25/11/2018 les-crises.fr  18 min #148752

Nouveaux coups de boutoir américains contre l'Iran

Malgré la crise saoudienne, les États-Unis augmentent les menaces contre l'Iran

Source :  Marjorie Cohn, Consortium News, 04-11-2018

Bien que l'alliance américano-saoudienne soit affaiblie suite à l'assassinat de Khashoggi, les deux pays continuent à viser l'Iran alors que de nouvelles sanctions américaines sont annoncées pour ce dimanche, écrit Marjorie Cohn, de Truthout.

La torture, le meurtre et le démembrement présumés du  journaliste Jamal Khashoggi, largement réputés avoir été commis sur ordre du prince héritier Mohammed ben Salmane, pourraient compromettre les plans de Donald Trump d'intensifier son agression contre l'Iran.

L'Arabie saoudite, les États-Unis et Israël sont unis dans leur haine de l'Iran, bien que pour des raisons différentes. L'Iran est dans la ligne de mire des États-Unis depuis que la Révolution iranienne de 1979 a renversé Mohammad Reza Shah Pahlavi, la marionnette malfaisante installée par les États-Unis ; de fait, en 2002, George W. Bush a inclus l'Iran dans son « axe du mal ». L'Arabie saoudite, qui abrite les deux sites musulmans les plus sacrés, considère l'Iran chiite comme un rival pour l'hégémonie régionale. Et Israël considère l'Iran comme une  « menace existentielle ».

« Des responsables de l'administration Trump et des experts extérieurs ont déclaré que ce sont les répercussions possibles sur un plan élaboré en vue d'exercer des pressions sur les Iraniens qui dominent les discussions internes relatives aux retombées de ce qui est arrivé à M. Khashoggi »,  a rapporté David Sanger dans le New York Times.

Les allégations contre le prince héritier saoudien « ont déjà eu un effet » sur Israël, « stoppant de fait l'impulsion pour construire une coalition internationale contre l'influence régionale de l'Iran, priorité absolue du Premier ministre Benjamin Netanyahou »,  ont écrit Ben Hubbard et David Halbfinger dans le Times, citant « des analystes ».

Les responsables de la Maison-Blanche  craignent que la crise grandissante avec l'Arabie saoudite ne « fasse échouer le bras de fer avec l'Iran et ne compromette les plans visant à obtenir l'aide des Saoudiens pour éviter de déstabiliser le marché du pétrole ».

Trump continue à faire monter la pression

Trump et Salmane, toujours dans la même direction concernant l'Iran. (Photo officielle de la Maison-Blanche par Shealah Craighead)

Suite  au retrait dangereux et téméraire de l'accord nucléaire iranien - le Plan d'action global conjoint (JCPOA) - qui  a réjouit Israël et l'Arabie saoudite, l'administration Trump  doit annoncer dimanche que les entreprises faisant affaire avec l'Iran - y compris pour l'achat de pétrole ou investissant dans le pays - se verront interdire de faire affaire aux États-Unis. L'imposition de ces sanctions punitives vise à aboutir à un embargo total sur le pétrole iranien.

Trump aura besoin de la coopération militaire et politique saoudienne si, « comme il en a fait la menace », l'Iran riposte contre l'embargo de son pétrole en prenant « des mesures concrètes et réciproques pour arrêter les exportations de pétrole de l'Arabie saoudite et des États du Golfe via le détroit d'Ormuz dans le Golfe et via le détroit de Bab-el-Mandeb, à l'entrée de la mer Rouge »,  a écrit Simon Tisdall dans le Guardian. « Si ce point critique est atteint, on ne peut exclure une escalade des affrontements dans la région. »

L'administration Trump compte sur l'Arabie saoudite pour pomper du pétrole supplémentaire une fois que l'Iran sera hors du marché. Mais le Congrès se demande s'il faut sanctionner l'Arabie saoudite pour l'affaire Khashoggi.

« Pénaliser ce qui préoccupe le plus les Saoudiens - les recettes pétrolières - reviendrait à miner la politique vis-à-vis de l'Iran et à faire grimper considérablement le prix de l'essence et du mazout de chauffage, à l'approche de l'hiver »,  a indiqué M. Sanger.

