05/12/2018 reporterre.net  8 min #149189

Jour 2 : un enthousiasme douché par les Polonais et... par les Français

Jour 3 : « Mars n'est pas un plan B pour notre civilisation »

Tous les jours, notre envoyée spéciale vous raconte les coulisses, les anecdotes et les coups de théâtre de la COP24, qui se déroule en Pologne, du 2 au 14 décembre.

  • Katowice (Pologne), envoyée spéciale

 Mardi 4 décembre : « Mars n'est pas un plan B pour notre civilisation »

Le jour de la fête de la sainte patronne des mineurs, les délégués de la COP ont continué d'imaginer un monde sans charbon, avec des délégués étasuniens soucieux de ne pas hypothéquer l'avenir après le départ de Trump...

Le 4 décembre, en Pologne, on fête les Barbara. Barbara est la sainte patronne des mineurs, et donc l'occasion ici d'une grande fête baptisée « Barbórka ». C'est même dans la banlieue de Katowice, à Nikiszowiec, où l'une des plus anciennes mines de charbon du pays a fermé cette année, que les festivités sont les plus réputées : une fois par an, au petit matin, les habitants sont réveillés au son du clairon et des grosses caisses d'un orchestre composé de mineurs. Autrement dit, à Katowice, ce mardi matin, on fêtait le charbon en fanfare, tandis qu'à quelques kilomètres, des dizaines de délégations s'enfermaient dans une autre sorte de mine, elle aussi sans fenêtres, pour imaginer... un monde sans charbon.

À la COP, on passe de temps forts et fusionnels, où le monde semble parler d'une seule voix, à des moments bourrés de contradictions comme celui-là.

Alors que la messe en hommage des mineurs débutait dans l'église de Nikiszowiec, dans la soucoupe volante de la COP24, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, tenait une conférence de presse pour promouvoir la conférence spéciale sur le climat qu'il organise à New York en septembre prochain. Mais pourquoi un énième sommet ? Ce rendez-vous n'est-il pas une parfaite excuse pour escamoter Katowice en attendant New York ?


Une vidéo du Giec diffusée aux négociateurs en session plénière.

Antonio Guterres s'est défendu en précisant que « son » sommet, car oui, il l'appelle « mon » sommet qui a dit que le multilatéralisme interdisait la possessivité ? se déroulerait à New York en même temps que l'assemblée générale des Nations unies, qui réunit généralement quelque 130 chefs d'États ou de gouvernement. Selon lui, ce sera donc justement un moyen d'attirer les chefs d'État. « Tenir ce sommet [...] donnera aux gouvernements le temps dont ils ont besoin pour réviser à la hausse leurs NDC [Nationally Determined Contributions, ces engagements à réduire leurs émissions carbonées] afin d'être prêts pour 2020 », date à laquelle des NDC plus ambitieuses que celles de 2015 doivent être présentées par les 196 États ayant signé l'accord de Paris sur le climat.

« C'est une conférence très importante ! Elle n'est ni insignifiante ni de transition »

Alden Meyer, un habitué des COP, représentant de l'Union of Concerned Scientists (UCS), pense lui aussi que la conférence de New York sera utile. Tiens, voilà une nouvelle contradiction. Si Donald Trump est toujours aussi déterminé à brûler le climat par les deux bouts, d'autres Étasuniens, eux, continuent à se battre, en attendant que le vent tourne. À Katowice, les négociateurs étasuniens, explique Alden Meyer, sont ainsi divisés en deux groupes : une délégation politique, qui défend les positions de Donald Trump, et les négociateurs de l'administration, qui assistent aux COP depuis de nombreuses années. Ceux-là « font tout pour s'assurer de ne pas rendre la situation trop difficile pour un éventuel successeur à Donald Trump ».


Alden Meyer, un habitué des COP et représentant de l'Union of Concerned Scientists (UCS).

L'UCS, que représente le sympathique et jovial Alden Meyer, est cette association qui en 1992, à l'occasion du sommet de Rio sur le climat, avait lancé une « alerte à l'humanité » : dans un appel inédit, 1.700 scientifiques avaient tiré la sonnette d'alarme sur l'urgence de changer les comportements pour freiner le changement climatique. Une alerte qui a été renouvelée et amplifiée il y a un an  par 15.000 scientifiques internationaux. Créée en 1969, en pleine guerre du Vietnam, par des scientifiques qui refusaient que la recherche étasunienne soit utilisée à des fins militaires, l'UCS fait aujourd'hui du lobbying pour la préservation du climat.

