28/08/2018 reporterre.net  15 min #145004

Hulot démissionne : le verbatim

Pour les partis, la démission de Hulot rouvre le jeu politique

La République en marche, EELV, Génération.s, la France insoumise... Les réactions de politiques de tous bords ont fusé à l'annonce de la démission de Nicolas Hulot. A gauche, on salue une décision cohérence et l'incompatibilité entre transition écologique et libéralisme. Et on espère un nouveau souffle pour l'opposition écolo.

« Je vais prendre pour la première fois la décision la plus difficile de ma vie. Je ne veux plus me mentir. Je ne veux pas donner l'illusion que ma présence au gouvernement signifie qu'on est à la hauteur sur ces enjeux-là. Et donc je prends la décision de quitter le gouvernement. »  Invité de la matinale de France Inter ce mardi 28 août à 8 h 20, Nicolas Hulot a créé la surprise  en annonçant sa démission du gouvernement d'Edouard Philippe.

Dans la suite de l'interview, le ministre démissionnaire de la Transition énergétique et solidaire a indiqué qu' il n'avait mis personne au courant. «  J'ai appris ce matin la décision de Nicolas Hulot de démissionner et j'en prends acte. Plan climat, plan biodiversité, sortie du glyphosate... le travail accompli a grandement contribué à l'action du gouvernement, a tweeté le Premier ministre Edouard Philippe peu avant 13 h. Vis-à-vis de la transition écologique,  la détermination du gouvernement est totale. Je ferai des propositions au Président dans les jours qui viennent pour prendre en compte cette démission. »

A la République en marche, l'appel à se ressaisir des députés sensibles aux questions environnementales

A la République en marche, les députés présentant un intérêt pour les questions environnementales sont atterrés. « La décision de Nicolas Hulot de quitter le gouvernement doit sonner comme un électrochoc. Pour tout le monde,  a tweeté son ami Matthieu Orphelin, député (La République en marche - LREM) de la première circonscription du Maine-et-Loire. Il faut faire plus, beaucoup plus. Pour le climat, la biodiversité, l'environnement, la solidarité. Et changer de modèle et de priorités. Car pour l'instant, on va dans le mur. » Avant de confier  au micro de RTL : « J'ai été surpris, je n'étais pas au courant de cette décision que Nicolas Hulot a pris seul. Bien sûr au cours des dernières semaines, des derniers mois, on avait souvent échangé sur la question de rester ou pas au gouvernement. C'est une analyse qu'il mène depuis longtemps à la lumière des avancées, des reculs, des arbitrages positifs et négatifs. (...) Je pense (...) que c'est une décision mûrie. En tout cas il avait deux choix, soit rester au gouvernement, saluer les petits pas mais tout en sachant qu'on n'était pas à la hauteur des enjeux mais c'était du coup valider cette action, soit partir. »


Sandrine Le Feur : « Le monde politique est très dur pour les gens droits qui ont des valeurs fortes »

Sandrine Le Feur, députée (LREM) de la quatrième circonscription du Finistère et agricultrice bio, a fait part à Reporterre de sa « déception » : « On était conscient des tensions entre le ministre de l'Agriculture et lui, ce n'était pas simple. Il a fait ce qu'il a pu. J'ai un profond respect pour son travail et sa personne. « Le monde politique est très dur pour les gens droits qui ont des valeurs fortes. » Je me sens concernée aussi par ces difficultés, ce n'est pas toujours facile. Maintenant, je pense que cette démission ne doit pas faire l'objet de récupération politique mais doit être un électrochoc pour toute la classe politique et les citoyens, et suscite une solidarité et l'envie d'avancer dans le même sens vers la transition écologique, parce qu'un ministre ne peut pas avancer seul sur ces questions. »


Barbara Pompili : « Un appel à la réflexion et à l'action sur les enjeux vitaux du climat et de la biodiversité »

La députée (LREM) de la deuxième circonscription de la Somme Barbara Pompili a salué sur Twitter la « décision difficile et intime » de Nicolas Hulot comme étant « un appel à la réflexion et à l'action - individuelles et collectives - sur les enjeux vitaux du climat et de la biodiversité. Récupération ou jugement hâtif ne seraient pas à la hauteur des défis ». L'ancienne EELV, secrétaire d'Etat chargée de la biodiversité en 2016 auprès de la ministre de l'Environnement Ségolène Royal, n'a pas souhaité s'exprimer dans la presse. Mais selon  Vosges Matin et  Les dernières nouvelles d'Alsace, ses collègues pousseraient sa candidature pour succéder au ministre démissionnaire de la Transition écologique et solidaire.

