08/10/2018 histoireetsociete.wordpress.com  8 min #146738

Plus de 30 000 communistes choisissent leur base commune de discussion

Maurice Thorez : « Que Les Bouches S'Ouvrent » L'Appel Aux Communistes Face A Un Changement De Ligne

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En ce moment chacun note le caractère unique de la mise en minorité de la base présentée par la direction nationale. Et le fait que tranquillement, en accord avec leurs statuts les communistes se sont donné une autre base sur laquelle ils vont travailler ensemble. Loin d'être une rupture dans l'Histoire du parti on peut y voir sinon une continuité à tout le moins un acte fondateur face à la crise et qui permet son dépassement. (1)

L'Histoire est la science des faits qui ne se répètent pas, mais quand ces faits ont un rôle fondateur du « légitimisme » du parti il est bon de les connaître. Cet acte fondateur se passe en 1931, le 21 aout avec un célèbre article de Maurice Thorez. Ce jour là l'Humanité publie un texte de Maurice Thorez intitulé Que les bouches s'ouvrent » En fait la reprise en main est antérieure, elle date de juillet de la même année.

Toute analogie serait cependant erronée puisque s'il est vrai que ceux que l'on va désigner comme le groupe Barbé-Celor a en effet appliqué la ligne de l'internationale « classe contre classe » et Maurice Thorez comme d'autres dirigeants en Europe au même moment commencent à s'opposer à cette ligne décidée en 1928 au VIe Congrès de l'Internationale communiste. Mais ce qui est intéressant c'est de voir qu'à chaque fois que ce sont les fondements mêmes du parti qui sont remis en cause, l'appel aux communistes est une tradition dans un des partis communistes dont j'ai récemment dit qu'il était un des plus légitimistes du monde. J'avais souligné que ce légitimisme, l'esprit de parti, son unité sont fondateurs du parti et que là aussi maurice Thorez a joué un rôle fondateur. L'appel aux communistes en fait partie.

L'affaire se fera en plusieurs temps, d'abord il s'agira de renvoyer le groupe dirigeant dont les résultats sont catastrophiques.

En ce qui concerne les résultats de ce groupe dirigeant, ils sont en effet si catastrophiques que l'Internationale appuiera la reprise en main de Maurice Thorez(1). c'est que cette direction a réduit le Parti à 30.000 adhérents et il ne représente plus rien sur le plan électoral.

Thorez fait un double coup de forces, dans le parti où il dénonce les méthodes sectaires des dirigeants dont il souhaite se séparer, et face à l'Internationale où il présente même sa démission le 27 juillet 1931 « Le peu de résultat obtenu me fait un devoir de renoncer à un poste pour lequel je suis imparfaitement préparé, théoriquement et politiquement. En outre, plusieurs faits m'autorisent à croire que les camarades de l'IC doutent désormais, à tort selon moi, de ma volonté sincère de réaliser intégralement toutes les directives justes du comité exécutif de l'IC. »

En fait Maurice Thorez sait très bien que la situation au plan international est en train d'évoluer et il n'agit pas sans appuis au plus haut niveau et il revient de Moscou, mais il va présenter sa politique comme celle spécifique à la France, ce qui n'est pas inexact. D'où l'article du 21 août 1931.

Dans l'Humanité du 21 août 1931 par Maurice Thorez

« Les derniers articles, dans lesquels j'ai marqué la volonté de notre comité central d'obtenir un changement dansle travail du Parti, (...) ont, semble-t-il, trouvé un assez large écho dans le Parti et même autour du Parti, chez les ouvriers sympathisants. De nombreux camarades m'ont écrit pour dire leur satisfaction. (...) Il reste précisément à montrer maintenant (...) que l'"on n'a pas fait le tournant" et que nous n'avions pas jusqu'alors pratiqué effectivement la lutte sur les deux fronts, contre les déviations franchement opportunistes et contre les déviations "sectaires" qui sont un autre aspect de l'opportunisme. Ce sera notre tâche à tous dans les jours prochains parce que nous ne sommes encore qu'au commencement et qu'il faudra nécessairement approfondir tous les problèmes, dans une discussion fraternelle avec tous les camarades, pour réaliser enfin le pas en avant du Parti. »

En fait l'Internationale lui apporte son appui, un article paru dans l'humanité le 1 août 2017 de l'historien Jean VigreuxHistorien expliquait la manière dont l'Internationale communiste apporte son appui à Maurice Thorez pour qu'il dénonce le groupe fractionnel.