Son badge « We Are Still In » (Nous sommes toujours dans l'Accord de Paris) solidement accroché sur le c?ur, Alden Meyer reconnaît qu'avec tous les présidents, les scientifiques ont eu des hauts et des bas, mais jusqu'ici, « on ne nous avait jamais dit que le changement climatique était une blague ou un complot des Chinois. Les scientifiques étasuniens sont très en colère, mais ils sont aussi très déterminés ».

Quand je lui parle de la déclaration lundi du ministre français de la Transition écologique selon laquelle la COP24 serait une simple « conférence de transition », les bras lui en tombent. « Mais non, c'est une conférence très importante ! Elle n'est ni insignifiante ni de transition. Elle doit finaliser les règles d'application de l'accord de Paris : c'est essentiel pour donner vie à cet accord. C'est le lancement d'un processus qui va durer deux ans jusqu'en 2020. Alors bien sûr, il y aura d'autres étapes, mais cette COP est importante, car c'est vraiment elle qui va donner le la. Si elle échoue, cela sera vraiment problématique pour les COP à venir. »

« Cette magnifique planète, elle est forte et résiliente »

La parenthèse people du jour a eu pour nom Mae Jemison, la première femme afro-américaine à être allée dans l'espace (1992). Invitée à s'exprimer en session plénière, l'astronaute s'est souvenue de ce moment si particulier, alors qu'elle était à bord de sa navette spatiale : « Je me souviens avoir regardé par la fenêtre et avoir vu cette incroyable planète bleue, et cette fine couche de lumière chatoyante qui était notre atmosphère. [...] Cette magnifique planète, elle est forte et résiliente. [...] Quand les gens disent "Sauvez la Terre", ils se trompent. Il ne s'agit pas de sauver la Terre, il s'agit de s'assurer que nous ne continuions pas à la détériorer à un point tel qu'elle ne puisse plus nous accueillir. [...] La Terre n'a pas besoin de nous. C'est nous qui avons besoin de la Terre. Et même si je rêve d'aller sur Mars, Mars n'est pas un plan B pour notre civilisation et notre espèce. »


Mae Jemison.

Entre deux sessions plénières, dont l'une consacrée dans l'après-midi à la présentation officielle du rapport du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) sur le réchauffement de 1,5 °C, je me suis offert une petite promenade entre les pavillons nationaux, à la recherche d'une nouvelle contradiction. Il ne m'a pas fallu longtemps : dans un coin reculé pour vous dire la vérité, si j'avais cherché le coin le plus reculé, eh bien, c'est ce coin-là, tout au fond et loin du passage, que j'aurais choisi je suis tombée sur le pavillon du Conseil de coopération du Golfe, l'organisation régionale regroupant les six pétromonarchies du Golfe persique : Arabie saoudite, Oman, Koweït, Bahreïn, Émirats arabes unis et Qatar. Dans une atmosphère feutrée, un groupe d'hommes en costume sombre parlaient à voix basse devant une vidéo vantant la qualité du « moteur de demain ». Un moteur « à l'efficacité super-élevée et aux émissions ultra-basses » inventé par la compagnie pétrolière saoudienne Aramco. Le mot à retenir : gasoline. Eh oui, chez les producteurs d'énergie fossile, le moteur de demain reste bien un moteur à essence. Contradiction quand tu nous tiens...


Le pavillon des pays du Golfe et le « moteur de demain ».

Post-scriptum Je ne résiste pas à vous à vous faire part de la dernière contradiction de ma journée : peu après 19heures, je me suis rendue à la réception d'ouverture de la COP, pour serrer quelques pinces et ingurgiter mon premier repas de la journée (je vais finir par prendre pour argent comptant cette plaisanterie d'un conseiller ministériel me disant qu'on perdait 4 a 5 kilos par COP !). Et là, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir le vaste buffet : des saucisses, des saucisses, et puis des côtes de porc, pour changer. Visiblement, la présidence polonaise a oublié que parmi ses milliers de convives - des Indiens, des Arabes...- figurent une bonne partie de végétariens et/ou de musulmans. Vous auriez vu mardi soir leur regard incrédule face à cette débauche de viande, à peine accompagnée de quelques salades froides de légumes... Chapeau à la chanteuse polonaise qui à la fin de sa prestation a eu le courage de défier son propre gouvernement en s'adressant directement à la salle : « Si vous voulez vraiment sauver la planète, arrêtez de manger de la viande ! » Tonnerre d'applaudissements.

 Lundi 3 décembre : un enthousiasme douché par les Polonais et... les Français

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