07/11/2018 reseauinternational.net  11 min #147979

Les médias européens utilisent le Venezuela pour leur politique intérieure

par Pascual Serrano

Gustavo Borges est directeur de  Misión Verdad, un groupe de recherche basé au Venezuela et spécialisé dans la communication politique, composé entre autres de sociologues, politologues et journalistes. Son intention est d’exposer la réalité vénézuélienne au-delà des intentions de nombreux médias et du manque de données et d’informations fournies par le gouvernement vénézuélien. Nous l’avons interviewé à Barcelone, sur le chemin du retour à Caracas après avoir assisté à une réunion à Bruxelles.

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Comment les médias espagnols présentent-ils le Venezuela ?

Les médias utilisent le Venezuela pour la politique intérieure. Les atrocités que les médias disent à propos du Venezuela ne sont pas vraies, il y a une cartellisation des médias, avec une complicité commerciale coordonnée. Certains d’entre eux, comme le quotidien ABC, ont été des porte-parole et des avant-gardes contre le Venezuela.

Mais les problèmes importants du Venezuela comme la pénurie sont-ils vrais ?

Il y a des pénuries de produits de base, mais cela a déjà changé en partie parce que le gouvernement a autorisé les importations du secteur privé pour garantir l’approvisionnement. Il existe également les Comités Locaux d’Approvisionnement et de Production (CLAP), un système gouvernemental de distribution d’un ensemble d’environ seize denrées alimentaires et produits de base aux secteurs les plus nécessiteux, qui touche six millions de familles.

La réalité est qu’il y a déjà de tout sur les marchés, mais cela coûte cher pour le pouvoir d’achat des Vénézuéliens. Il y a de la viande dans quelques boucheries, mais elle n’est pas abordable pour un citoyen ordinaire.

C’est le genre de journalisme fasciste qui présente des photos de la répression en Égypte comme si elles venaient du Venezuela. La décision de Capriles a provoqué la destruction et la mort. C’est vrai….

Que s’est-il donc passé en dix ans pour que les Vénézuéliens, qui pouvaient tout acheter, ne puissent plus le faire ?

Beaucoup de ces produits proviennent du secteur privé et il n’a pas été possible de parvenir à un accord avec le gouvernement pour leur distribution à un prix abordable. D’autre part, les salaires vénézuéliens ont baissé parce que l’inflation a brisé la politique salariale du gouvernement.

Et quelle était la raison de l’inflation ?

Il y a beaucoup de théories. Ce que nous avons analysé dans Misión Verdad, c’est qu’il existe des marqueurs artificiels concernant le changement du dollar sur les marchés non officiels, le marché noir, qui ont provoqué une augmentation des prix. Nous vivons dans un taux de change artificiel et spéculatif avec le dollar, ce qui entraîne une inflation et une hausse des prix.

La pénurie de tous les produits d’un pays ne peut pas être due à son échange avec le dollar, mais bien à la politique économique de son pays.

Eh bien, comme vous le savez, historiquement, le Venezuela ne produit que du pétrole, tout doit être importé. Tout dépend alors du taux de change avec le dollar. Tout notre système de production et de distribution est basé sur le dollar. D’autre part, le prix du pétrole a également baissé, de sorte que le gouvernement n’a pas d’argent à offrir à l’économie privée pour qu’elle puisse importer des produits. Il s’agit d’une situation multicausale et complexe, qui n’a été décrite ou expliquée par aucun média espagnol.

Et au Venezuela, cela a-t-il été expliqué ?

Certains chercheurs, comme  Pascualina Curcio. Le Président Nicolás Maduro l’a dit dans plusieurs de ses allocutions, ainsi que certains ministres, bien qu’il ait peut-être échoué dans la politique de communication du gouvernement. Quoi qu’il en soit, dans Misión Verdad, nous avons fourni des données et des informations pour expliquer l’état de l’économie… Et les journalistes étrangers ne montrent aucun intérêt à rechercher les données précises qui existent au Venezuela ou la version des dirigeants politiques du pays.

Une autre des graves pénuries dont on parle est celle des médicaments.

Oui, c’est vrai, il y a un manque de médicaments.

Et pourquoi cela ?

Parce que le contrôle des capitaux imposé par les États-Unis nous empêche de les importer, il nous empêche de payer nos fournisseurs. Il y a une persécution financière, le Département du Trésor a publié un décret exécutif en 2017 l’empêchant d’effectuer des transactions et imposant la fermeture des comptes vénézuéliens. On a imposé à notre pays d’effectuer les transactions en dollars, sauf avec le pétrole. Nous ne pouvons pas acheter de médicaments en dollars, du matériel électrique, du matériel automobile, etc. Nous avions des accords avec des pays comme l’Inde, l’Argentine ou le Brésil pour l’achat de médicaments, et les sanctions ont mis fin à cela. Par exemple, 15 000 patients diabétiques n’ont pu être traités, selon le ministre de la Santé.

