07/11/2018 mondialisation.ca  7 min #147941

Alep, Syrie - Persévérer

Ces dernières semaines, nous avons vu arriver plusieurs amis qui avaient quitté le pays durant la guerre. Ils étaient souvent seuls. Voir les persiennes de leur maison ouvertes ou les rencontrer dans la rue, ravivait en nous l'espoir; l'espoir tant attendu de leur retour qui signifierait la fin de la guerre, la fin du cauchemar del'émigration et surtout le retour à la vie.

Nous les avons accompagnés pour visiter la ville. Nous sommes devenus des guides touristiques du souk détruit et des quartiers ravagés par la haine. Il fallait expliquer la souffrance de ceux qui ont dû rester. Beaucoup ont exprimé leur étonnement devant leur volonté de vivre et de survivre. Et à notre question " comptez-vous rester ?", la réponse négative ou dissimulée nous ramenait à la réalité amère del'émigration.

Il est vrai que décembre 2016 mettait un point final à la division de la ville en deux parties. IL est vrai que, depuis, la reconstruction est devenue un objectif prioritaire du gouvernement et de la population. Il est vrai que certaines familles qui avaient fui la partie est de la ville et dont la maison est plus ou moins habitable, sont revenues chez elles. Il est vrai que les services de l'eau et de l'électricité se sont améliorés.

Mais il reste l'essentiel : La personne humaine. Celle qui a fait la guerre et celle quil'a subie. Qu'en est -il de cette personne, dans quel état esprit est-elle ? En est-elle sortie équilibrée ? Comment remédier aux blessures de la guerre ? comment cheminer vers la réconciliation ? comment réagir à la violence de certaines personnes ? Quel chemin d'éducation doivent suivre les enfants de la guerre ? Quel discernement proposer aux jeunes en âge de prendre des décisions d'avenir ?Comment soutenir l'intégralité des couples et des foyers ? et surtout comment raviver la flamme de l'espérance ?

Il reste aussi le souhait que la paix règne sur l'ensemble du pays et qu'il ne resteplus de poches de guerre comme la province d'Idlib et la campagne à l'ouest d'Alepet le nord-est de la Syrie.

Il reste aussi que des centaines de milliers de familles continuent à vivre sous des tentes dans des camps de réfugiés à l'intérieur du pays ou dans les pays limitrophes.

Il reste que les Occidentaux devraient décider de lever les sanctions qui pénalisent la population. Le rapporteur spécial sur les effets négatifs des mesures coercitivesunilatérales sur l'exercice des droits de l'homme, suite à sa récente visite à Damas.a déclaré : « Je suis profondément préoccupé par le fait que les mesures coercitives unilatérales contribuent à aggraver les souffrances du peuple syrien. Compte tenu des souffrances économiques et humaines causées par ces mesures, il est difficile de croire qu'elles existent pour protéger les Syriens ou pour encourager latransition démocratique ».

Nos amis qui sont retournés, l'espace d'un temps, pour mettre en ordre leur maison ou régler quelques problèmes, repartent nous laissant dans un grand questionnement : "Serions-nous destinés à quitter le pays ?"

En fait, le flux des familles ou des personnes qui désirent ou qui quittent le pays nes'est pas arrêté.

En septembre 2018, le dicastère du Vatican pour le développement humain intégral publiait un rapport: « la réponse des institutions catholiques à la crise humanitaire Irakienne et Syrienne 2017-2018 ».
Voici quelques extraits :

" En Syrie, plus de 13 millions de personnes ont besoin d'aide : on dénombre 6,6 millions de déplacés internes et 5,6 millions de réfugiés enregistrés dans les pays limitrophes, principalement en Turquie, au Liban et en Jordanie."

"L'éducation, la santé et le soutien psychosocial restent des secteurs prioritaires d'intervention, mais le défi majeur réside aujourd'hui dans la réponse à un besointoujours croissant de stabilité pour l'avenir des familles, à travers des programmes de développement agro-économiques, de redressement du tissu social et économique, de formation professionnelle et de création d'opportunités de travail".

Nous, les Maristes Bleus, et sans attendre ces recommandations, avions, depuis plusieurs années, entrepris des programmes d'éducation, de développement humain et de création d'opportunités de travail.