Pour les écolos, « la fin d'une illusion et du bal des Tartuffes »


Yannick Jadot : « C'est la fin d'une illusion et du bal des Tartuffes »

Du côté d'EELV, on souligne une « décision difficile qui dit la vérité sur les choix d'un gouvernement qui préfère les lobbies à l'écologie ». « Ce départ n'est pas l'aveu d'échec de Nicolas Hulot mais bien celui d'Emmanuel Macron, peut-on lire dans leur communiqué. L'illusion écologiste du président de la République se fracasse sur la réalité des choix systématiquement faits en faveur des pesticides contre la santé des agriculteurs, des forages pétroliers et du nucléaire contre le développement des énergies renouvelables, des grands projets inutiles plutôt que de la protection de la nature et des sols, du clientélisme électoral et de l'attention portée aux chasseurs contre la biodiversité et l'intérêt de toutes et tous », en référence à la présence du lobbyiste Thierry Coste - dénoncée par Nicolas Hulot - à une réunion du gouvernement sur le thème de la chasse lundi soir. « C'est la fin d'une illusion et du bal des Tartuffes », a jugé l'eurodéputé EELV Yannick Jadot  sur Twitter.


David Cormand : « Tout cela montre qu'on a encore besoin d'un parti écologiste »

« Ce que j'ai trouvé intéressant, ce sont les raisons que Nicolas Hulot a données pour expliquer sa démission. Ce n'est pas un départ pour raisons personnelles ou une réaction épidermique, mais une décision réfléchie depuis plusieurs semaines, a indiqué le secrétaire national d'EELV David Cormand à Reporterre. L'élément déclencheur a été la place des lobbies dans la manière dont les décisions sont prises par ce gouvernement. Mais depuis des mois, on a perçu des indicateurs inquiétants du décalage entre le nouveau monde revendiqué par Emmanuel Macron et sa vision du monde en réalité très archaïque, basée sur un libéralisme concurrentiel et sauvage, la financiarisation de l'économie et une croissance a tout prix qui sont en train de détruire la planète et de faire exploser les inégalités. On sait que notre modèle énergétique n'est pas viable, trop carboné et avec une filière nucléaire qui prend toute la place. Mais le gouvernement a quand même reculé sur la baisse de la part du nucléaire dans le mix électrique. Idem pour l'agriculture : le monde agricole est pris en tenaille entre les agro-industriels Bayer et Monsanto, la filière agro-alimentaire qui capte la richesse, et le lobby de la grande distribution qui casse les prix et engloutit les sols. Nicolas Hulot a bien souhaité organiser des états généraux de l'alimentation, mais c'est finalement le ministre de l'agriculture Stéphane Travert qui a repris la main... Tout cela montre qu'on a encore besoin d'un parti écologiste, car les forces politiques traditionnelles sont pieds et poings liés à l'ancien monde. »

« Chapeau à Nicolas Hulot d'avoir pris ses responsabilités en démissionnant d'un gouvernement libéral et anti-écologiste, a renchéri la députée européenne (EELV) Michèle Rivasi dans un communiqué. Une leçon doit être tirée de cette reconnaissance d'échec : il n'y a pas d'écologie d'accompagnement du système ; l'écologie transforme la société et le vieux modèle libéral-productiviste ou elle trahit. C'est pour cela et parce que Nicolas Hulot ne pouvait plus supporter de se mentir qu'il a démissionner. L'écologie est une vérité qui dérange qui n'a pas sa place au sein de ce gouvernement qui sacrifie l'intérêt général et celui des générations futures au profit d'intérêts particuliers court-termistes de puissants. »

« Cette démission met sur la table qu'on ne peut pas être écologiste et de droite »


Benoît Hamon : « La décision de Nicolas Hulot dévoile la réalité du pouvoir sans précédent de l'argent et des lobbies à l'intérieur même du gouvernement »

Même analyse du côté de Génération.s, le mouvement de Benoît Hamon. « Je salue la décision courageuse de Nicolas Hulot qui dévoile la réalité du pouvoir sans précédent de l'argent et des lobbies à l'intérieur même du gouvernement qui bloque la transition écologique indispensable »,  a tweeté ce dernier. « Nous avons trouvé cette démission sincère et nous espérons qu'elle va agir sur l'opinion publique comme un électrochoc, en montrant qu'on ne peut pas faire d'écologie dans le cadre du néolibéralisme, a expliqué la porte-parole du mouvement Aurore Lalucq à Reporterre : Nous sommes également soulagés car il n'est pas simple d'être dans l'opposition face à un personnage comme Nicolas Hulot, qui a mené des combats salutaires et a fait le lien entre écologie et social à travers ses combats des dernières années contre le CETA, etc. Même si on le sentait isolé et mal à l'aise dans ce gouvernement. Au moins, cette démission dévoile de manière extrêmement claire l'imposture écologique de ce gouvernement. Elle provoque un appel d'air au niveau du fond et des idées, en mettant sur la table que la transition écologique ne peut pas se satisfaire du néolibéralisme et qu'on ne peut pas être écologiste et de droite. La véritable transition écologique, c'est réguler le système bancaire le lundi, rompre avec les accords de libre-échange le mardi... Cette décision salutaire de Nicolas Hulot nous ouvre un champ pour agir et nous faire entendre, et va nous permettre d'avancer. »