La baisse des prix génère le chaos dans les commerces

Pourquoi ce décret imposé par les États-Unis empêche-t-il, par exemple, l’achat de médicaments en provenance d’Argentine ?

Parce que la plupart des comptes du gouvernement sont libellés en dollars américains et dans des banques américaines, il faut maintenant chercher des alternatives.

Les médias parlent également de la crise humanitaire et de l’émigration massive des Vénézuéliens.

La migration fait également partie du conflit pour le pouvoir politique au Venezuela. Certains chiffres montrent une augmentation du flux migratoire. Il n’y a pas de chiffres officiels, le gouvernement ne les a pas donnés.

Et comment voyez-vous cela ?

Mal, c’est mal de la part du gouvernement. Nous pensons qu’ils doivent donner davantage de chiffres officiels, non seulement pour l’émigration, mais aussi pour d’autres indicateurs économiques. Pendant ce temps, nous avons les Nations Unies, en particulier l’Office International des Migrations (OIM), qui parle du départ de deux millions de personnes entre 2015 et 2017, il n’y a pas  2018. Il existe une étude,  ENCOVI (Enquête Nationale sur les Conditions de Vie de la Population Vénézuélienne), menée par plusieurs universités vénézuéliennes et réalisée chaque année qui mesure de nombreux paramètres de la situation du pays. En ce qui concerne l’émigration, elle a révélé que 58% de ceux qui ont quitté le Venezuela sont des classes supérieures et moyennes, et parmi celles-ci, 64% font des études universitaires. Seulement 2% partent pour des raisons politiques. Les gens partent à cause de la situation économique critique du Venezuela.

Ce n’est pas une bonne nouvelle non plus.

Mais si vous regardez, ceux qui s’en vont sont ceux qui ont le plus de ressources, le plus d’épargne, le plus de chances de succès dans les autres pays. Les secteurs les plus pauvres ne partent pas, ils bénéficient de l’aide des politiques sociales du gouvernement et disposent de plus de systèmes de protection publique.

Dans les médias espagnols, il y a des images de caravanes de personnes humbles traversant la frontière avec la Colombie.

Il y a toujours eu des secteurs pauvres des deux pays qui traversent cette frontière pour faire du commerce, c’est historique, ils n’émigrent pas. Ces images sont utilisées pour présenter une crise humanitaire et ce n’est pas vrai. Il y a des cas de familles pauvres qui sont parties vivre en Colombie, mais elles ne sont pas la référence.

Le gouvernement a lancé un programme de retour de ces émigrants, quel en est le résultat ?

C’est le programme « Retour à la patrie« , qui leur a donné les moyens de retourner au Venezuela, et neuf mille Vénézuéliens sont revenus.

Cela ne fait pas beaucoup.

Gardez à l’esprit que cela ne fait que deux mois, la plupart reviennent du Brésil.

L’une des dernières nouvelles concernant des Vénézuéliens qui s’est produite en Espagne a été l’arrestation de plusieurs citoyens accusés de blanchiment d’argent. Les médias ont prétendu qu’il s’agissait de « chavistes vénézuéliens ».

Parmi ces détenus figure un ancien ministre persécuté et réclamé par la justice vénézuélienne, mais il y a aussi un gendre de l’opposant Antonio Ledezma, évadé de sa prison d’origine, condamné par un juge et qui est maintenant réfugié en Espagne. Les médias n’ont pas dit que son gendre, Luis Fernando Vuttef, aujourd’hui détenu pour fuite de capitaux, faisait partie de la délégation politique qui accompagnait Antonio Ledezma et a même rencontré Mariano Rajoy.

Pensez-vous que les médias espagnols, au moment d’élaborer leurs nouvelles sur le Venezuela, reprennent la version de toutes les parties ?

Non, on ne recueille pas ou ne demande pas la version du gouvernement pour mettre en contraste. Ils discréditent même directement le gouvernement, même si les faits sont évidents. C’est arrivé avec la tentative d’assassinat de Nicolás Maduro, alors que les images montraient un attentat avec des explosions claires, les médias espagnols ont laissé entendre que c’était une invention du gouvernement vénézuélien.

En Espagne, il a été rapporté que le congédiement de la Procureur Générale Luisa Ortega Díaz était dû à ses positions critiques envers Maduro, quelle est la vérité à ce sujet ?

Cette procureur a été démise de ses fonctions par le pouvoir législatif, une procédure administrative établie par la loi vénézuélienne. Au Venezuela, l’Assemblée Nationale Constituante est au-dessus de tous les pouvoirs, y compris le pouvoir exécutif, et a le pouvoir de mettre fin à cette pratique. Aujourd’hui, on a découvert qu’elle possédait des comptes bancaires au Panama en utilisant son mari comme homme de paille.

Source :  “Los medios europeos hacen un uso instrumental de Venezuela para la política interna”

traduit par Pascal, revu par Martha pour  Réseau International

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