22/09/2018 reseauinternational.net  8 min #145997

La bataille d'Idleb est repoussée

Idleb : Le calme dans l'œil du cyclone

Cet article a été envoyé au rédacteur en chef au nom de Peter FORD, ancien ambassadeur britannique en Syrie.

Il semblerait que les Russes ont pressé le bouton pause de leur projet d’offensive aux côtés du gouvernement syrien, projet visant à reconquérir la province d’Idleb. Quand ils repasseront en mode actif, il se pourrait bien que la musique de leur marche militaire ne soit plus la même.

Nouvelles mesures étasuniennes pour la Syrie

Sans tambour ni trompette, les États-Unis viennent de changer la formulation des conditions leur permettant de lancer des frappes dévastatrices en Syrie. Leur prétexte n’est désormais plus l’usage d’arme chimique, mais toute cause ‘humanitaire’ jugée leur convenir. Au cours d’ une interview accordée au Washington Post le 6 septembre, James Jeffrey, nouvel Envoyé spécial en Syrie – un teigneux fraîchement pondu par l’incubateur de néocons appelé Washington Institute for Near East Policy –, n’a pas mâché ses mots :

« Nous avons commencé à employer un nouveau langage, » a dit Jeffrey, faisant référence aux avertissements antérieurs contre l’utilisation d’armes chimiques. Désormais, a-t-il dit, les États-Unis ne toléreront « aucune attaque. Point. »

« Toute offensive est pour nous une escalade téméraire répréhensible, » a-t-il dit. « Vous ajoutez à cela, si vous employez des armes chimiques, provoquez des flux de réfugiés ou attaquez des civils inoffensifs. » [Il s’exprime en morse néocon difficilement traduisible, NdT]

Les remarques de Jeffrey ont été peu remarquées car il a annoncé ce même jour du plus sensationnel : La ‘nouvelle’ politique sur la Syrie, qui implique l’annulation du retrait annoncé par Trump des troupes étasunienne avant fin 2018, et l’instauration officielle d’un plan à deux objectifs : Suppression de toute trace de présence iranienne en Syrie & Installation là-bas d’un régime satisfaisant les conditions étasuniennes – des conditions que le président Assad, de l’aveu même de Jeffrey, ne peut vraisemblablement pas réunir.

Les gros titres se sont naturellement focalisés sur cette dernière folie de Washington – pense-t-on à Washington que l’Iran baissera pavillon tant qu’il y aura un seul troupier étasunien sur le sol syrien, ou tant que le ‘ Mandela syrien ’ piaffera en coulisses ? – et l’importance des remarques concernant Idleb n’a pas été relevée. Ces nouvelles règles peuvent pourtant pousser le monde au bord de la guerre mondiale.

Nouvelle doctrine interventionniste étasunienne

Ce qu’a dit Jeffreys est très clair. Avec ou sans allégation de recours à l’arme chimique, tout soudain départ de masse d’Idleb de civils effrayés, l’usage de ‘bombes-barils’ imaginaires ou le lancement d’une offensive majeure, sera prétexte à déclencher un bombardement drastique et soutenu visant à mettre le gouvernement syrien à genoux.

Jusqu’à présent, les administrations étasuniennes successives ont pris soin de mettre la ligne rouge – dont le franchissement lance leur intervention en Syrie – sur l’usage d’armes chimiques, sans doute parce qu’il existe un accord universel et une convention internationale qui rendent tabou le recours à ces armes prohibées. Ces armes ont été après tout le casus belli pour l’Irak, même s’il s’est avéré bidon. Désormais, nous voilà soudainement avec une nouvelle doctrine plus complète, et par conséquent plus dangereuse.

Le Département d’État n’a encore ni expliqué ni justifié la raison du changement devant le public étasunien, le Congrès ou quiconque, mais nous pouvons émettre des hypothèses. Les décideurs ont peut-être pensé qu’à la prochaine allégation de recours à l’arme chimique en Syrie, il sera très certainement plus difficile de faire avaler l’intervention au public que les deux fois précédentes, car le jeu pourrait alors être démasqué ? Il y a non seulement la pensée que les Casques blancs puissent ne pas être du tout ce que raconte le discours médiatique, mais les inspecteurs de l’OIAC, qui ont pu pour une fois se rendre sur un site de crime, n’ont trouvé aucune trace d’arme prohibée. Ajoutons à cela ces casse-pieds de Russes, qui racontent inutilement au monde comment et où les Casques Blancs vont mettre en scène leurs prochaines prestations oscarisée. Aussi, pourquoi aller s’enquiquiner avec tout ce cirque d’armes chimiques, puisque l’opinion occidentale est déjà bien préparée à accepter toute intervention, pourvu qu’elle ait un semblant d’air ‘humanitaire’ et qu’elle descende ces fichus Russes ?

Le devoir de protéger

Revivifier le ‘devoir de protéger’, principe à l’air inoffensif approuvé par l’ONU et estimé par les interventionnistes de gauche comme de droite. Il n’est pas grave que la plupart des spécialistes du droit rejettent catégoriquement ce principe, qui légalise l’agression armée sans l’approbation du Conseil de sécurité ou en dehors du cadre de la légitime défense. Ce principe n’a-t-il pas été effectivement invoqué dans la déclaration justifiant la posture du gouvernement britannique, prononcée à l’époque des frappes qui ont suivi l’affaire de Douma ? (L’administration étasunienne, connaissant son public, n’a jamais pris la peine de se justifier devant le droit international.)

Léger hic : Bien que sur un coup de tête et sans recourir au Parlement, le gouvernement britannique ait cherché à couvrir préventivement ses actes guerriers en les déguisant en opérations humanitaires, il peut néanmoins y avoir beaucoup d’inquiétude au Parlement et peut-être même au sein des chefs de départements ministériels, si le gouvernement se montre prêt à lancer des attaques aux côtés des États-Unis, sans qu’il n’y ait d’incident à l’arme chimique. Pour cette raison, il est probable que le gouvernement britannique tentera de convaincre les États-Unis de ne pas abandonner le chlore.

Est-ce l’aggravation de cette nouvelle menace – que Assad rende ou ne rende pas service avec une attaque suicidaire au chlore – qui a incité les Russes à renoncer à la chasse aux méprisables terroristes intérimaires ? Probablement pas, puisque les Russes savaient parfaitement que de toute façon, les fausses attaques chimiques se produisent. Toutefois, ils seront attentifs au fait que les États-Unis viennent d’aggraver les critères justifiant leur prochaine grosse intervention en Syrie, et que rien ne les dissuadera d’attaquer.

Pour ceux qui dans leur naïveté pensaient sincèrement qu’en arrêtant le chlore, Assad ne serait pas bombardé, le monde est soudainement devenu beaucoup plus périlleux. Mais pour les réalistes, le nouveau principe ne fait que mettre fin à l’hypocrisie, ou introduit plutôt une inflexion dans l’hypocrisie de ceux qui salivent à la perspective de déguiser en obsession humanitaire dépassant de loin l’aversion des armes chimiques, les attaques contre la Syrie, la Russie et l’Iran.

 Strategic Culture Foundation, Peter Ford

Photo: James Jeffrey, nouvel Envoyé spécial en Syrie

Original :  www.strategic-culture.org/news/2018/09/19/idlib-lull-before-hurricane.html
Traduction  Petrus Lombard

 reseauinternational.net

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