Mathilde Panot : « Le départ de Nicolas Hulot acte qu'il ne peut pas y avoir de politique écologique à l'intérieur d'un gouvernement au service des ultra-riches »

Pour Jean-Luc Mélenchon, s'exprimant dans un tweet, la démission de Nicolas Hulot est la preuve que « la macronie [a commencé] sa décomposition ». « C'est la confirmation de l'analyse que nous faisions sur le fait que le modèle libéral n'est pas remis en cause par Emmanuel Macron et que le gouvernement d'Edouard Philippe est anti-écologique au possible, a expliqué à Reporterre la députée (La France insoumise) de la dixième circonscription du Val-de-Marne Mathilde Panot. Il va être intéressant de voir ce qui va se passer dans le groupe parlementaire de La République en marche. Je pense que certains vont être assez ébranlés, parce que « le départ de Nicolas Hulot acte qu'il ne peut pas y avoir de politique écologique à l'intérieur d'un gouvernement au service des ultra-riches », avec pour mot d'ordre 'Après moi le déluge' »

Simon Persico : « La démission de Nicolas Hulot crée un espace pour l'opposition écologiste »

Simon Persico est professeur de sciences politiques à Sciences Po Grenoble et au laboratoire Pacte.

Reporterre : Avez-vous été surpris par la démission de Nicolas Hulot ?

Simon Persico : Comme il était relativement secret, que l'été est une période politique calme, et qu'il n'avait mis personne au courant, j'ai été surpris comme tout le monde. Mais le diagnostic était partagé par la plupart des gens qui s'intéressent aux questions de politique écologique, d'un décalage entre les attentes qu'on pouvait avoir avec la présence de Nicolas Hulot au gouvernement et des politiques publiques en matière de transport, d'énergie, d'économies d'énergie, de protection de la biodiversité assez loin du compte. Lui-même était bien conscient qu'on était loin du compte et je pense que ces politiques n'étaient pas non plus à la hauteur de ses attentes. Il n'arrivait pas à trouver la manière politique de faire changer les choses, sans doute à cause de nombreuses résistances à un vrai changement au sein du gouvernement. Donc de ce point de vue, sa décision n'est pas surprenante.

Il a pourtant longtemps soutenu que la politique environnementale du gouvernement serait pire s'il n'était pas là...

Cet argument vaut tout le temps. C'est-à-dire qu'on peut toujours penser que les politiques environnementales seront plus favorables s'il y a un écologiste au gouvernement que s'il n'y en a pas. Mais ce n'est pas pour cela que les écologistes décident de systématiquement entrer au gouvernement ! Il faut tout de même certaines conditions, un espèce de seuil minimal en deçà duquel il est difficile de s'appuyer sur l'argument de « je sauve les quelques meubles qu'il y a à sauver ». Et je pense que Nicolas Hulot a pris conscience qu'il était en deçà de ce seuil. Alors oui, la politique environnementale du gouvernement sera peut-être encore pire maintenant. Mais comme le changement structurel ne venait pas, il a fait le diagnostic que ce n'était plus la peine d'y être, même pour sauver les quelques meubles qui restent.

Quel impact cette décision peut-elle avoir sur l'écologie politique ?

Si l'on considère que l'écologie doit être centrale dans la vie politique, ou en tout cas dans les politiques publiques qui sont menées, cela signifie qu'elle doit être un enjeu qui structure les débats politiques. Et pour qu'un enjeu structure les débats politiques, il faut qu'il soit conflictuel - avec des gens pour et d'autres contre. Or, jusqu'à présent, l'écologie a été politisée de manière exclusivement consensuelle. Nicolas Hulot était d'ailleurs le représentant de cette écologie consensuelle, en laissant accroire que tout le monde était capable de mener des politiques écologiques - la droite, la gauche, le capitalisme, l'économie, la social-démocratie... Mais son départ pourrait à long terme conduire à reconflictualiser cette question dans le débat public. Avec un gouvernement qui est clairement contre l'écologie, et une opposition, à laquelle appartient du coup maintenant Nicolas Hulot, qui défend la protection de l'environnement et la transformation écologique.

Car cette démission contribue à clarifier un peu plus - s'il était encore besoin - la ligne politique du gouvernement. On n'y trouve désormais plus personne qui défende une ligne ne serait-ce qu'un peu alternative au néolibéralisme. D'une certaine manière, cela élargit cet espace que Macron laisse à sa gauche au fur et à mesure qu'il se droitise - et qui n'est pas seulement occupé par la France insoumise. Pour l'instant, il est peu occupé parce que les appareils politiques comme EELV ou comme le PS sont très faibles. Mais à mon avis, Nicolas Hulot aura sa part à jouer dans la reconstruction de cet espace, aujourd'hui béant maintenant que le gouvernement de Macron est un gouvernement de droite comme les autres.

 reporterre.net

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