28/09/2018 entelekheia.fr  13 min #146299

Saga Skripal : « boshirov » n'est probablement pas « chepiga », mais n'est pas non plus « boshirov »

Par Craig Murray
Paru sur  le blog de l’auteur sous le titre “Boshirov” is probably not “Chepiga”. But he is also not “Boshirov”

La publication russe Kommersant  a publié des interviews d’habitants du village d’origine de Chepiga. L’article indique clairement qu’il n’a pas été vu là-bas depuis de nombreuses années. Il affirme que les opinions divergent sur la ressemblance entre Chepiga et Boshirov. Un homme dit avoir reconnu Chepiga lorsqu’il est apparu à la télévision sous le nom de Boshirov, surtout à cause des yeux, bien qu’il ne l’ait pas revu depuis l’école. Une autre femme affirme que ce n’est pas Chepiga, car la dernière fois qu’elle l’avait vu, il y a dix ans, il était déjà presque chauve et il avait le visage plus ouvert et sympathique, bien que les yeux des deux hommes soient du même brun.

Naturellement, les journalistes des médias grand public tweetent et publient le témoignage de l’homme et omettent celui de la femme.

Mais l’article de Kommersant leur offre un défi supplémentaire. Kommersant appartient à un proche allié politique de Poutine, son colocataire quand ils étaient étudiants, le PDG de Gazprominvestholdings et résident le plus riche du Royaume-Uni Alisher Usmanov. Que l’un des journaux russes les plus influents, détenu par un proche de Poutine, imprime des reportages aussi ouverts et honnêtes dément plutôt le mantra selon lequel « La Russie est une dictature ». Et contrairement aux sites Web du Guardian et de la BBC, sur le site Web de Kommersant, les Russes ordinaires peuvent commenter librement l’affaire, et le font.

Une chose est certaine, c’est que Chepiga existe. *

Les indices s’accumulent sur un point : la Russie ne dit pas la vérité sur « Boshirov » et « Petrov ». S’il s’agissait de vraies identités, elles auraient déjà été officiellement confirmées. Nous savons tout ou presque sur le petit ami, le chat, la cousine et la grand-mère de Ioulia Skripal, et la vie de « Boshirov » et « Petrov » auraient dû faire l’objet de la même transparence. Il est manifestement dans l’intérêt de l’État russe et de son oligarchie de prouver que ces deux hommes sont bien ce qu’ils disent être, et cela devrait l’emporter sur les préoccupations relatives à la vie privée de ces individus. Les droits de la personne n’ont pas la priorité sur l’intérêt de l’État en Russie.

Mais penser que « Boshirov » est le « Colonel Chepiga » est également inepte.

Le problème tient à la méthodologie de Bellingcat. Il n’est pas parti de renseignements selon lesquels « Chepiga » serait « Boshirov ». A la place, il aurait soi-disant fait des recherches dans une base de données d’agents du GRU de l’âge idoine, puis il a passé en revue des photos de ses albums annuels jusqu’à ce qu’il en trouve une qui ressemblait un peu à « Boshirov ». Et effectivement, l’homme ressemble un peu à « Boshirov ». Si vous mettez de côté les différences, par exemple la forme du crâne et du nez.

Seule la photo de gauche est de Chepiga. Les deux autres sont, pour celle du centre, tirée du dossier de demande de passeport russe de « Boshirov » ; à droite, nous avons la photo de « Boshirov » publiée par Scotland Yard.

Comme presque tout le monde sur internet, j’ai pensé que les deux photos en noir et blanc provenaient des dossiers de Chepiga, et j’étais prêt à admettre que Chepiga était bien « Boshirov ».

Mais une fois que vous comprenez que — comme le confirme Bellingcat si vous le lisez attentivement — seule la photo de gauche représente Chepiga, vous commencez à vous poser des questions.

Les deux gars à droite et au centre sont sans aucun doute la même personne. Mais le gars de gauche est-il bien le même en plus jeune ?

