12/07/2018 tlaxcala-int.org  11 min #143557

La drôle de guéguerre commerciale de Donald

 Luis Casado

Des sueurs froides parcourent l'échine d'Angela Merkel. La guerre commerciale lancée par Donald Trump pourrait affecter l'Allemagne, très instable. Vu les raisons alléguées par Donald pour déclarer la guerre, USA pourraient la déclarer au monde entier, nous dit Luis Casado, qui pense que les "gesticulations" de Donald sont une pantalonnade.

« Et c'est presque une règle générale, que partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce ; et que partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces »

Montesquieu, De l'Esprit des Lois, Livre XX, Chapitre premier

Montesquieu postulait la capacité du commerce à réguler les passions violentes, notamment politiques, ce qui favorisa l'acceptation d'un comportement avide et la recherche du profit, contribuant ainsi au développement du capitalisme dans l'Europe du 18ème siècle.

Dès lors, rares ont été les économistes qui ne considéraient pas le "doux commerce " comme un remède sacré à la guerre. Sauf que c'est à la canonnière que le monde occidental, avec la générosité bien connue qui l'amène à offrir le meilleur de lui-même, a ouvert les marchés réticents au "doux commerce ".

Quatre "vaisseaux noirs", comme les appellent les Japonais, commandés par le commodore yankee Matthew Perry, ont mis fin à deux siècles d'isolement de l'Empire du Soleil Levant en 1853 et imposé au Shogun des "coutumes paisibles".

La Chine, rétive à une présence occidentale, a subi deux guerres imposées par le Royaume-Uni, la France et les USA : les guerres de l'opium. Les traités de Nankin et de Tientsin (1842 et 1858) ouvrIrent onze ports chinois au "doux commerce " du fameux stupéfiant. Au passage, la Royal détruisit la flotte chinoise........

L'Angleterre, l'Allemagne et l'Italie bombardèrent allègrement Puerto Cabello (Venezuela) en 1902, dans le but d'obtenir le rembpoursement d'un crédit.... français. Cet incident fut résolu à Washington le 13 février 1903, au grand bonheur des détenteurs français d'obligations du Trésor vénézuélien. Le "doux commerce " s'avère amer lorsque vous ne respectez pas les conditions léonines imposées par les empires. Les exemples sont nombreux : l'histoire du Mexique le prouve, s'il était nécessaire de le prouver.

Je ne citerai certainement ni la Première ni la Seconde Guerre mondiale, ni le colonialisme, ni l'invasion du canal de Suez par la France et l'Angleterre (1956), ni les guerres de libération, ni les coups d'État - de celui qui renversa Mossadegh en Iran (1953) à celui qui a mis fin au gouvernement Allende au Chili (1973) et bien d'autres - qui ont tant contribué à apaiser le monde d'aujourd'hui.

Au vu de cela, je peux décrire les gesticulations de Donald Trump comme une drôle de guéguerre commerciale, une sorte de bouffonnerie à la Mussolini, qui exhortait la population italienne à se comporter de manière aguerrie, en s'exclamant Armiamoci e partite ! (Armons-nous et allez-y.....).

Donald Trump, qui tient ses promesses, a décidé - unilatéralement - d'imposer des droits de douane sur les produits de ses principaux partenaires commerciaux. L'objectif déclaré est d'équilibrer le gigantesque déficit commercial que les USA traînent depuis des décennies et qui fait de l'Empire le pays le plus endetté du monde en chiffres absolus.

Les premières "victimes" de la guerre commerciale sont le Mexique, le Canada, l'Union européenne et la Chine. Ainsi, les sanctions commerciales imposées à la Russie s'accompagnent désormais de sanctions qui nuisent aux « alliés » et au puissant Empire du Milieu.

Il faut préciser que les USA - dont on ne sait pas jusqu'à quand elle sera la première puissance économique mondiale - ont un solide déficit commercial avec pas moins de 101 pays, dont, par ordre d'importance, la Chine, le Mexique, le Japon, l'Allemagne, l'Irlande, le Vietnam, l'Italie, la Malaisie, l'Inde, la Thaïlande, la Suisse, la Corée du Sud, la France, Taiwan et le Canada, ainsi que des puissances industrielles bien connues comme le Chili, l'Équateur et l'île Maurice.

