15/08/2018 entelekheia.fr  12 min #144652

Les sanctions des Usa favorisent l'émergence d'un nouveau monde multipolaire

Par Arkady Savitsky
Paru sur  Strategic Culture Foundation sous le titre US Sanctions Foster Emergence of Multipolar World

La Russie, l’Iran, la Chine et maintenant la Turquie sont dans le même bateau, car ces trois pays sont ciblés par des sanctions américaines. Mais aucune de ces nations n’a cédé à la pression. La Russie avait prévu l’évolution de la situation et pris des mesures  en temps voulu pour se protéger. La monnaie nationale turque, la lire, s’est effondrée après que Washington ait introduit des sanctions et des taxes douanières sur l’acier et l’aluminium dans le but de contraindre Ankara à libérer un pasteur américain détenu. Le président turc Erdogan a déclaré qu’il était temps pour la Turquie de chercher de « nouveaux amis », et la Turquie prévoit d’émettre des obligations libellées en yuan pour diversifier ses emprunts à l’étranger. Le 11 août, le président Erdogan a déclaré que la Turquie était prête à utiliser des monnaies locales dans ses échanges commerciaux avec la Russie, la Chine, l’Iran, l’Ukraine et les pays de la zone euro.

Le  récent sommet des BRICS a vu Ankara réaffirmer son l’engagement dans le Contingent Reserve Arrangement (CRA), un mécanisme qui vise à dédollariser les économies de ses États membres, et l’accord qui permet de lancer rapidement un fonds obligataire en monnaies locales donne du mordant à cette politique. La Turquie a également exprimé son désir d’adhérer aux BRICS.

Ankara s’oriente progressivement vers une adhésion à l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). La Turquie a été acceptée comme partenaire de dialogue de l’organisation. L’année dernière, la Turquie est également devenue partenaire de dialogue de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN en anglais, ANASE en français). Le 1er août, la première réunion interministérielle trilatérale ASEAN-Turquie s’est tenue à Singapour, avec le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu, le secrétaire général de l’ANASE Dato Lim Jock Hoi et la ministre singapourienne des Affaires étrangères Vivian Balakrishnan, qui préside l’assemblée en 2018. L’événement s’est déroulé sous les auspices de la 51e réunion des ministres des affaires étrangères de l’ANASE,  une rencontre qui a attiré des ministres des affaires étrangères et des diplomates de haut niveau de 30 pays.

Parallèlement, Ankara réfléchit à un accord de libre-échange (ALE) avec l’Union eurasienne. Cette coopération entre Ankara et l’UEEA (Union économique eurasienne) a  un avenir prometteur.

Entre-temps, la Banque industrielle et commerciale de Chine (ICBC) a accordé un prêt de 3,6 milliards de dollars pour le secteur turc de l’énergie et des transports. Et la Turquie et la Chine ont récemment annoncé une  expansion de leurs  liens militaires. Comme on peut le constater, la Turquie progresse inexorablement de l’Ouest vers l’Est.

La Russie a un rôle particulier à jouer dans ce processus. Le Congrès américain a interdit la vente de chasseurs F-35 à la Turquie en raison du risque associé à l’achat par Ankara du système de défense aérienne russe S-400. En réponse, la Turquie déclare envisager d’acheter des avions de guerre russes. Ankara  préfère les armes russes aux armes offertes par les pays de l’OTAN. Comme  l’a dit le président Erdogan, « avant qu’il ne soit trop tard, Washington doit renoncer à l’idée erronée que nos relations peuvent être asymétriques et accepter le fait que la Turquie a des alternatives ».

Le 10 août, le président russe Vladimir Poutine et le président turc Recep Erdogan ont discuté de possibilités de renforcement de leur coopération économique. Les deux nations participent au projet de gazoduc Turkish Stream. Des idées de moyens d’unir leurs forces en réponse à l’offensive américaine étaient également à l’ordre du jour de la visite du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov en Turquie, les 13 et 14 août, bien que la Syrie ait été à l’honneur lors des pourparlers. N’oublions pas que la Russie a été le premier pays à être visité par le président turc après l’échec du coup d’État de 2016.

En raison des temps difficiles résultant des sanctions américaines, l’Iran redouble d’efforts pour établir des relations avec l’étranger. Sous la pression américaine, les entreprises européennes quittent l’Iran, mais la  Chine comble progressivement le vide. Et, comme les compagnies aériennes américaines et européennes délocalisent leurs activités commerciales hors d’Iran, la Russie y trouve une  bonne opportunité pour ses avions tels que le MS-21 ou  l’IL-96-400M. Le constructeur automobile russe GAZ Group est prêt à fournir des véhicules commerciaux et des camions légers équipés de moteurs de 5ème génération à l’Iran.

Téhéran a un statut d’État observateur à l’OCS, et l’Iran est appelé à devenir  une plateforme incontournable de l’Initiative Belt and Road (BRI, la nouvelle Route de la soie). Le 25 juin, un train de marchandises est arrivé dans la ville iranienne de Bandar-e Anzali, un port de la mer Caspienne, après avoir traversé le couloir de transport Chine-Kazakhstan-Iran et la Zone franche d’Anzali, qui relie la Chine au port kazakhe d’Aqtaw et à l’Iran, créant ainsi une nouvelle liaison commerciale. Cela donne un élan à la nouvelle Route de la soie. Le 12 août, les cinq États côtiers de la mer Caspienne (les Caspian Five)  ont signé la Convention de la mer Caspienne, après 22 ans de négociations difficiles. Cela ouvre de nouvelles opportunités pour l’Iran et d’autres pays de la région, ainsi que pour la Route de la soie. L’idée de former un nouveau forum économique a été lancée lors du sommet des Caspian Five.

La Chine et la Russie soutiennent l’idée d’une adhésion à part entière de l’Iran à l’OCS. En mai, Téhéran a signé un accord intérimaire de libre-échange avec l’Union économique eurasienne (UEEA). Une plus grande intégration UEEA-BRI sous la houlette de l’OCS est également à l’agenda.

 Selon le Daily Express, l’Iran pourrait s’associer à la Russie et à la Chine dans une alliance anti-américaine. L’Iran peut également obtenir  un statut d’observateur auprès de l’OTSC (Organisation du traité de sécurité collective, une alliance qui regroupe l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Russie et le Tadjikistan, NdT). Le commerce entre l’Iran et la Turquie a récemment  repris, et cette relation bilatérale inclut une coopération militaire  en plein essor.

Rien ne peut être vu en noir et blanc, et chaque pièce a son revers. Les sanctions américaines affectent négativement les économies et les finances des pays visés, certes, mais à terme, elles pousseront aussi les nations touchées par ces sanctions à se rapprocher les unes des autres et à favoriser ainsi l’émergence du monde multipolaire que, précisément, les États-Unis redoutent tant.

Traduction Entelekheia

 entelekheia.fr

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