploitation capitaliste étrangère.

López Obrador a fait campagne sur la base que la corruption est le problème principal du Mexique, en la présentant comme la cause, plutôt que le symptôme pernicieux, d'un système social caractérisé par une inégalité stupéfiante, le chômage de masse et la pauvreté endémique. Il a juré de s'attaquer à la «mafia du pouvoir», tout en garantissant une amnistie pour tous les crimes perpétrés par les gouvernements et les politiciens précédents, y compris les massacres de masse tels que la disparition des étudiants d'Ayotzinapa.

Face à la victoire écrasante d'AMLO, qui a remporté 53% des voix - soit 30% de plus que le second candidat - et la coalition menée par MORENA qui obtient la majorité dans les deux chambres du parlement mexicain, les trois journaux de l'establishment américain ont réagi par des éditoriaux remarquablement similaires, exprimant les sentiments et les préoccupations de Wall Street et de l'oligarchie financière.

Ceux-ci se résumaient essentiellement à reconnaître à contrecœur qu'AMLO ne représente aucune menace pour le capitalisme; exprimer du mépris pour les masses d'électeurs mexicains qui ont voté contre les anciens partis au pouvoir, le PRI et le PAN, et par opposition intense aux conditions sociales existantes imposées par le capitalisme mexicain; et enfin, s'inquiéter du fait que le président élu se montrera incapable de contenir cette opposition croissante au sein de la classe ouvrière.

Ainsi, le Wall Street Journal, dans un éditorial publié lundi, a exprimé sa confiance que les capitaux internationaux seraient en mesure d'imposer leur discipline au nouveau gouvernement mexicain. «Les marchés financiers voteront aussi chaque jour sur le gouvernement d'AMLO par le biais des marchés des changes et de la valeur du peso», y indique-t-on.

On ajoute: «AMLO a modéré sa rhétorique depuis qu'il a critiqué les investissements privés dans l'énergie et d'autres compétitions économiques alors que le Mexique s'est déplacé vers le libre marché. Mais son parti Morena, qu'il a fondé en 2014, accueille de nombreuses personnes qui... n'ont jamais accepté la transition du pays vers une économie ouverte... Le défi de M. Lopez Obrador sera de satisfaire ses partisans sans nuire au progrès économique du Mexique...»

De même, l'éditorial du Washington Post n'a pas pris au sérieux mardi les «promesses farfelues» d'AMLO.

Il a mis en garde: «Bien qu'il puisse se montrer pragmatique dans ses fonctions, le nouveau président a fait de très grandes promesses aux Mexicains. Cela soulève la question de ce que lui et ses partisans feront une fois qu'il sera évident qu'il ne peut pas livrer la marchandise».

Exprimant les mêmes inquiétudes, le New York Times a écrit: «S'il y a un danger pour les États-Unis dans l'élection de M. López Obrador, ce n'est pas qu'il impose un virage à gauche radical pour son pays, mais qu'il ne réponde pas aux attentes qu'il a générées.»

Le principal quotidien financier mexicain El Financiero exprime ses inquiétudes sur AMLO: «Que va-t-il faire quand l'impatience de ses partisans les conduira à commettre des actes insensés comme s'attaquer à des magasins, dresser des barrages routiers, piller des marchandises dans les camions?... Ce sont des gestes qu'ils ont déjà posés, mais la police les a retenus. Le président AMLO utilisera-t-il la force pour défendre la propriété privée? Ou va-t-il s'incliner devant sa base sociale?»

Pour les classes dirigeantes des États-Unis et du Mexique, le souci n'est pas le supposé «gauchisme» d'AMLO, qui est un politicien bourgeois fiable, mais plutôt les attentes générées par son élection et l'inévitable confrontation entre son gouvernement et la les travailleurs politiquement radicalisée et la crainte que cela génère une explosion révolutionnaire.

Bill Van Auken

Article paru en anglais, WSWS, le 4 juillet 2018

La source originale de cet article est  wsws.org
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