Au vu de cela, un de ces jours Donald va déclarer la guéguerre commerciale au monde entier. Après tout, les organismes internationaux passent sous l'Arc d'Auguste, à commencer par l'ONU, sans oublier l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, qui a passé des décennies à organiser la domination des multinationales, même sur les marchés les plus improbables.

Felipe Larraín, ministre des finances de Piñera, le président chilien, simule la terreur d'une vierge effarouchée et supplie pour le prix du cuivre. Le quotidien madrilène El País - menteur comme peu d'autres - titre : "La Chine répond aux droits de douane imposés par les USA et déclenche la guerre commerciale". Ainsi, la faute des délires de Donald retombe sur Xi Jinping. La manipulation de l'opinion publique : une autre manifestation deS " mœurs douces ".

En avant pour la guerre commerciale !

Première salve : les USA ont imposé des droits de douane sur des produits chinois d'une valeur de 34 milliards de dollars. Qu4est-ce qu'on fait ? On court aux abris anti-atomiques ? Non. Restons cool. Le New York Times, dans sa livraison du 7 juillet, a décrit la réaction des marchés : Vendredi, les marchés boursiers mondiaux ont accueilli d'un haussement d'épaules la guerre commerciale. Le titre de l'article dit tout : Trump lance une guerre commerciale, mais la voie du succès reste incertaine.

Il faut considérer que les sanctions touchent l'équivalent de 0,17% du PIB US. Il y a des salves plus consistantes. Vous me direz que ce dont il s'agit, c'est le commerce sino-US et vous avez raison. En 1979, lorsque les relations entre la Chine et les USA ont été rétablies, le commerce bilatéral n'était que de 2,5 milliards de dollars. En 2016, le commerce avait atteint 519,6 milliards de dollars, soit 207 fois plus. Les sanctions de Donald touchent donc 6,5 % du commerce bilatéral. Le déficit commercial mondial des USA en 2017 s'élevait à 810 milliards de dollars US, si l'on exclut les services. Si bien que la proportion de biens affectée par les tarifs douaniers est de 4,2 % du montant du déficit global. Attention..... Donald prévient que si la Chine riposte, il pourrait imposer des droits de douane sur 200 milliards de dollars US de plus.

C'est ce qu'on va voir : dans la minute qui a suivi la mise en œuvre des droits de douane US, la Chine a imposé des droits de douane sur les produits de l'empire pour exactement le même montant : 34 milliards de dollars US. Pour leur part, le Canada, le Mexique et l'Union européenne appliquent une politique de stricte réciprocité, imposant aux produits US des droits de douane égaux au montant qui affecte leurs propres produits. Seule Angela Merkel se montre molle du genou et cherche à négocier avec Donald pour éviter que l'industrie automobile allemande (Mercedes Benz, Audi, BMW....) soit soumise aux tarifs annoncés.

Le Mexique et le Canada, fermes jusqu'à présent, se voient forcés de renégocier l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et attendent la décision de Donald. Le président US attend que les élections législatives de novembre de cette année, qui s'annoncent catastrophiques pour les Républicains, passent.

Ce qui est marrant, c'est que, selon d'éminents économistes US, les causes du déficit commercial yankee doivent être cherchées aux USA. Warren Coats, par exemple, soutient :

"Nos déficits commerciaux sont davantage causés par les déficits du gouvernement fédéral que par la promotion des exportations de marchandises de la Chine, du Japon et de l'Allemagne. Les politiques mercantiles qui subventionnent les exportations et restreignent les importations n'éliminent pas des emplois aux USA, mais redirigent plutôt les travailleurs et le capital vers des tâches moins productives qui réduisent notre niveau de vie...."".

Le même Warren Coats suggère :

« Contester ces politiques mercantilistes en utilisant les outils et les clauses de l'OMC et d'autres accords commerciaux servirait mieux nos intérêts à long terme que d'imposer unilatéralement des tarifs douaniers et d'inciter à des guerres commerciales ».

Comme on l'a dit, Donald a fait déguerpir l'OMC avec la même légèreté avec laquelle il ignore les Nations Unies et cherche à invalider tous les accords de libre-échange qu'il estime désavantageux pour sa politique L4Am2rique d'abord ! N'oublionspas que dès son arrivée à la Maison-Blanche, il a retiré les USA des négociations sur les traités transpacifique et transatlantique.