Richard N. Haass, président du Council on Foreign Relations [think tank américain, ayant pour but d'analyser la politique étrangère des États-Unis et la situation politique mondiale NdT],  a déclaré au Times : « C'est une tactique curieuse que de sanctionner un pays et de s'associer à lui dans le même temps », ajoutant qu'« il n'est pas facile de se focaliser sur le comportement de l'Iran lorsque les Saoudiens font des horreurs aux journalistes et aux opposants, et bombardent des enfants au Yémen. »

L'assassinat de Khashoggi a mis sous les projecteurs  la commission sur les crimes de guerre commis au Yémen par les Saoudiens, avec l'aide et le soutien des États-Unis. Dans un article d'opinion du New York Times, le sénateur Bernie Sanders a appelé  à mettre fin au soutien militaire américain à l'Arabie saoudite. Mais, selon M. Sanger,  des sources de l'administration disant que « la question de la limitation des ventes d'armes américaines à l'Arabie saoudite, dont M. Trump a dit qu'elle menacerait les emplois américains, est de peu d'importance [face au projet de mettre la pression sur l'Iran] ».

Pendant ce temps, Trump continue de tirer l'épée contre l'Iran.

Les Talibans ciblés

Pompeo : Les États-Unis vont « écraser » l'Iran. (Photo du gouvernement américain)

Le 23 octobre, le Centre de lutte contre le financement du terrorisme, composé des États-Unis, de l'Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de Bahreïn, du Koweït, d'Oman et du Qatar,  a désigné neuf personnes « associées aux Talibans », dont certaines ont des « financeurs iraniens ».  Un décret exécutif de l'ère Bush autorise le Bureau de contrôle des avoirs étrangers à bloquer les avoirs de toute personne ou de tout groupe désigné comme terroriste.

Le secrétaire au Trésor Steven Mnuchin a apposé une qualification de terrorisme dans  un communiqué de presse, en énonçant que les États-Unis « ciblent les principaux sponsors iraniens qui apportent un soutien financier et matériel aux Talibans ». « Le soutien de l'Iran aux talibans constitue une violation flagrante des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et illustre le mépris profond du régime pour les normes internationales fondamentales », a-t-il ajouté.

Dans un discours prononcé en mai, le secrétaire d'État Mike Pompeo a déclaré que  les États-Unis « écraseraient » l'Iran avec de nouvelles sanctions si sévères qu'un changement de régime pourrait en résulter.

De plus, le 5 octobre, la Maison-Blanche a publié sa stratégie antiterroriste tant attendue en un document de 25 pages, qui qualifie l'Iran de « principal état finançant le terrorisme ». Elle s'engage à combattre l'Iran et les militants « islamistes radicaux » pour éliminer la menace terroriste contre les États-Unis.

En fait, l'Iran n'a pas utilisé de force militaire agressive contre un voisin hostile  depuis plus de 200 ans. Curieusement, la nouvelle stratégie antiterroriste américaine n'identifie pas l'Arabie saoudite, qui cible des civils et  en tue des milliers au Yémen (et soutient des extrémistes en Syrie et ailleurs), comme une menace terroriste.

Eric Margolis, un ancien correspondant de guerre au Moyen-Orient, a rapporté en juillet que le Pentagone  a préparé des plans pour une attaque aérienne contre l'Iran :

Le Pentagone a prévu une guerre aérienne très intense contre l'Iran à laquelle Israël et les Saoudiens pourraient très bien se joindre. Le plan prévoit plus de 2 300 frappes aériennes contre des cibles stratégiques iraniennes : aérodromes et bases navales, dépôts d'armes et d'essence, dépôts de pétrole et de lubrifiants, nœuds de télécommunications, radars, usines, quartiers généraux militaires, ports, ouvrages hydrauliques, aéroports, bases de missiles et unités des Gardiens de la Révolution.

