19/11/2018 reseauinternational.net  18 min #148469

À trois semaines de la tenue du prochain G20 à Buenos Aires, Attac est la cible du gouvernement argentin

Trop de tensions croisées au G20, dans une ville assiégée

par Álvaro Verzi Rangel

Tout le monde espère que Donald Trump des États-Unis, Xi Jinping de Chine, Vladimir Poutine de Russie, Recep Tayyip Erdogan de Turquie, Mohammed bin Salman d’Arabie Saoudite, Theresa May de Grande-Bretagne et Angela Merkel d’Allemagne seront les protagonistes du face à face le plus attendu du Sommet du G-20 organisé par l’Argentine à la fin du mois.

Et ce qui est censé être une rencontre entre les dirigeants des 20 pays les plus puissants de la planète pour résoudre les problèmes du monde sera certainement réduit à des réunions bilatérales et des déclarations individuelles. Cette fois, les axes – proposés par l’Argentine – sont des travaux pour l’avenir, la connectivité mondiale et la sécurité alimentaire.

Si les questions les plus urgentes sont la guerre commerciale, le multilatéralisme, le changement climatique, la crise des migrations, la crise du capitalisme, la course à l’armement ou encore l’éducation, ce sont des questions qu’il est difficile de traiter au Sommet. Le gouvernement argentin précédent avait tenté de réformer l’architecture financière mondiale, mais il n’y est pas arrivé. Et le virage idéologique vers la droite a anéanti les attentes de changement dans le système financier, conçu pour favoriser une minorité de plus en plus riche (moins de 1 % de la population mondiale).

Le G20 n’est qu’un forum politique non contraignant où les dirigeants et leurs « groupes d’affinité » – entreprises, travail, science, groupes de réflexion – proposent des actions à suivre. Et rien de plus. C’est plus du dialogue que de l’action, insuffisant si l’on recherche du changement. Les pays qui l’intègrent sont l’Allemagne, l’Arabie Saoudite, l’Argentine, l’Australie, le Brésil, le Canada, la Chine, la Corée du Sud, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Inde, l’Indonésie, l’Italie, le Japon, le Mexique, la Russie, l’Afrique du Sud, la Turquie et l’Union Européenne en tant que bloc.

L’Espagne est toujours invitée. Et chaque hôte annuel choisit d’autres invités. L’Argentine l’a fait avec le Chili et la Hollande. Des organismes régionaux tels que l’Union Africaine, les pays d’Asie du Sud-Est et les pays des Caraïbes du CARICOM sont aussi souvent impliqués.

Les membres actifs du G-20 représentent 85 % du PIB mondial, 80 % des investissements mondiaux, 75 % du commerce et 66 % de la population. En d’autres termes, les 180 autres pays se partagent le reste. Dans ce tableau quantitatif, l’Occident, minoritaire sur le plan démographique, devient également minoritaire sur le plan économique, tandis que les pays de l’Est se développent et prennent leur place dans les décisions mondiales.

Depuis l’hypothèse de Trump, la théorie qui considère la guerre comme inévitable a une fois de plus prévalu face à la destruction causée par le capitalisme, et il y a maintenant des incidents isolés dans la mer de Chine méridionale et en Russie – les « ennemis stratégiques » des États-Unis – alors que l’ingérence et la déstabilisation des gouvernements par Washington sont évidentes en Amérique Latine et aux Caraïbes.

Mauricio Macri, l’hôte du Sommet, vit le pire moment de son gouvernement, au milieu d’une énorme crise sociale, économique et politique, en raison de ses politiques néolibérales et de l’application des mesures d’ajustement dictées par le Fonds Monétaire International. Il doit en plus s’assurer qu’aucun événement négatif majeur ne se produise.

En conséquence, une bonne partie de la ville est fermée à toute circulation qui n’a rien à voir avec cet événement. La Ministre de la Sécurité Patricia Bullrich elle-même a fait la proposition sans précédent que les habitants de la ville quittent la ville et le jour du Sommet a été déclaré jour non ouvrable.

Avec ces mesures, ils espèrent que la zone sera totalement libérée en fonction de cet évènement et que les mobilisations prévues en protestation de la rencontre n’empièteront pas sur la vie des gens, elles seront isolées et avec un soutien social diminué, en dehors des secteurs militants. Tout cela facilitera la tâche répressive, si nécessaire.

Ces derniers jours, le gouvernement argentin a lancé une série de raids, d’arrestations et de protocoles de « sécurité » télévisuelle, axés surtout sur l’activisme anarchiste et antifasciste, mais qui témoignent d’une volonté politique de créer un climat d’alerte et de vigilance extrême sur la population en général et sur les organisations du camp populaire en particulier.

