17/07/2018 entelekheia.fr  13 min #143759

Le programme de « super-espions » des Usa explique-t-il les lésions cérébrales de leurs diplomates ?



Avec cet article, nous entrons dans la Quatrième dimension. Tout y relève de la science-fiction : les « attaques soniques » made in Hollywood apparemment subies par des diplomates des USA en poste dans deux pays, Cuba et la Chine, et les spéculations de l'auteur sur des expériences bizarroïdes menées par le Pentagone, qui seraient en réalité en cause. A la vérité, nous n'en savons rien.
Les seuls éléments factuels dont nous disposons sont :

1) Des diplomates américains et canadiens en poste dans deux pays ennemis ou rivaux des USA se sont plaints de troubles graves, à savoir des lésions cérébrales sans blessures physiques apparemment causées par des sons insupportables.

2) Des suspicions « d'attaques soniques » ont été évoquées par les autorités et les médias des USA. Or, ce type d'attaque étant impossible à cause de la nature même du son (qui ne peut pas cibler une personne sans que son voisinage en soit également affecté), ces affirmations se sont heurtées à un scepticisme total la part de la communauté scientifique mondiale. Les médecins américains qui ont examiné les personnes atteintes ont également exclu l'explication de « l'attaque sonique ».

3) Les USA ont un historique fourni d'expérimentations en manipulations mentales, notamment à travers les célèbres programmes de la CIA Bluebird, Artichoke et MK-Ultra, qui ont défrayé la chronique lors des déclassifications de leurs dossiers, dans les années 1970. Les buts de ces programmes relevaient parfois de films d'horreur de série B : créer des « super-espions », des « super-assassins », trouver un sérum de vérité infaillible, créer des « candidats mandchous » (des politiciens-pantins obéissant à des suggestions post-hypnotiques), effacer la mémoire à coups d'électrochocs pour implanter des faux souvenirs à sa place et créer une nouvelle personnalité, etc. Voir le documentaire 'Un village empoisonné par la CIA?' d'Olivier Pighetti pour France 3, qui en donne un excellent résumé.

4) Le transhumanisme est indéniablement à la mode (cela aurait-t-il pu donner des idées « d'homme augmenté » à certains secteurs technologiques de pointe, notamment militaires ?)

Tout le reste est conjectural, sauf un point : ces diplomates souffrent effectivement de quelque chose. Mais de quoi ? Pour le moment, selon le  Guardian, leur maladie est inconnue. Les médecins ont détecté des anomalies d'origine inconnue dans la substance blanche de leur cerveau - la substance blanche relie les différentes zones de la matière grise, où se situent les neurones.
Les sons qu'ils perçoivent, ainsi que leurs autres troubles, seraient dues à ces modifications inexpliquées de leur cerveau.

En conclusion, si l'explication de Finian Cunningham est la bonne, elle a de quoi jeter un grand baquet d'eau glacée sur les fantasmes d'augmentations des capacités humaines des transhumanistes.

Par Finian Cunningham
Paru sur  Strategic Culture Foundation sous le titre US 'Super Spy' Program May Explain Mysterious Diplomat Brain Injuries

Au cours des deux dernières années, il y a eu de plus en plus de rapports de supposées « attaques soniques » contre des diplomates américains, d'abord à Cuba et récemment en Chine. Ce qui implique que des fonctionnaires américains pourraient avoir été les cibles d'une « arme sonique » dans les pays-hôtes. Cependant, une explication plus probable est que les victimes présumées sont victimes de tentatives américaines de créer des « super espions ».

Le nombre de diplomates américains apparemment souffrant de « lésions dues à des sons »  est en augmentation. 11 d'entre eux ont été évacués de Chine au début de ce mois. Au départ, l'incident mystérieux avait été signalé dans un seul consulat américain, à Guangzhou. Aujourd'hui, les affirmations de lésions cérébrales se sont étendues à des diplomates américains en poste à Pékin et à Shanghai.

Quelque 250 diplomates américains en Chine feraient l'objet de tests neurologiques pour déterminer s'ils ont succombé au même type de traumatisme cérébral diagnostiqué chez leurs collègues précédemment atteints. Une étude portant sur 21 diplomates évacués de Cuba l'an dernier a révélé qu'ils avaient subi des lésions cérébrales, mais selon les diagnostics, non dues à des blessures physiques.

