07/09/2018 europalestine.com  6 min #145375

Washington ne financera plus l'Unrwa

Réfugiés : Le patron de l'Unrwa dénonce la décision de Trump

« il serait illusoire d'espérer un accord de paix dans le conflit israélo-palestinien sans règlement de la question des réfugiés", a déclaré Pierre Krähenbühl, patron de l'UNRWA, en dénonçant la décision américaine de cesser tout financement à l'agence pour les réfugiés palestiniens. Extraits de l'interview d'Armin Arefi pour le magazine Le Point.


Aide alimentaire de l'UNRWA aux réfugiés de Gaza sous blocus

Le Point : Où en est l'état de vos finances aujourd'hui ?

À ce jour, nous avons réussi à mobiliser 138 millions de dollars, ce qui est une somme remarquable en tant que telle. La recherche de fonds progresse. Nous avons réussi à ouvrir les écoles à temps pour que plus d'un demi-million d'élèves puissent effectuer leur rentrée sur les différents terrains où nous opérons, ce qui était un succès. Je dois dire que je suis fier et satisfait de voir qu'on a réussi à protéger une très grande partie de nos activités. Mais la situation est toujours critique pour notre organisation. Nous n'avons actuellement de l'argent que jusqu'à la fin du mois de septembre, et il manque un peu plus de 200 millions de dollars pour clore les dépenses prévues cette année.

Quels pays ont été les plus généreux ?

Les plus grosses contributions sont venues des pays du Golfe : 50 millions de dollars ont été versés par le Qatar, 50 millions par les Émirats arabes unis, et 50 autres millions ont été annoncés par l'Arabie saoudite. Nous avons ensuite des pays comme le Japon ou l'Inde qui ont augmenté de façon importante leur aide. La Turquie s'est aussi beaucoup engagée. Le Canada et plusieurs pays européens ont déjà annoncé des contributions additionnelles, ou sont en train de réfléchir à travailler avec nous dans cette perspective. L'Allemagne et le Royaume-Uni ont mobilisé beaucoup d'argent. La Suède est un partenaire historique. La Norvège a ajouté des moyens. Et nous nous réjouissons que le dialogue avec la France ait entraîné une augmentation de sa contribution à l'UNRWA.

Comment la baisse de l'aide américaine s'est-elle traduite sur le terrain ?

Nous avons dû émettre des priorités, comme l'accès d'un million de personnes à l'aide alimentaire à Gaza, les écoles, ou une clinique. Mais certains choix ont été très difficiles, par exemple, les initiatives pour la création d'emplois à Gaza, ce qui mangue cruellement, ou alors le soutien psychologique aux personnes qui ont subi des traumatismes dans différentes phases du conflit à Gaza. Ces coupes sont d'autant plus pénibles que, dans plusieurs cas, nous avons dû nous séparer de 116 de nos employés. Certes, vous pouvez penser que ce n'est pas énorme sur les 12 500 que nous employons dans l'enclave, mais, à Gaza, il n'y a pratiquement aucune chance de trouver un emploi. Ces gens se sont retrouvés dans une situation d'angoisse extrême, à tel point que des manifestations ont eu lieu et que nous avons tout bonnement perdu le contrôle de nos bureaux à Gaza. Les manifestants exprimaient beaucoup d'amertume, de déception et de rage par rapport à la décision que l'on avait dû prendre, mais nous n'avions pas le choix. Maintenant, sachez qu'une grande partie de nos employés travaillent dans nos écoles. Si le système scolaire avec son demi-million d'élèves venait à être affecté, vous pouvez imaginer ce que cela donnerait en termes de réaction.

Sans aide, existe-t-il un risque de radicalisation des réfugiés ?

Il faut tout d'abord savoir que leur quotidien est déjà marqué par une absence totale d'horizon. En termes de perspectives, les gens ne savent pas où la région va. Il n'existe aucune dynamique de négociations ou de paix à l'horizon. Sur le plan personnel, un très grand nombre de ces personnes souffre, notamment à Gaza, de l'absence de perspectives d'emploi. La frustration est énorme. De plus, peu après l'annonce des coupes dans les financements de l'UNRWA, le transfert de l'ambassade américaine à Jérusalem a créé dans la région une vague d'émotion. Donc, si vous êtes réfugié palestinien, votre niveau d'angoisse et d'anxiété a déjà augmenté de manière considérable. Et cette situation n'a fait que s'envenimer. Il est donc clair que, si certaines de nos activités venaient à ne plus pouvoir être réalisées, les réactions seraient très dures. Et je vais simplement citer des dirigeants jordaniens à ce sujet : le roi Abdallah II en personne a déjà publiquement annoncé lors de visites aux États-Unis que la non-scolarisation des 122 000 réfugiés palestiniens installés dans son pays serait une question de sécurité nationale.

Les États-Unis critiquent le mode de fonctionnement de l'UNRWA qui « créerait » des réfugiés en transmettant le statut des parents aux enfants.

C'est évidemment faux et c'est une critique que l'on ne peut accepter. C'est exactement de cette manière que procède le Haut-Commissariat pour les réfugiés (le HCR, créé après l'UNRWA, et qui s'occupe de tous les autres réfugiés au monde, NDLR). Les réfugiés afghans, qui ont fui l'invasion soviétique de 1979, sont évidemment les descendants des réfugiés d'origine. Ce qui est clair à mes yeux est que la décision américaine a été prise pour des motifs politiques, ce qui est d'autant plus regrettable que l'aide humanitaire doit, en principe, être protégée des risques de politisation.
S'il y a une raison qui explique qu'on est toujours là, c'est l'échec patent, tant de la communauté internationale que des parties prenantes, dans la résolution de ce conflit.

Washington accuse également votre organisation d'être une partie du problème, pas de la solution du conflit.

"Je pense que les acteurs politiques qui formulent de telles affirmations doivent sérieusement se regarder en face et se demander ce qu'il faut faire politiquement pour résoudre ce conflit.

"L'ambassadrice américaine à l'ONU, Nikki Haley, remet en cause la définition même du réfugié palestinien et critique le fait qu'il existe une distinction avec un réfugié vénézuélien ou syrien par exemple. Pourquoi cette différence ?"

Mais il n'y en a pas ! C'est précisément cela, la chose extraordinaire ! Que l'on puisse constamment répéter des choses qui ne correspondent pas aux définitions du droit international. (D'après la définition du HCR, un réfugié est une personne qui a été contrainte de fuir son pays en raison de persécutions, de guerre ou de violence ; qui ressent une crainte fondée de persécution pour des questions de race, de religion, de nationalité, d'opinion politique ou d'appartenance à un groupe social, qui ne peut retourner chez lui ou a peur de le faire. Selon l'UNRWA, les réfugiés palestiniens sont les « personnes dont le lieu normal de résidence était la Palestine durant la période allant du 1er juin 1946 au 15 mai 1948, et qui a perdu sa maison et ses moyens de subsistance après le conflit de 1948 », NDLR).

Vous évoquez l'absence de solution politique dans le conflit israélo-palestinien. Que pensez-vous du plan de paix promis par Donald Trump ?

Je crois qu'on ne peut pas imaginer que l'on puisse résoudre politiquement un conflit en excluant cinq millions de personnes, qui sont les réfugiés de Palestine, d'une future solution. Je ne pense pas que ce soit cela qui amène la stabilité.

Source :  lepoint.fr

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