18/12/2018 les-crises.fr  13 min #149783

Haley: Le gouvernement et le prince héritier saoudiens responsables du meurtre de Khashoggi

Selon les conclusions de la Cia, le prince héritier saoudien a commandité l'assassinat de Jamal Khashoggi. Par Shane Harris, Greg Miller and Josh Dawsey

Source :  The Washingtom Post, Shane Harris, Greg Miller & Josh Dawsey, 16-11-2018

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Le procureur saoudien a déclaré que le prince héritier Mohammed ben Salmane n'était pas au courant de l'opération. Les dernières découvertes de la CIA contredisent cette affirmation. (Joyce Lee, Jason Aldag, Monica Akhtar/The Washington Post)

Par Shane Harris, Greg Miller and Josh Dawsey

Le 16 novembre 2018

Selon les conclusions de la CIA, le prince héritier Mohammed ben Salmane a ordonné l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi à Istanbul le mois dernier, ce qui contredit les affirmations des autorités saoudiennes selon lesquelles il n'était pas impliqué dans l'assassinat.

Les responsables ont déclaré avoir toute confiance dans l'analyse de la CIA, qui est à ce jour la plus catégorique et qui établit le lien entre Mohammed et l'opération, compliquant les efforts de l'administration Trump pour préserver ses relations avec ce proche allié. Une équipe de 15 agents saoudiens s'est rendue à Istanbul à bord d'un avion du gouvernement en octobre dernier et a tué Khashoggi à l'intérieur même du consulat saoudien, alors que celui-ci était allé y chercher les documents nécessaires à son mariage prévu avec une citoyenne Turque.

Selon des proches du dossier qui se sont confiés sous couvert d'anonymat, pour parvenir à ses conclusions, la CIA a examiné de multiples sources de renseignements, dont un appel téléphonique qu'a reçu Khashoggi du frère du prince, Khalid ben Salmane, ambassadeur de l'Arabie Saoudite aux États-Unis. Khalid a dit à Khashoggi,  chroniqueur au Washington Post, qu'il devrait se rendre au consulat saoudien à Istanbul pour récupérer les documents et lui a donné l'assurance que cela pourrait se faire en toute sécurité.

On ignore si Khalid savait que Khashoggi serait tué, mais il a passé le coup de fil à la demande de son frère, selon les personnes au courant de l'appel, qui a été intercepté par le renseignement américain.

Fatimah Baeshen, porte-parole de l'ambassade saoudienne à Washington, a déclaré que l'ambassadeur et Khashoggi n'avaient jamais discuté de « quoi que ce soit ayant trait à un voyage en Turquie ». Elle a ajouté : « les affirmations contenues dans la prétendue analyse [de la CIA] sont fausses. Nous avons entendu, et continuons d'entendre, diverses théories sans voir ne serait-ce qu'un début d'explication à ces spéculations. »

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M. Trump a déclaré qu'il s'attendait à être informé le 17 novembre des conclusions de la CIA concernant l'assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. (Reuters)

La conclusion de la CIA au sujet du rôle de Mohammed est également basée sur le fait que l'agence considère le prince comme le dirigeant de facto du pays, celui-ci supervisant même les affaires mineures dans le royaume. « Nous postulons est qu'il est impossible que cela ait pu se produire sans qu'il en ait eu connaissance ni qu'il soit impliqué », a déclaré un responsable américain informé des conclusions de la CIA.

Selon ce responsable américain, la CIA considère Mohammed comme un « bon technocrate », mais aussi comme  une personne instable et arrogante, quelqu'un qui « monte facilement dans les tours, et qui ne semble pas comprendre qu'il y a des choses qu'on ne peut pas faire ».

Les analystes de la CIA pensent qu'il a la mainmise sur le pouvoir et qu'il ne risque pas de perdre son statut d'héritier du trône malgré le scandale de Khashoggi. « L'opinion générale est qu'il a toutes les chances de survivre à cette crise », a déclaré le responsable, ajoutant que le rôle de Mohammed en tant que futur roi saoudien est « considéré comme allant de soi ».

Un porte-parole de la CIA a refusé de commenter.

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Le président turc Erdogan a déclaré que l'Arabie saoudite, les États-Unis, l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne avaient tous reçu l'enregistrement de la mise à mort de Jamal Khashoggi. (Reuters)

Au cours des dernières semaines, les Saoudiens ont donné des explications diverses et contradictoires sur ce qui s'est passé au consulat. Cette semaine, le procureur saoudien a imputé l'opération à une bande de voyous qui ont été envoyés à Istanbul pour ramener Khashoggi en Arabie saoudite, dans une opération qui a mal tournée lorsque le journaliste « a été retenu de force et qu'on lui a injecté une importante quantité de drogue, conduisant à une overdose ayant entraîné sa mort »,  selon un rapport du procureur.

 Le procureur a annoncé que des charges ont été retenues contre 11 participants présumés et a déclaré qu'il demanderait la peine de mort contre cinq d'entre eux.

Le meurtre de Khashoggi,  un éminent opposant aux politiques de Mohammed, a déclenché une crise de politique étrangère pour la Maison-Blanche et soulevé des questions concernant la confiance de l'administration à l'égard de l'Arabie saoudite, alliée clé au Moyen-Orient et rempart contre l'Iran.

Le président Trump s'est opposé à l'idée de rejeter la faute sur Mohammed, celui-ci entretient une relation étroite avec Jared Kushner, gendre et conseiller principal du président. Des assistants ont précisé en privé que des preuves de l'implication du prince ont été montrées à Trump, mais que celui-ci reste sceptique quant au fait que Mohammed ait ordonné l'assassinat.