Le mois de septembre a été consacré à la formation des institutrices de nos deux programmes éducatifs « Je Veux Apprendre » et « Apprendre A Grandir ». SoumayaHallak, suisse d'origine syrienne, les a formées à la thérapie post traumatique par le corps et la musique. Bahjat Azrieh, psychologue, les a initiés aux « compétences de la vie ». Enfin, Veronica Hurtubia de l'Université Catholique de Milan et en collaboration avec le BICE (Bureau Internationale Catholique de l'Enfance), a dirigé une première étape de formation à la résilience.

Les 90 enfants de « Je Veux Apprendre» ont commencé leur année au débutd'octobre 2018.

Les 55 enfants de « Apprendre à Grandir » les ont rejoints vers la fin octobre. Durant tous les mois de l'été, leurs institutrices ont composé un nouveau programme adapté aux situations de nos enfants.

Une nouvelle équipe est venue renforcer notre travail psycho-éducatif. Il s'agit de« SEEDS ». Cinq personnes vont travailler avec les différents groupes d'âges : du préscolaire aux adultes en passant par les jeunes adolescents.

Le programme « Développement de la femme » réunit une quarantaine de dames autour de plusieurs formations hebdomadaires sur des thèmes importants comme la santé, la psychologie, la cuisine...

Heartmade, notre projet de recyclage de tissus et de vêtements, se développe à grande vitesse avec comme slogan : « éviter le gaspillage, apprendre la perfection pour atteindre la beauté ». Nous avons augmenté le nombre de femmes qui travaillent à l'atelier pour une plus grande production. La page Facebook du projet présente leurs pièces uniques.

« Coupe et couture » assure à 16 femmes pour cette cinquième session une formation dans ce domaine. En plus du programme en soi, plusieurs formations de développement humain et personnel leur sont assurées.

« Comment créer son propre micro-projet » est un des objectifs du MIT. Nous croyons que passer à l'étape post-guerre exige de lancer des micro-projets qui permettent aux gens et spécialement aux jeunes de vivre dignement et des'enraciner dans le pays. Par groupe de 24, des jeunes et des moins jeunes assistent aux cours, se forment, rédigent leur propre projet et le présentent à un jury qui en fait une étude approfondie. Nous offrons aux qualifiés un don généreux leur permettant de lancer leur projet. Ils sont accompagnés en cela par un mentor qui les aide à le réaliser et en assurer la continuité. Nous avons, jusqu'à présent, financé 70 micro-projets.

Le programme médical continue. C'est un grand service assuré aux personnes malades. Nous, les Maristes Bleus, avec d'autres associations caritatives, aidons les malades à se faire soigner ou opérer, ou acheter les médicaments dont ils ont besoin.

Goutte de lait demeure un projet de très grande réussite. Les quelques trois milliersd'enfants de moins de 11 ans sont servis mensuellement. Tous les parents nous expriment leur gratitude.

Tous les mercredis et dimanches, une vingtaine de nos bénévoles, se dirige vers le camp de déplacés « AL SHAHBA » situe à 25 km d'Alep. 120 familles y sont logées sous des tentes. Notre présence et notre action auprès de tous ont amélioré leur condition de vie. Les plus petits ont un temps d'expression corporelle et ludique.Les enfants en âge de scolarisation apprennent à lire et écrire. Les jeunes adolescents sont suivis par un groupe de bénévoles qui leur permettent de réfléchir sur des thèmes qui concernent leur vie et leurs conditions de déplacés. Enfin, les femmes sont formées par une très bonne équipe. Parfois des médecins ou des personnes spécialisées se joignent à nous pour leur assurer une formation de qualité. Des distributions de denrées alimentaires, de vêtements, de couvertures, de médicaments répondent dans la mesure du possible à leurs énormes besoins.

Noël pointe à l'horizon ! Il apporte avec lui l'espérance d'une paix et d'uneréconciliation. Pour notre ville Alep, pour notre pays la Syrie, pour notre peuple, nous espérons que Noël sera le temps de la rencontre et non de l'au revoir,

Nous œuvrons pour que la civilisation d'amour et de paix règne sur notre terre etdans les cœurs.

Frère Georges Sabé
Pour les Maristes Bleus

Alep le 4 novembre 2018

La source originale de cet article est Les Maristes Bleus
Copyright ©  Fr Georges Sabe, Les Maristes Bleus, 2018

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