Si récemment les « ennemis internes » choisis étaient les Mapuches, maintenant ce sont les Acratistes et les Islamistes. En décembre 2017, le Ministère de la Sécurité a souligné les liens entre les Mapuches, les anarchistes et même les membres de la résistance du Kurdistan, dans une tentative de configurer un « ennemi intérieur » pour justifier leur persécution. La presse se permet de transformer certaines manifestations isolées en un plan déstabilisateur, qualifiant les liens de solidarité de « complicité criminelle ».

Il est clair que le scénario recherché par le gouvernement argentin est celui de la « nécessité » d’un niveau avancé de légitimation du contrôle social, dont les répercussions et les dérivations vont bien au-delà de ce Sommet, qui interpelle toutes les organisations du camp populaire.

Trop de tensions croisées

Si le G20 est né en tant que mécanisme de résolution des crises, il a échoué jusqu’à présent. Et cette rencontre dans un Buenos Aires assiégé menace d’être l’une des plus chaudes après l’échec du sommet de Hambourg, où Donald Trump a fait son apparition pour rejeter l’Accord de Paris sur la réduction des émissions de carbone et la lutte contre le changement climatique.

Le G-20 est né en 1999 pour tenter de résoudre la crise asiatique, bien qu’il n’ait réuni que les Ministres des Finances et les Présidents des Banques Centrales. Après la crise capitaliste de 2008, ce sont les présidents qui se réunissent pour résoudre une autre crise qu’ils continuent eux-mêmes de provoquer.

Deux courants du capitalisme vont se rencontrer à Buenos Aires : les protectionnistes et les partisans du multilatéralisme. D’un côté, Trump et de l’autre, l’équipe de l’Union Européenne commandée par la Chancelière Allemande Ängela Merkel (peut-être son dernier sommet) et son écuyer Emmanuel Macron, qui tentent de montrer le côté opposé du protectionnisme américain et défendent des positions autonomes.

La tension monte depuis que Trump a déclaré la guerre commerciale. L’UE et les États-Unis ont signé une sorte de trêve commerciale il y a plusieurs mois, mais le dialogue ne mettra pas fin au discours en faveur du multilatéralisme qui est devenu le drapeau européen.

Ce retrait a été mis en évidence par le départ des États-Unis de l’Accord de Partenariat Transpacifique (APT) ; les progrès réalisés dans un futur accord commercial entre les États-Unis et le Royaume-Uni, à la suite de la réunion entre Trump et May ; les divergences politiques concernant la contribution des États à l’OTAN et les menaces concernant l’augmentation des taxes douanières sur les importations vers plusieurs pays, dont le Mexique et le Brésil.

Mme Merkel a soutenu le projet du président français de créer une armée européenne, sans la participation des États-Unis, au début du mois, tandis que l’accord final pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne semble être en bonne voie. Elle a déclaré :

« Nous devons travailler sur une vision pour créer une véritable armée européenne commune, complémentaire de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN)« 

Elle a ajouté que cela montrerait au monde qu’il n’y aura plus jamais de guerre entre pays européens. Les députés européens de droite n’ont pas apprécié cette proposition.

Selon les analystes, le message était en faveur de la défense de l’industrie européenne de l’armement. Mme Merkel a déclaré que l’UE devrait élaborer une politique commune en matière d’exportation d’armements. Emmanuel Macron a déclaré :

« Ce que je ne souhaite pas, c’est que les pays européens augmentent leurs budgets de défense pour acheter des armes aux États-Unis ou à d’autres pays« .

Trump s’est déjà élevé contre cette idée et a renouvelé ses attaques avec une nouvelle salve de tweets contre Macron, qu’il a ridiculisé pour son faible taux de popularité (26%), et souligné le taux de chômage élevé en France (10%). En outre, il a une fois de plus accusé les alliés européens de ne pas payer leur dû pour maintenir l’OTAN. Le gouvernement français a refusé de commenter les tweets, qu’il considérait comme étant destinés au marché intérieur (public) américain.

Il semblerait que la proposition Macron-Merkel ait fait son chemin dans l’imaginaire des citoyens de leurs pays en particulier (les deux montrent une baisse notable de leur crédibilité et de leur image) et des Européens en général. On ne sait pas comment cette armée pourrait être formée. Pour Macron, elle pourrait commencer à germer avec une troupe d’un petit nombre de pays intervenant dans des crises, par exemple sur le continent africain, puis se développer. Mme Merkel, quant à elle, propose de créer la troupe d’intervention en dehors du cadre de l’UE, pour inclure les Britanniques, qui quitteront le bloc en 2019.