Un article paru dans l'Humanité en 2016 décrit la campagne menée par Thorez : » L'émissaire de l'IC, Eugen Fried, qui est présent en France depuis juin, charge alors Maurice Thorez de publier une série d'articles afin de créer un choc au sein du Parti. La mise en scène, exagérée, qui participe d'un véritable psychodrame, s'écrit en un mois où plusieurs articles sont publiés dans l'Humanité au cours de l'été, tous aux titres évocateurs : « Pas de mannequin » (14 août) ; « Que les bouches s'ouvrent » (21 août) ; « Enfin, on va discuter » (1er septembre) ; « Jetons la pagaille » (23 septembre). Cette campagne publique dans le journal communiste durant plusieurs semaines permet d'insuffler dans tout le Parti une vitalité et un élan nouveaux. Thorez dénonce les méthodes de la direction précédente et ouvre de nouvelles perspectives. C'est une véritable « révolution culturelle » avant l'heure et surtout un coup de tonnerre qui éclate au sein du Parti : à la suite du comité central de juillet, on dénonce avec force le « groupe Barbé-Celor-Lozeray », qui est mis à l'écart. Henri Barbé est accusé de travail fractionnel - Celor est même accusé d'être un « flic » - et quelques mois plus tard leur « opportunisme de droite » est dénoncé. Thorez est confirmé au poste de secrétaire général du PCF, il est appuyé par Jacques Duclos et Benoît Frachon.

En revanche, ce texte ne remet pas en question la ligne « classe contre classe », on peut même lire le 18 décembre 1931, dans l'Humanité, sous la plume d'André Ferrat « Ouvrir la bouche, oui, mais pas pour réviser la ligne de l'IC. » Cette ligne est confirmée au VIIe congrès du Parti en 1932, mais cela permet d'écarter l'ancienne direction et de conforter la place de Maurice Thorez au sein du Parti : le « cadre thorézien » se met en place sous l'aide bienveillante d'Eugen Fried. Le « tournant » a eu lieu et permet de justifier la lutte contre les deux fronts, « l'opportunisme et le sectarisme

Cette référence à Maurice Thorez changeant la direction du parti et son orientation ultérieurement fait partie du patrimoine historique du PCF et faisant appel aux communistes pour qu'ils se prononcent et définissent la légitimité du parti s'est renouvelée. L'exemple le plus important concerne Waldeck Rochet condamnant l'intervention soviétique en Tchécoslovaquie. Ce fut un tel séisme par rapport aux traditions du PCF qu'il fut là aussi fait appel aux communistes, pour qu'ils se prononcent avec référence à Maurice Thorez.5é°.

Danielle Bleitrach

(1) Maurice Thorez on le sait est issu du Pas de Calais, il se présente à la députation dès 1928, alors qu'il est clandestin à Ivry-sur Seine où nous allons avoir notre Congrès. Il est traqué par la police; il est un des principaux dirigeants, mais après le VIe congrès national tenu à Saint-Denis en mars 1929, le pouvoir passe entre les mains d'une équipe composée de deux dirigeants des J.C. (Jeunesses communistes), Barbé, Célor et de Gitton (chargé du contrôle politique de la CGTU) s'appuyant sur les responsables venant de la J.C. Les affrontements se multiplièrent avec les dirigeants plus expérimentés. Le conflit fut arbitré à Moscou en juin 1930. En sortit une nouvelle direction composée de Thorez (secrétaire général bien que ce titre ne fut pas employé publiquement), Barbé et Frachon, avec pour objectif de rectifier les excès sectaires.L'équipe dirigeante se rend alors à Moscou où l'IC qui n'a pas encore renoncé officiellement à la tactique « classe contre classe » et à la dénonciation du « social-fascisme » demande alors à Thorez de préparer un tournant dans l'autre sens. À son retour de Moscou, début juillet, Thorez est plus ou moins le nouveau secrétaire général du parti, même si le poste n'a pas encore été officiellement recréé. Il doit pendant quelques mois continuer de faire équipe avec Barbé jusqu'en avril 1931. Le 8 mai, fort du soutien de l'IC, représentée à Paris par le Slovaque Eugen Fried, Thorez annonce au bureau politique qu'il prend la fonction de secrétaire général, assisté de Jacques Duclos et Benoît Frachon.

(2° Cela va sans doute avec la personnalité de base ou l'idiosyncrasie politique du peuple français dont on dit qu'il fonctionne par ruptures et pas par réformes. C'est la thèse d'un Michel Crozier sur le « cercle vicieux » français où l'art de s'enfermer dans des formes bureaucratiques qui doivent être brisées. J'espère que notre parti va faire la preuve de sa capacité à oeuvrer ensemble pour changer le cap.

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