En général, les symptômes signalés comprennent des déficiences cognitives, des déficiences auditives, des perceptions de sons étranges, des étourdissements et des insomnies.

Jusqu'à présent, les médecins américains sont incapables de comprendre ce qui a pu causer ces atteintes. La semaine dernière, le département d'État  a déclaré que les enquêtes en cours n'avaient pas établi de responsabilités dans les problèmes médicaux des diplomates.

Cependant, auparavant, le président Donald Trump avait explicitement  reproché à Cuba d'être à l'origine des blessures subies par le personnel diplomatique. L'accusation de Trump n'a pas de fondement. Le gouvernement cubain a nié toute implication dans les attaques sonores présumées contre des employés américains. Elle a offert son aide à l'enquête américaine. Néanmoins, l'évacuation du personnel américain de Cuba et les accusations de Trump ont remis en cause la récente détente engagée par Obama dans les relations entre les deux pays.

En ce qui concerne la Chine, les États-Unis se sont montrés plus circonspects dans le traitement des cas signalés de lésions soniques apparentes, s'abstenant d'accuser Pékin d'activités malveillantes. La Chine avait précédemment  rejeté toute suspicion d'attaques sonores comme « inconcevable ». Pékin a également protesté contre l'émission « d'avertissements sanitaires » des USA à leur personnel en Chine, parce que de telles notifications impliquent des suspicions d'actes répréhensibles de la part du pays hôte.

Dans le contexte de l'escalade de la guerre commerciale de Trump avec la Chine, les cas de blessures rapportés parmi les diplomates présentent le danger d'être politisés par Washington, refroidissant encore des relations déjà mises à mal par le contexte d'acrimonie entre les deux pays.

Certains facteurs jusqu'à présent absents des rapports doivent être pris en compte. Tout d'abord, il semble étrange que les mystérieuses lésions cérébrales ne soient rapportées que par des diplomates américains. Aucun autre pays n'a signalé des incidents similaires parmi son personnel diplomatique. [Correction : des diplomates canadiens en ont également été victimes en 2017 à Cuba, NdT].

Ensuite, les cas de lésions cérébrales américaines se sont produits dans deux pays politiquement sensibles. Pourquoi des cas similaires n'ont-ils pas été signalés parmi le personnel basé dans des territoires appartenant à des nations alliées ?

Pour finir, bien que le personnel américain soit invariablement qualifié de « diplomates » dans les reportages des médias occidentaux, nous devrions peut-être être plus précis dans leur appellation. Si nous définissons le personnel comme des « espions », nous devenons plus sceptiques sur leur cas, surtout étant donnée la nature sensible des deux pays concernés. Si les personnels américains affectés servaient effectivement d'espions, cela pose une question : à quel type de programmes de formation et de préparation avaient-ils été soumis avant leur affectation ?

La théorie selon laquelle des agents de l'État cubain et chinois auraient utilisé une sorte d'arme sonique pour attaquer des diplomates américains relève de la science-fiction. Les deux pays nient catégoriquement ce type d'activité. Il n'existe aucune arme de ce genre. De plus, les médecins américains qui ont examiné les diplomates évacués de Cuba n'ont pu trouver aucune explication à leur état. L'absence de source externe à même d'expliquer les atteintes semble également être la position officielle des États-Unis, selon le Département d'État la semaine dernière.

Fait significatif, les médecins américains qui étudient les cas cubains  ont déclaré que tous les individus affectés peuvent avoir vécu une expérience commune liée à leurs lésions cérébrales.

Plutôt que d'imaginer qu'une agence étrangère soit responsable de mystérieuses atteintes chez les diplomates, ou plutôt les espions américains, il faudrait peut-être se tourner vers leur propre pays. Ces personnes ont-elles été soumises à une formation hi-tech menée par le Pentagone ou la CIA ?

On sait que la Defense Advanced Research Project Agency [DARPA, Agence pour les projets de recherche avancée de défense. L'agence est en charge des technologies de défense de pointe, NdT] du Pentagone étudie des dispositifs de stimulation du cerveau afin d'améliorer les capacités d'apprentissage.

Pas plus tard que l'an dernier, la DARPA  a rapporté le succès d'un nouveau dispositif de stimulation par courant continu trans-crânien capable de stimuler les compétences cognitives chez des macaques. Selon la DARPA, les sujets traités à l'aide de ces dispositifs présentaient ensuite une augmentation significative de l'apprentissage et de l'intelligence par rapport aux sujets témoins (non traités). Le DARPA a signalé une augmentation de 40 % de la capacité d'apprentissage chez les macaques qui avaient été connectés à l'appareil de stimulation cérébrale.