Betaface.com, qui utilise un logiciel de reconnaissance faciale de niveau professionnel, donne aux visages une ressemblance de 83 %, ce qui situe la probabilité qu’ils soient la même personne à 2,8 %.

En comparaison, il me donne une ressemblance de 72 % avec Chepiga et une chance de 2,1 % d’être lui.

Il y a une ressemblance superficielle. Mais si vous prenez les ratios standard utilisés pour la reconnaissance faciale, vous obtenez un résultat très différent. Si vous tracez une ligne entre le centre des pupilles des deux hommes au centre et à droite, puis prenez une perpendiculaire de cette ligne jusqu’au bout du nez, vous obtenez un ratio clé. Les deux de droite ont un rapport de 100:75, ce qui n’est pas surprenant puisqu’il s’agit de la même personne. Celui de gauche a un rapport de 100:68, ce qui est très différent.
En termes simples, son nez est beaucoup plus court, et ses yeux sont, semble-t-il, plus écartés.

Il est possible que de telles différences se voient sur des photos de la même personne. Mais il faudrait incliner la tête vers l’arrière ou l’avant à un angle assez prononcé pour modifier ces rapports, ce qui ne semble pas être le cas ici. L’appareil photo pourrait être placé au-dessus ou au-dessous du sujet, ce qui ne semble pas être le cas non plus. Et la photo pourrait être redimensionnée avec des rapports de hauteur et de largeur modifiés. Ce serait difficile à détecter.

Mais les trois points blancs au bas du nez sont particulièrement parlants (le point du milieu est partiellement occulté par un point rouge sur la photo de Chepiga). Ils illustrent que Chepiga a un nez retroussé, alors que celui de Boshirov est un peu aquilin. Le logiciel confirme ce que l’œil peut voir clairement.

Et d’autres ratios sont également différents. Chepiga a une bouche plus étroite par rapport à la distance entre les pupilles que « Boshirov » sur ses deux photos. La différence est de 100-80 par rapport à 100-88. C’est un rapport qui peut être modifié par l’expression faciale, mais cela ne semble pas être le cas ici.

Le professeur Sue Black, de l’Université de Dundee, est la première experte mondiale en matière de reconstruction médico-légale du visage. Une fois, j’ai passé un déjeuner fascinant assis à côté d’elle, quand j’étais recteur. Je la contacterai pour savoir si le type à gauche est la même personne, et si elle a la gentillesse de me donner son avis, je vous le transmettrai tel quel.

Ce site est moins professionnel, mais donne un résultat clair, et vous pouvez le refaire vous-même sans avoir à vous abonner (contrairement à Betaface.com) :

En rouge, en bas au centre, surligné en rouge : « Des personnes différentes ».

Toujours à titre de comparaison, j’ai essayé deux photos de moi à 12 ans d’intervalle et j’ai obtenu le résultat « presque la même personne ». [Deuxième ligne, NdT]

Il convient de répéter que la seule preuve selon laquelle Chepiga est Boshirov offerte par Bellingcat est cette photo. Le reste de leur article tente simplement de retracer la carrière de Chepiga.

C’est une hypocrisie flagrante de la part de Bellingcat, selon qui des dizaines de photos de Casques blancs identifiés comme des combattants djihadistes n’étaient pas des preuves valables parce que, disait-il, on ne peut pas reconnaître à coup sûr des visages sur des photos.