Si le climat à Hambourg était chaud, la tension est montée depuis à cause de la guerre commerciale déclarée par Trump, notamment contre la Chine, où se jouent au-delà de la suprématie dans le commerce mondial, des milliards de dollars en droits de douane. Une rencontre bilatérale a été annoncée entre les présidents Trump et Xi Jinping, non confirmée, ainsi que des rencontres – au-delà des protocoles – entre le Président américain et le Président russe Vladimir Poutine.

La Chine cherche également à forger des alliances avec des alliés historiques des États-Unis, par exemple avec le Japon, dont le Premier Ministre Abe (également participant au Sommet) a rendu visite à Xi en octobre, et avec la Grande-Bretagne, premier pays européen à rejoindre la Banque Asiatique d’Investissement et d’Infrastructure promue par la Chine et liée à la Nouvelle Route de la Soie, malgré l’avertissement lancé par Washington : l’Eurasie est en train de renaître, alors que le poids économique, technologique et militaire des États-Unis diminue relativement. Et personne ne fait confiance à l’imprévisibilité de Trump.

La presse pro-officielle argentine parle d’un compromis possible, mais Trump, après la demi-défaite électorale dans son pays, a réduit son séjour à Buenos Aires et son agenda ne laisse pas trop de place. Il laissera peut-être des tweets d’adieu.

Il y a un an Trump est arrivé en Chine dans le cadre d’une tournée asiatique, dans une visite qui n’a pas donné plus de résultats que des photos tape-à-l’œil puisque l’américain n’a pas obtenu les concessions chinoises qu’il espérait et de retour aux Etats-Unis, il a commencé à accentuer son protectionnisme et réétudier les droits de douane sur l’acier et sur l’aluminium pour plusieurs pays, provoquant la panique dans le monde entier.

Avec la Chine, la liste des importations interdites s’allonge périodiquement, et le géant chinois contre-attaque : l’augmentation des droits de douane imposée depuis lors est estimée à un milliard de dollars.

Mais la guerre commerciale s’accompagne de l’échec (également à Buenos Aires) du sommet de l’Organisation Mondiale du Commerce et de tensions croisées entre l’Union Européenne d’Emmanuel Macron et Angela Merkel et le Royaume-Uni de Theresa May qui insiste pour que son pays quitte la Paneurope.

D’autre part, le chef de l’Etat turc Erdogan rencontrera le prince héritier d’Arabie Saoudite (s’il confirme enfin son voyage) avec en toile de fond le scandale de Jamal Khashoggi, journaliste de l’opposition qui a été démembré. May rencontrera également Poutine après le scandale de l’empoisonnement de l’ancien espion russe Sergei Skripal à Londres.

La Turquie a servi de médiateur au niveau international dans l’affaire de l’assassinat de Khashoggi. Selon ses investigations, le journaliste a été approché par une quinzaine d’agents des services de renseignements saoudiens qui l’ont assassiné et démembré quelques minutes après son arrivée dans la délégation diplomatique. Après avoir nié pendant des jours que Khashoggi avait été assassiné, la monarchie a dû admettre que « quelque chose » s’était passé dans ce consulat.

Les États-Unis ont soutenu l’Arabie Saoudite, leur alliée stratégique dans la région, du mieux qu’ils pouvaient, mais ils ont dû lâcher prise face à un déferlement de condamnations de la communauté internationale. Au milieu, le 12 octobre, la Turquie a libéré le Pasteur américain Andrew Brunson, et a réussi à détendre ses relations avec Washington.

Après le sommet controversé d’Helsinki, au cours duquel le républicain a pratiquement accusé Poutine d’une ingérence de la Russie dans les élections présidentielles, à Buenos Aires, le deuxième acte se jouera peut-être alors que Trump a annoncé l’abandon du traité de désarmement nucléaire signé en 1987 par Mikhail Gorbatchev et Ronald Reagan. Trump le décrit comme obsolète, Poutine a déclaré qu’il provoquera une course aux armements. Et c’est peut-être de ça dont il est question.

Les États-Unis ont imposé plusieurs séries de sanctions à des fonctionnaires et des entreprises associées à la Russie pour des activités illégales présumées sur le sol américain et européen et pour des tentatives de cyberattaques qui, selon la Maison-Blanche, ont des liens avec le Kremlin. Ces sanctions pourraient également figurer à l’ordre du jour de la réunion bilatérale.