L'un des médecins-chefs du programme a dit : « Dans cette expérience, nous avons ciblé le cortex préfrontal [du cerveau] avec des montages de stimulation individualisés et non invasifs ».

Le chercheur a poursuivi : « C'est la région [du cerveau] qui contrôle de nombreuses fonctions exécutives, y compris la prise de décisions, le contrôle cognitif et la récupération de la mémoire contextuelle. Elle est reliée à presque toutes les autres zones corticales du cerveau, et sa stimulation a des effets étendus. »

Veuillez noter la mise en garde implicite du scientifique du Pentagone, à savoir que « sa stimulation a des effets étendus ».

Sur le plan positif, le Pentagone cherche manifestement un moyen de stimuler l'intelligence et l'apprentissage chez les humains. Il ne s'agit en aucun cas d'une nouveauté. Depuis des décennies, les agences de renseignement militaire américaines, ainsi que la science-fiction hollywoodienne ont été enthousiastes à l'idée d'exploiter le cerveau humain et de l'amener à des niveaux d'intelligence de plus en plus élevés. La CIA est connue pour avoir conduit divers programmes fondés sur des drogues et de l'hypnose - la fameuse opération MK-ULTRA - dans les années 1950 et 1960. L'un des objets en était de fabriquer des « super-espions » et des « super-assassins ».

L'histoire des expériences du Pentagone et de la CIA menées pour produire des performances élevées chez l'homme est bien documentée.

Nous savons aussi, d'après des recherches récentes du Pentagone, qu'il utilise des dispositifs électroniques de stimulation du cerveau pour améliorer les performances cognitives des singes. Il est donc concevable que le Pentagone ait également mené des expériences sur des sujets humains.

Sur le plan négatif, l'intelligence supérieure recherchée peut très bien s'accompagner d'effets secondaires préjudiciables. Notons encore une fois la mise en garde du chercheur du Pentagone, selon qui la stimulation du cortex préfrontal du cerveau pourrait avoir des « effets étendus ». Ces effets accroîtraient l'intelligence et les capacités d'apprentissage au prix de conséquences délétères. D'autant plus que la zone-cible du cerveau est cruciale pour le contrôle des fonctions exécutives du cerveau.

Le Pentagone n'a pas révélé de possible impact négatif de ses dispositifs cérébraux sur les singes expérimentaux.

Nous ne savons pas non plus à quelles tâches précises des « diplomates » concernés à Cuba et en Chine étaient affectés. Y avait-il des fonctionnaires subalternes tels que des secrétaires parmi les victimes signalées, étaient-ils tous des « employés de terrain », c'est-à-dire des individus peut-être impliqués dans des activités d'espionnage ?

Il semble peu probable que le Pentagone ou le personnel concerné déclarent publiquement qu'ils avaient été soumis à une forme quelconque de stimulation cérébrale. En tout état de cause, le personnel pourrait facilement être réduit au silence par des avertissements sur leurs perspectives d'avancement et leurs revenus futurs, ou leur couverture d'assurance maladie. [Le gouvernement des USA n'aurait même pas besoin de les menacer pour les faire taire. Les détails de ce type de recherches militaires de pointe étant généralement classés secrets, toute communication au public par un de ses participants entraînerait mécaniquement des  sanctions pénales d'au minimum dix ans de prison et/ou une amende, NdT]

Il est peut-être plus commode pour le Pentagone d'accuser des agents étrangers « d'attaques soniques », si invraisemblable cela soit-il. Mais cette tactique du bouc émissaire pourrait avoir de graves répercussions sur les relations internationales, en particulier entre les États-Unis et la Chine, dans le contexte de leur guerre commerciale et de leurs différends territoriaux dans la mer de Chine méridionale.

Néanmoins, malgré les inconnues, d'après ce que nous savons déjà, il semble plausible que les récentes occurrences de lésions cérébrales parmi le personnel diplomatique américain puissent avoir été causées non pas par des « attaques sonores » de leur pays-hôtes, mais par leurs propres supérieurs du Pentagone ou de la CIA.

Traduction et notes Corinne Autey-Roussel pour Entelekheia
Illustration : arme sonique, jeu vidéo Fallout: New Vegas d'Obsidian Entertainment.

 entelekheia.fr

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