13/09/2018 elcorreo.eu.org  7 min #145655

Salvini pointe du doigt les contraintes imposées par l'Ue, après la catastrophe de Gênes

... Et en Italie un pont est tombé.

par  Rafael Poch de Feliu*

En Italie un pont est tombé. Le ministre de l'Intérieur italien a osé murmurer que la condamnée politique d'austérité imposée par l'Allemagne dans l'UE, « nous empêche de consacrer l'argent nécessaire à la sécurité de nos autoroutes ». La réponse de Bruxelles a été de dire que c'était du « populisme » que la faute revient à la mauvaise administration des bras cassés italiens. S'il pouvait en être ainsi.

Selon des données de l'OCDE, l'Italie a dépensé (en 2015) 14 milliards dans son réseau routier de 7 000 kilomètres. L'Allemagne, qui a un réseau d'autoroutes presque deux fois plus grand que l'italien (13 000 kilomètres) a dépensé la même année 11, 6 milliards. C'est-à-dire que l'Italie investit plus que l'Allemagne dans ce domaine. Que les ponts allemands soient dans un état déplorable même le Frankfurter Allgemeine Zeitung, le principal organe de presse écrite de l'establishment allemand, le reconnait. Et pas seulement les ponts, aussi les voies ferrées, le système allemand de signalisations, etc., etc. sont en grande partie décrépits.

Ce n'est pas un problème italien ni allemand. C'est un problème européen qui est le résultat direct de la politique de réduction de la dépense publique, et de privatisation, appliquée depuis des années. En France le déraillement de Brétigny de juillet 2013 a été un symptôme clair. Toute l'infrastructure ferroviaire, exceptée celle à haute vitesse, est négligée. La dernière grève des cheminots français est aussi liée à la ligne de Macron poursuivant cette décadence induite en faveur du transport routier et des privatisations. Des accidents similaires relatifs à l'abandon ont également eu lieu en Angleterre et en Belgique. En Italie onze ponts se sont écroulé dans les cinq dernières années. La réduction des investissements dans la maintenance d'infrastructures est évidente, spécialement à partir de 2011 sous le gouvernement de « San » Mario Monti. Mais ce n'est même pas un problème de l'UE.

Les rapports de l'American Society of Civil Engineers (ASCE) révèlent depuis des années l'état catastrophique d'abandon des infrastructures publiques aux États-Unis ; non seulement des aéroports, des ponts, des voies de chemins de fer, des routes, des canaux et des ports, mais aussi des réseaux d'eau, des écoles, etc. C'est, comme on a l'habitude de dire, un « problème systémique ».

Cela fait déjà de nombreuses années que les riches ont obtenu des conditions pour moins distribuer et pour consacrer plus à leur propre enrichissement : voir l'évolution rampante des grandes fortunes et de la concentration de plus en plus inégale des rentes dans les pays riches. Tout cela serait du domaine public si ce n'était à cause de nos médias structurellement corrompus, de la la simple raison qu'ils font partie de ce problème et de cette politique : dans leur immense majorité ils appartiennent à des magnats et à de grands groupes économiques et naturellement sont fervents adeptes du culte néolibéral.

Voyez sinon comment la Grèce a été informée de la fin de l' « aide » financière, événement qui s'est produit le 20 août. C'était presque une célébration ; « la Grèce voit la lumière à la fin du tunnel », « grâce au sacrifice de sa population, l'Europe suivra entière... » et des choses du même genre. Cependant, les données sont claires ; la dette grecque est passée de 135 % du PIB en 2009 à 180 %, le chômage de 10 % à 20 %, le pays a perdu 400 000 habitants. Et l'Allemagne a empoché 3 milliards au titre des intérêts ! « La Grèce y est parvenu, nous y sommes parvenus », a déclaré le 21 août le commissaire Pierre Moscovici (dans le journal télévisé allemand Tageschau). Sont-ils idiots ou nous prennent ils pour des idiots ? Cela revient au même. Les élites vivent dans leur monde jusqu'à ce que le sujet leur éclate dans les mains.

Et comme une cerise sur le gâteau, l'annonce selon laquelle Berlin veut que le remplaçant de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission Européenne (numéro un de l'UE) soit un Allemand : Manfred Weber. Les Allemands continuent d'accaparer les postes à l'UE. Avec des méthodes conspiratrices de crime nocturne et de trahison qui ont été dénoncées même par le défenseur du peuple, Emily O'Reilly. Ils ont imposé leur homme, Martin Selmayr, comme secrétaire général de la Commission, un poste fondamental. Sans publication de poste vacant ni avis d'un concours, a dénoncé O'Reilly.

Les Allemands, la droite allemande, contrôlent le budget de l'UE (jusqu'en 2027 !) avec le maladroit Günther Oettinger, ils dirigent la banque européenne d'investissements, le mécanisme de sauvetage de l'euro, le secrétariat du Parlement Européen et ont la direction de presque tous les groupes parlementaires de la chambre. Là où ils n'ont pas leur homme, ils ont une marionnette, un homme de paille ou de confiance de la chancelière Merkel, comme le polonais Donald Tusk, un cas parmi plusieurs. Et là où il y a un type aux commandes qui ne leur plaît pas, celui-ci a à côté de lui un commissaire allemand pour le contrôler. Cela rappelle beaucoup les premiers secrétaires des républiques de la dernière URSS : tous étaient locaux, mais presque tous avaient comme second des russes de toute confiance... Et maintenant ils veulent mettre Weber, un type sans une grande expérience, au poste de Juncker. Une chose est sûre : des ponts continueront de tomber et nous continuerons à sortir de la crise comme la Grèce.

Rafael Poch de Feliu* pour son  blog personal

 Rafael Poch de Feliu. Catalunya, le 6 septiembre 2018

* Rafael Poch-de-Feliu (Barcelone, 1956) a été durant plus de vingt ans correspondant de « La Vanguardia » à Moscou à Pékin et à Paris. Avant il a étudié l'Histoire contemporaine à Barcelone et à Berlin-Ouest, il a été correspondant en Espagne du « Die Tageszeitung », rédacteur de l'agence allemande de presse « DPA » à Hambourg et correspondant itinérant en Europe de l'Est (1983 à 1987).

Traduit de l'espagnol pour  El Correo de la Diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi

 El Correo de la Diaspora. Paris, le 12 septembre 2018

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