Dans une note datée du 29 juin de cette année, intitulée America's Trade Deficit Begins at Home (Le déficit commercial US commence aux USA), Stephen S. Roach écrit :

« En 2015, les USA avaient des déficits commerciaux avec 101 pays (...) Oui, la Chine - la tête de Turc en chef - est à l'origine de la plus grosse partie du déséquilibre. Mais la somme des déficits des 100 autres pays est encore plus grande » « En réalité, la vraie raison pour laquelle les USA ont de tels déficits commerciaux multilatéraux est que les Américains n'épargnent pas ».

Stephen S. Roach a été président de Morgan Stanley Asia et économiste en chef de la société. Il est maintenant professeur au Jackson Institute de l'Université de Yale et à la Yale's School of Management. À ce titre, il affirme :

"Tout cours d'économie de base souligne la notion comptable blindée qui dit que l'épargne doit être égale au montant des investissements à tout moment. Sans épargne, il est impossible d'investir dans l'avenir. Et c'est la position actuelle des USA."

Si un discours aussi éminent ne rend pas le film compréhensible, c'est à désespérer. Continuons à lire Roach :

« Alors pourquoi cela est-il pertinent pour le débat sur le commerce ? Pour continuer à croître, les USA doivent importer les excédents d'épargne de l'étranger. En tant que première puissance économique et émettrice de la devise de réserve mondiale, les USA n'ont aucun problème - pas pour le moment - à attirer les capitaux étrangers dont ils ont besoin pour combler leur déficit d'épargne intérieure. Mais il y a un élément critique : pour importer de l'épargne étrangère, les USA doivent maintenir un déficit massif de leur balance des paiements internationaux. L'image inversée du déficit de l'épargne intérieure est le déficit du compte courant, qui s'est élevé en moyenne à 2,6 % du PIB depuis 1980.

En d'autres termes, les USA vivent à crédit. Les USA consomment et le monde paie. Les mots de Milton Friedman, ce drôle de petit entraîneur de l'équipe des Chicago Boys, résonnent à nos oreilles :

« La dette des USA est exprimée en dollars. Or.... c'est nous qui fabriquons les dollars, donc on ne doit rien à personne. »

Je ne sais pas pour vous, mais Milton devait se tordre de rire de ses propres trouvailles. Ce qui est sûr, c' est que la conclusion de Stephen S. Roach est aussi claire que de l'eau de roche (ce qui est rare chez un économiste) :

« C'est ce gouffre chronique dans le compte courant qui cause le déficit commercial avec les 101 pays. Pour emprunter à l'étranger, les USA doivent donner à leurs partenaires commerciaux quelque chose en échange de leur capital : la demande US de produits fabriqués à l'étranger. »

Comme vous pouvez le constater, ce n'est pas un hasard si la Chine est la principale détentrice de bons du Trésor US : environ 4 000 milliards de dollars US (20% du PIB US). Guéguerres ou pas, si la Chine se débarrassait de ces 4 000 milliards de dollars - en les négociant ou en les convertissant dans une autre devise - le dollar vaudrait ce qu'il vaut vraiment : une queue de cerise.

Cela fait justement un certain temps que la Chine a commencé à diversifier les devises de ses placements. Et à développer le commerce dans sa propre monnaie, le yuan.

C'est peut-être la raison pour laquelle Adam Posen, président du Peterson Institute for International Economics, a rédigé en mars dernier une note dans laquelle il fait référence à la gué guerre de Donald dans les termes suivants :

« Le lancement de sa guerre commerciale pourrait cependant devenir son Afghanistan économique : coûteuse, interminable et infructueuse. »

Pour une fois - une hirondelle ne fait pas le printemps - je suis d'accord avec un putain d'économiste.

Quelques chiffres

Actuellement, plus de 65 % du déficit commercial US en biens est avec la Chine. Ce déficit, qui s'élève à 375 milliards de dollars, provient de l'importation de 506 milliards de dollars et de l'exportation de marchandises vers la Chine pour un montant de 131 milliards de dollars seulement.

Principaux partenaires commerciaux des USA

1. Chine : commerce total : 636 milliards de dollars US. Déficit 375 milliards de dollars US.

2. Canada : commerce total : 582 milliards de dollars US. Déficit : 18 milliards de dollars US.

Mexique : commerce total : 557 milliards de dollars US. Déficit : 71 milliards de dollars US.

Japon : commerce total : 204 milliards de dollars US. Déficit : 69 milliards de dollars US.

5. Allemagne : commerce total : 171 milliards de dollars US ; Déficit : 65 milliards de dollars US.

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  madmimi.com
Publication date of original article: 11/07/2018

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