Khashoggi était l’assistant de l’ancien chef des renseignements saoudiens et a travaillé dans divers médias avant de rompre avec la monarchie pour s’exiler aux États-Unis. Il écrivait pour le Washington Post. Le 2 octobre à 13h30, il est entré au consulat saoudien à Istanbul, mais n’en est jamais sorti. Ce qui a suivi s’est transformé en tsunami pour Riyad.

La conservatrice May, essaye de survivre à sa propre crise de pouvoir, après la concrétisation du Brexit, l’une des questions les plus importantes en Europe. Au sein de l’UE, il est question d’un accord au niveau technique qui doit encore être ratifié au niveau politique par les deux parties, après un accord sur l’obstacle principal des négociations : la frontière entre la République d’Irlande – membre de l’UE – et la province britannique d’Irlande du Nord, ce qui implique le maintien du Royaume-Uni dans son intégralité dans un accord douanier avec l’UE.

Rien ne garantit que l’accord sera accepté par le Cabinet ou le Parlement britannique. Lors du référendum du 23 juin 2016, le vote en faveur du départ de l’UE était de 52 pour cent.

Et avec Poutine, May a un compte à régler : dans un complot d’espionnage et de meurtre, Serguei Skripal (un espion russe plus tard recruté par le MI6 britannique) et sa fille Yulia ont été empoisonnés avec un agent chimique à Salisbury au sud de Londres. En 2006, les autorités russes l’ont arrêté et l’ont condamné à 13 ans de prison pour trahison, mais quatre ans plus tard, il a été remis au Royaume-Uni lors d’un échange d’agents. Comme pendant la guerre froide.

Le Royaume-Uni accuse le Kremlin de cette attaque et a expulsé des dizaines de diplomates russes de son territoire, ce qui a amené 18 autres pays du monde à prendre la même décision. Déjà en 2006, l’ancien espion et opposant au gouvernement Poutine, Alexandre Litvinenko, avait été empoisonné avec un thé au polonium qui l’a tué trois semaines plus tard.

Latino-Américains

Le Mexique, l’Argentine et le Brésil sont les trois pays d’Amérique Latine qui se rendront au sommet du G20 à la fin du mois. Voilà les défis qu’ils auront à relever lors de cet événement.

Le Président brésilien de facto Michel Temer – qui ne représente plus personne – a invité son successeur Jair Bolsonaro au sommet, une occasion pour l’extrémiste de droite, qui prendra ses fonctions de chef d’État de la plus grande économie latino-américaine en janvier, d’avoir une première diplomatique de premier ordre, mais aussi de se retrouver dans des situations inconfortables après ses déclarations.

Par exemple, celle qui a déconcerté Mauricio Macri selon laquelle MERCOSUR – qui cherche un accord de libre-échange avec l’UE depuis deux décennies – ne sera pas la priorité de son gouvernement et celle de l’annonce du premier voyage de Bolsonaro au Chili et non en Argentine. Il a également irrité le monde arabe lorsqu’il a annoncé qu’il voulait imiter Trump et déplacer l’ambassade de son pays de Tel Aviv à Jérusalem.

Ce que Bolsonaro recherche, c’est d’être photographié avec Trump, avec qui il espère avoir une relation spéciale. Le dialogue avec la Chine a été rude : il s’est interrogé en campagne sur les énormes investissements du géant asiatique au Brésil, et en même temps a dit qu’il voulait développer le commerce avec ce pays qui achète des produits au Brésil pour 20 milliards de dollars.

Le retour de la droite aux gouvernements argentin et brésilien a signifié la fin du renforcement du Marché Commun du Sud (MERCOSUR), la disparition de l’Union des Nations Sud-Américaines (UNASUR) – et son Conseil Sud-américain de Défense et de la Communauté d’États Latino-américains et Caraïbes (CELAC). Cela a marqué la fin de cette étape d’intégration régionale souveraine et, en même temps, la destruction des deux pays avec des économies en expansion : le meilleur cadeau pour Trump et son retour à la guerre froide.

Comme Temer, Enrique Peña Nieto, Président du Mexique, est de sortie, mais cherchera à ce que le nouvel accord commercial (UNSCAM) avec les États-Unis et le Canada, qui remplace l’Accord de Libre-échange Nord-américain (TLCAN), soit signé en marge du sommet du G20 s’il coïncide avec Trump et Justin Trudeau, le Président du Canada. S’il est signé à Buenos Aires, Peña Nieto, qui cède la présidence à Andrés Manuel López Obrador le 1er décembre, interviendra à temps pour conclure le nouveau Pacte, seule justification à sa présence.

Source :  Demasiadas tensiones cruzadas en el G20, con el marco de una ciudad sitiada

traduit par Pascal, revu par Martha pour  Réseau International

 reseauinternational.net

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