Le président a également demandé aux responsables de la CIA et du département d'État de lui indiquer où se trouvait le corps de Khashoggi et s'est dit contrarié qu'ils n'aient pas été en mesure de fournir une réponse. D'après les personnes proches du dossier, la CIA ne connaît pas l'emplacement des restes de Khashoggi,

Selon les personnes proches du dossier, parmi les renseignements recueillis par la CIA figure l'enregistrement audio d'un dispositif d'écoute placé par les Turcs dans les murs du consulat saoudien. Les Turcs ont donné à la CIA une copie de cet enregistrement qui a été écouté par la directrice de l'agence, Gina Haspel.

Selon des responsables de plusieurs pays qui l'ont écouté ou ont été informés de son contenu, l'enregistrement audio prouve que Khashoggi a été tué quelques instants après son entrée au consulat. Khashoggi est mort dans le bureau du consul général saoudien, on entend ce dernier exprimer son mécontentement quant au fait que le corps de Khashoggi doive d'être éliminé et les lieux débarrassés de toute preuve.

La CIA a également examiné un appel passé, après l'assassinat, de l'intérieur du consulat par un membre présumé de l'équipe saoudienne, Maher Mutreb, un agent de sécurité qui a souvent été vu aux côtés du prince héritier et qui a été photographié entrant et sortant du consulat le jour du meurtre.

Selon nos sources, Mutreb a appelé  Saud al-Qahtani, alors l'un des principaux assistants de Mohammed, et l'a informé que l'opération était terminée.

Cette semaine, le département du Trésor a sanctionné 17 individus qu'il dit impliqués dans la mort de Khashoggi, parmi ceux-ci Qahtani, Mutreb et le consul général saoudien en Turquie,  Mohammad al-Otaibi.

L'analyse du rôle de Mohammed dans l'assassinat par la CIA s'appuie également sur des informations recueillies par des gouvernements étrangers, des responsables de plusieurs capitales européennes ayant conclu que l'opération était trop audacieuse pour avoir eu lieu sans les ordres de Mohammed.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré que son gouvernement a porté l'enregistrement audio à la connaissance de l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et l'Arabie Saoudite.

En plus des appels et des enregistrements audio, les analystes de la CIA ont également relié certains membres de l'équipe saoudienne directement à Mohammed lui-même. Certains des 15 membres ont fait partie de son équipe de sécurité et ont voyagé aux États-Unis lors de visites de hauts responsables saoudiens, dont le prince héritier, selon les registres de passeports examinés par The Post.

Avant la mort de Khashoggi, les États-Unis avaient également obtenu des renseignements indiquant qu'il pourrait être en danger. Mais ce n'est qu'après sa disparition, le 2 octobre, que les services de renseignement américains ont commencé à fouiller les archives des communications interceptées et découvert des documents indiquant que la famille royale saoudienne avait cherché à attirer Khashoggi à Riyad.

Deux responsables américains ont déclaré que rien n'indiquait que les responsables étaient au courant de ces renseignements avant la disparition de Khashoggi ou qu'ils avaient raté une occasion de l'avertir.

Khashoggi « n'était pas une personne présentant un intérêt » avant sa disparition, et le fait qu'il résidait en Virginie signifiait qu'il était considéré comme une personne américaine et donc à l'abri de la collecte de renseignements américains, a déclaré un des responsables.

M. Trump a déclaré à de hauts responsables de la Maison-Blanche qu'il voulait que Mohammed reste au pouvoir parce que l'Arabie saoudite aide à contrôler l'Iran, qui est son principal défi sécuritaire au Moyen Orient selon l'administration. Il a dit qu'il ne voulait pas que la controverse sur la mort de Khashoggi compromette la production de pétrole du royaume.

Une question demeure : pourquoi Mohammed aurait-il décidé de tuer Khashoggi, alors que celui-ci ne militait pas pour la destitution du prince héritier ?

Selon nos sources, une des théories développées par la CIA serait que Mohammed pensait que Khashoggi était un islamiste dangereux trop favorable aux Frères musulmans. Quelques jours après la disparition de Khashoggi, Mohammed a fait part de ce point de vue lors d'un appel téléphonique avec Kushner et John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale, qui s'oppose depuis longtemps aux Frères Musulmans et les voit comme une menace pour la sécurité régionale.

La condamnation en privé du journaliste assassiné par Mohammed est en contradiction flagrante avec les commentaires publics de son gouvernement, déplorant le meurtre de Khashoggi le qualifiant de « terrible erreur » et de « tragédie ».

Les responsables américains ne savent pas exactement quand et si le gouvernement saoudien donnera suite aux menaces d'exécution qui pèsent sur les personnes accusées du meurtre de Khashoggi. « Cela pourrait se produire du jour au lendemain ou prendre 20 ans », a dit le responsable américain, ajoutant que le traitement des subordonnés pourrait dorénavant nuire à la réputation de Mohammed.

En tuant ceux qui suivaient ses ordres, « il est difficile d'obtenir l'aide du prochain groupe [de subordonnés] », a déclaré le fonctionnaire.

John Hudson et Missy Ryan à Washington, Souad Mekhennet à Francfort et Loveday Morris et Kareem Fahim à Istanbul ont contribué à cet article.

Source :  The Washingtom Post, Shane Harris, Greg Miller & Josh Dawsey, 16-11-2018

Traduit par les lecteurs du site  les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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