14/09/2018 reporterre.net  6 min #145666

Les gendarmes évacuent violemment la Zad du Moulin, près de Strasbourg

José Bové : « Le Gco, c'est comme Notre-Dame-des-Landes : un projet dépassé vieux de 40 ans »

La lutte se poursuit contre le GCO projet autoroutier près de Strasbourg où des élus et des citoyens ont été gazés par les gendarmes. Impliqué depuis le début, José Bové, député européen, a lui aussi été victime des violences des forces de l'ordre. Il juge que le projet autoroutier est contraire à ce qu'il faut faire pour le climat. Entretien.

Reporterre - Quelle est votre analyse sur ce qui vient de se passer ?

José Bové - Il n'y avait aucune nécessité pour les autorités d'intervenir cette semaine : c'est une décision du préfet, du département et de la région de commencer le déboisement et de le mener à son terme avant la fin de la semaine, alors que dès dimanche, contact était pris pour qu'une rencontre ait lieu et qu'un rendez-vous formel avait été fixé. Et en même temps, on a assisté à un déploiement de forces, à l'évacuation de la Zad, et au déclenchement de la déforestation. Tout ceci a été cautionné par l'Agglomération de Strasbourg, avec un ministère de l'Ecologie totalement absent voire d'accord, puisque Mme Borne, la ministre des Transports, avant même que M. de Rugy prenne la parole, disait que ce contournement se ferait, qu'il était nécessaire.


Mardi 11 septembre au matin, des arbres ont déjà été abattus à Kolbsheim.

Il y a un refus entêté de prendre en compte les éléments qui ont été apportés depuis longtemps par les opposants. C'est une situation identique à ce qui se passe pour des grands projets inutiles comme Notre-Dame-des-Landes, parce que ce projet, comme Notre-Dame-des-Landes, a quarante ans. Il exprime une vision des solutions au transport identique à celles qu'on pouvait voir sur le transport aérien, c'est-à-dire des schémas dépassés de la politique des transports.

Le Parlement européen a voté récemment l'obligation d'une taxe sur les transports routiers, sur les kilomètres parcourus, et l'argent qui sera récolté sera fléché vers d'autres modes de transport, pour changer la logique, notamment avec la prise en compte du réchauffement climatique. Tout cela a été acté au Parlement européen. Maintenant, c''est aux États de le décider pour que cela s'applique.

Quelle conséquence cela aurait-il sur le projet GCO ?

Ce projet tomberait parce qu'il n'aurait plus de nécessité. Aujourd'hui, on est dans des coûts de transport moindres en France que du côté allemand, ce qui entraîne les transferts de trafic de notre côté. Avec la taxe, le transfert va se reporter de l'autre côté de la frontière.

Aujourd'hui, le projet du GCO revient à ajouter une autoroute à une autoroute existante : quand on a un problème de circulation, plutôt que de se demander comment le réduire, on se demande comment l'absorber, donc on double. Mais comme en même temps ça ne règle rien pour l'entrée à Strasbourg, on veut augmenter les voies, ce qui fait venir encore plus de camions. Au contraire, il faut inverser la logique du transport, et même se demander son intérêt et le type d'économie que cela induit. C'est un modèle global de mobilité qui est en jeu dans ce grand contournement.

Le GCO est-il compatible avec une politique écologique ?

Il y a des autres aspects qui sont largement étayés par les scientifiques au niveau de la pollution de l'air, où l'on peut dire que le GCO ne changera rien à la qualité de l'air. En ce qui concerne la biodiversité et les terres agricoles, avec l'autoroute et les échangeurs, de 330 à 350 hectares de terres agricoles seraient détruits.

Il n'y a aucune prise en compte du fait que l'on doit changer de modèle. Il y avait 5.000 personnes à Strasbourg samedi 8 septembre dans les rues contre le changement climatique, on n'avait jamais vu ça, et deux jours après, alors que les ministres disent, « Ca a été un succès et il faut aller plus loin », le gouvernement ne change rien et au contraire continue.


Près de 750 personnes, selon les organisateurs, ont manifesté contre le GCO, mercredi 12 septembre, à Kolbsheim.

Le nouveau ministre, François de Rugy est-il impuissant, malhonnête ?

Je lui ai lancé un message en lui disant, il n'est pas trop tard, les arbres ont été détruit, on pourra replanter et refaire la forêt. Mais au niveau des services de l'Etat et des lobbies - parce que Vinci est au milieu de la paroisse -, on a clairement une volonté d'aller jusqu'au bout, et je ne sens pas de la part du ministre de l'Ecologie et des Transports un désir de remettre en cause ce projet.


Mercredi 12 septembre, à Kolbsheim.

Pourquoi cet acharnement ? Pour faire plaisir à Vinci ?

Je dirais que c'est une logique globale. Évidemment Vinci est très content : ce sont des bétonneurs, plus on fait de béton, plus ils sont contents. Il y aussi le lobby du transport autoroutier. Et puis surtout, une incapacité à changer de modèle. On ne peut pas faire d'un côté la COP 21 et se réjouir de l'Accord de Paris, et d'un autre côté continuer comme avant.

Que va-t-il se passer maintenant sur le GCO ?

Il y a un premier élément judiciaire, un jugement en référé qui doit être rendu vendredi. Ce peut être important, d'autant plus que si on regarde le dossier, on constate que c'est le cas où il y a eu le plus d'avis négatifs des diverses commissions qui l'ont étudié. Malgré cela, le projet a continué comme si de rien n'était.

Par ailleurs, une nouvelle mobilisation aura lieu samedi à Kolbsheim. A partir de là, d'autres modes d'action vont être lancés. Beaucoup de gens sont extrêmement choqués de ce qui s'est passé.

Que pensez-vous du fait que des élus aient été aspergés de gaz lacrymogène ?

Il est clair que les ordres donnés aux gendarmes, c'est qu'on se fiche complètement de savoir s'il y a des élus ou pas. Il y a un refus que les élus puissent être des médiateurs dans une confrontation. Les élus directement concernés sur leur commune sont dépossédés de la liberté de circuler sur leur propre territoire. La députée locale ou les députés européens peuvent aussi servir de médiateurs pour faire baisser la tension. Mais c'était le refus intégral : aucun officier n'est venu à aucun moment, alors qu'on venait vérifier si les choses se passaient conformément à la loi. Je ne demande pas un traitement de faveur parce qu'on est élu, mais les élus dans ce genre de situation peuvent être des médiateurs qui changent la réalité de la confrontation.

Le pouvoir veut-il pousser à la tension ?

Ce comportement pousse clairement à la tension et crée un climat où les représentants locaux sont niés dans leurs droits - le maire théoriquement est officier de police judiciaire sur la commune. C'est une dérive, une négation des droits démocratiques.

  • Propos recueillis par Hervé Kempf

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