Tweet du haut : « Les identifications à base de correspondances faciales positives sont plus difficiles à établir que certains ne le pensent et sont aussi utilisées pour salir des individus ou des groupes. 1/3 » Deuxième tweet : « les types poutiniens ou pro-Assad aiment bien le faire, trouver un djihadiste qui ressemble à un Casque blanc, mais sans détails suffisants pour le certifier. » Troisième tweet : « Si vous ne pouvez pas trouver des détails comme des grains de beauté, des cicatrices ou des imperfections, il est difficile d’établir une correspondance faciale fiable en se fondant seulement sur des images. »

Pourtant, Higgins affirme maintenant que son identification faciale de Chepiga comme Boshirov est « concluante », malgré l’absence de grains de beauté, de cicatrices ou d’imperfections. Higgins s’avère un hypocrite. Permettez-moi d’aller plus loin. Je ne crois pas que Higgins n’ait pas fait la démarche élémentaire d’utiliser une technologie de reconnaissance faciale pour les photos, et je crois qu’il nous en cache les résultats. N’est-il pas également étonnant que les médias grand public n’aient pas procédé à ce test tout simple ?

La majeure partie de l’article de Bellingcat tente simplement de prouver la réalité de l’existence de Chepiga. C’est difficile à évaluer, mais comme les indices qui le relieraient à « Boshirov » sont inexistants, c’est hors de propos. Après avoir cherché un officier de la GRU du même âge qui ressemblerait un peu à « Boshirov », il proclame à plusieurs reprises que, parce que Chepiga a à peu près le même âge que Bohirov, c’est une preuve. Alors que ce n’est qu’une démonstration particulièrement fruste de raisonnement circulaire.

Ce  site non officiel désigne en effet Chepiga comme Héros de la Fédération de Russie et lauréat de 20 prix, comme l’affirme Bellingcat. Mais il est impossible de savoir s’il est authentique, et en revanche, il n’y a  pas de Chepiga sur la liste officielle des Héros de la Fédération de Russie pour l’année 2014 ou toute autre année, ce que Bellingcat oublie de dire. Ses autres documents et sources anonymes sont invérifiables.

Mon hypothèse jusqu’à présent est que la source de Bellingcat est très probablement ukrainienne et qu’elle tente de relier l’affaire Skripal à la guerre civile ukrainienne via Chepiga.

Voici mon point de vue sur l’explication la plus plausible des preuves actuellement disponibles :

Boshirov n’est pas Boshirov, et le gouvernement russe ment.

Boshirov n’est pas Chepiga, et Bellingcat ment.

L’affaire Skripal/Novichok ne tient toujours pas la route, et le gouvernement britannique ment.

Je continuerai à me faire une opinion au fur et à mesure de l’arrivée d’autres éléments de preuve.

[MISE À JOUR] Incroyable ! le 27 septembre à 13h15, le journal télévisé de la BBC a diffusé l’histoire en ne montrant que les deux photos de « Boshirov » et en proclamant que ce sont bien la même personne, ce qui est bien sûr vrai, mais sans montrer la photo de Chepiga du tout !

 Craig Murray, un proche collaborateur de Wikileaks, est historien et militant des droits de l’homme. Il a été ambassadeur du Royaume-Uni en Ouzbékistan.

Traduction Entelekheia
Photo : Boshirov et Petrov dans les rues de Salisbury. Image de la vidéosurveillance de la ville.

Note de la traduction :

*L’existence de Chepiga n’est même une certitude.  RT vient de publier que le Kremlin dément avoir la moindre information sur un quelconque colonel Anatoly Chepiga, et a fortiori sur son supposé statut de Héros de la Fédération de Russie.

Pour sa part, Sputnik News  ajoute qu’Interpol n’a aucune personne du nom de « Anatoly Chepiga » sur sa liste internationale des personnes recherchées, non plus que de Boshirov ou de Petrov. Pourtant, le 5 septembre dernier, le Service des poursuites judiciaires de la Couronne britannique affirmait avoir assez d’éléments pour poursuivre Alexandre Petrov et Ruslan Boshirov pour les tentatives de meurtre de Sergueï Skripal et de sa fille Ioulia. On peut donc se demander pourquoi aucune poursuite internationale n’a été lancée par le Royaume-Uni.

Et si toute cette histoire n’était que de la communication ?

 entelekheia.fr

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