La Coalition nationale pour la prévention de la fabrication d'une arme nucléaire iranienne, un groupe de plus de 50 éminents experts en politique étrangère, a publié une déclaration dans laquelle elle affirme que « la stratégie de l'administration Trump envers l'Iran consiste à exercer le maximum de pressions économiques, politiques et militaires pour changer le comportement de l'Iran et à menacer, sinon provoquer, la chute du régime ». Cette stratégie, ont-ils ajouté, « laisse à l'Iran le choix entre la capitulation ou la guerre. »

Beaucoup de membres du Congrès craignent que Trump ne s'en prenne à l'Iran. Ils essaient de l'empêcher de lancer une attaque préventive.

Le Congrès empêchera-t-il une attaque ?

Udall : Promoteur d'une loi pour empêcher une attaque contre l'Iran sans l'accord du Congrès. (Canon AFB)

Le 28 septembre, le sénateur Tom Udall (Démocrate - Nouveau-Mexique), accompagné des sénateurs Patrick Leahy (Démocrate - Vermont), Dianne Feinstein (Démocrate - Californie), Richard Durbin (Démocrate - Illinois), Bernie Sanders (Indépendant - Vermont), Jeff Merkley (Démocrate - Oregon), Martin Heinrich (Démocrate - Nouveau-Mexique) et Chris Murphy (Démocrate - Connecticut), a présenté la loi de 2018 sur la prévention d'une guerre anticonstitutionnelle avec l'Iran. Elle interdirait aux États-Unis de s'approprier de l'argent qui pourrait mener à une guerre avec l'Iran, à moins que le Congrès n'approuve expressément cette décision. La législation précise clairement qu'une attaque préventive contre l'Iran serait illégale en vertu de la loi sur les pouvoirs de guerre et de la Constitution américaine.

Le projet de loi Udall note que « l'Agence internationale de l'énergie atomique a vérifié à plusieurs reprises que l'Iran a continué à respecter ses obligations nucléaires au titre du Plan d'action global conjoint ». Le non-respect par les États-Unis de la JCPOA, poursuit le projet de loi, « génère le risque d'une conflagration inutile avec l'Iran, par le recours à des sanctions visant les adversaires comme les alliés dans la région et dans le reste du monde, sans voie diplomatique claire pour régler cette crise ». Le projet de loi cite le tweet de Trump selon lequel l'Iran « subira des conséquences comme peu de gens en ont subies au cours de l'histoire ».

Le Congrès a explicitement indiqué dans  la loi de 2019 sur l'autorisation de la défense nationale : « Rien dans la présente loi ne peut être interprété comme autorisant le recours à la force contre l'Iran ou la Corée du Nord ».

En avril, un projet de loi bipartite visant à remplacer la loi de 2001 sur l'Autorisation de recourir à la force (AUMF) a été présenté au Sénat et est actuellement en instance devant la Commission des relations étrangères.  Le projet de loi proposé permettrait au président « d'utiliser toute la force nécessaire et appropriée » contre l'Irak, l'Afghanistan, la Syrie, le Yémen, la Libye et la Somalie, Al-Qaïda, l'EI (également connu sous le nom de Daech), les Talibans et leurs « forces associées ». Mais par ses termes, les « forces associées » excluent spécifiquement « une nation souveraine ». Ainsi, la nouvelle AUMF ne couvrirait pas l'Iran.

Cependant, cela n'empêcherait pas Trump de prétendre qu'il s'appuie sur la AUMF de 2001 pour attaquer l'Iran. Bien que limitée spécifiquement aux responsables du 11 septembre, Bush, Obama et Trump l'ont tous utilisée pour justifier au moins 37 opérations militaires, dont beaucoup sans lien avec le 11 septembre.

Copyright  Truthout. Réimprimé avec sa permission.

 Marjorie Cohn est professeure émérite à la Thomas Jefferson School of Law, ancienne présidente de la National Lawyers Guild, secrétaire générale adjointe de l'International Association of Democratic Lawyers (Association internationale des juristes démocrates) et membre du comité consultatif de Veterans for Peace. Editrice et collaboratrice de  The United States and Torture (les États-unis et la torture) : Questions juridiques, morales et géopolitiques, Cohn a témoigné devant le Congrès sur la politique d'interrogatoires de Bush.

Source :  Marjorie Cohn, Consortium News, 04-11-2018

Traduit par les lecteurs du site  les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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