Par le Général Amine Htaite
Avant que Trump n’annonce le retrait de ses troupes du territoire syrien à l’est de l’Euphrate, Erdogan avait annoncé une décision turque d’envahir cette région pour briser le rêve kurde d’une entité séparatiste. Ce que toutefois nous constatons, c’est que la coordination américano-turque est établie pour que chaque partie atteigne ses objectifs. Les Etats-Unis veulent sauter du bateau qui coule en poussant, par vengeance, la région à plus de guerre et de destruction, et la Turquie veut se l’approprier pour réaliser son rêve expansionniste et étouffer toute ambition kurde. Le trio d’Astana a, quant à lui, estimé ce retrait comme une opportunité pour le retour de la région à la souveraineté syrienne, malgré l’ambition de la Turquie et ses positions et engagements contradictoires que les observateurs ont du mal à démêler.
Lorsque la Turquie a répondu à l’invitation russo-iranienne pour se joindre au parrainage d’un processus parallèle à celui de Genève, enlisé, pour rechercher une solution à la crise syrienne, elle a cherché à se positionner dans une zone grise entre les deux axes du conflit, une zone qui lui permettrait d’adopter une attitude louvoyante lui facilitant le passage rapide d’un axe à l’autre en mouvement de scie.
La Turquie pensait que cet atermoiement lui permettrait de se distancier des postures ou des parties perdantes dans cette guerre et de participer au partage des profits avec l’équipe ou l’axe gagnant. De nombreux observateurs ont été perplexes lorsqu’ils essayaient d’interpréter le comportement contradictoire de la Turquie, et confus lorsqu’ils essayaient de comprendre la patience dont la Russie et l’Iran faisaient preuve à son égard, alors qu’ils sont les deux alliés organiques de la Syrie et ses partenaires dans sa défense. La question qui se posait toujours était : comment ces deux pays concilient-ils leur amitié simultanée pour deux parties en conflit et des plus hostiles ?
Depuis le début de l’agression, la Turquie a été le pays le plus virulent à l’égard de la Syrie et n’a raté aucune occasion pour lui nuire et investir sur sa ruine. C’est la Turquie qui a dirigé la première vague d’agression pour « faire chuter la Syrie » et la rattacher à l’Empire ottoman projeté. C’est la Turquie qui était le portail pour l’entrée de plus de 80 000 (sur 110 000) terroristes étrangers qui ont investi la Syrie. C’était la Turquie qui était le seul point de passage pour le transport du pétrole syrien pillé par Daech et autres groupes terroristes. C’est la Turquie qui a détruit l’infrastructure industrielle à Alep et a dévalisé plus de 1 200 machines des usines alépines. Et c’est la Turquie qui a créé les chefs d’opposition et des factions terroristes qui commettent des crimes en Syrie, et qu’elle continue d’abriter.
La Syrie et ses alliés russe et iranien connaissent le rôle et l’histoire sombre de la Turquie dans la crise syrienne, et lui ont toutefois ouvert les portes d’Astana. La question est alors de savoir comment un tel pays, qui a joué un tel rôle et avec une telle histoire, peut-il être un partenaire dans le rétablissement de la paix et le succès du processus politique pour restaurer la sécurité et la stabilité en Syrie ?
D’autre part, la Russie et l’Iran sont parfaitement conscients que la Turquie ne peut se défaire de ses relations avec l’OTAN qui, contrairement aux termes du traité l’ayant mis en place, adopte implicitement une stratégique offensive, comme ils savent que la Turquie et Israël maintiendront une relation stratégique profonde qui ne sera pas affectée par les épisodiques clameurs antagonistes médiatiques. La Russie et l’Iran savent également que la Turquie a son propre projet en Syrie dont le seuil minimal est d’imposer la participation des Frères musulmans au pouvoir afin d’y exercer une influence significative malgré le rejet massif de la majorité du peuple syrien.
Malgré cette conviction, le duo russo-iranien a choisi de travailler avec la Turquie parce qu’il estime qu’il vaut mieux l’associer au processus d’Astana et maintenir les contacts avec elle plutôt que de la déconnecter et l’éloigner, d’autant plus que la Russie et l’Iran disposent de cartes pouvant être utilisées ou brandies pour atténuer ou, parfois, contrer toute opération ou toute posture ou tout plan turcs contre la Syrie. C’est sur cette base que la relation entre l’axe de la résistance et de lutte contre le terrorisme a été établie avec la Turquie qui a conservé son propre projet qu’elle a à plusieurs reprises tenté de faire passer. Le camp de défense la Syrie a conservé toutes ses cartes et c’est lui qui détermine quand et comment les jouer contre la Turquie pour l’empêcher de réaliser son projet qui porte atteinte à la souveraineté et à l’indépendance syriennes.
Au vu de ces données, et après la décision de Trump de retirer les troupes américaines de Syrie, la Turquie s’est trouvée en confrontation directe avec trois parties se mouvant dans la zone qu’elle veut contrôler à l’est de l’Euphrate. Et c’est là que sera le test crucial pour la Turquie, dont les résultats ne pourront être ni interprétés ni justifiés, un test complètement différent de ce qui est arrivé et se déroule encore à Idlib et sa région.
A Idlib, et afin d’éviter ou de reporter l’opération militaire syrienne visant à libérer la région de 65 000 terroristes armés, la Turquie s’est engagée à agir sous l’égide d’Astana, à procéder au démantèlement de ces groupes par la voie pacifique ou par la force et à préparer le retour de la région à l’Etat syrien, selon des mécanismes adéquats, parallèlement au démarrage du processus politique qui débutera par la révision constitutionnelle. La Turquie a toutefois renié son engagement prétextant des circonstances subjectives et objectives que la Russie a excusé, ce qui a conduit au gel du dossier d’Idlib jusqu’à nouvel ordre. La Turquie a estimé avoir gagné par ses tergiversations et a conservé la carte d’Idlib pour l’utiliser dans le processus politique qui ne lui a encore rien rapporté de satisfaisant.
La question est complètement différente dans le nord-est syrien où l’armée arabe syrienne fait mouvement ou s’apprête à bouger au vu de circonstances urgentes résultant de la décision américaine de retrait, de la décision d’invasion turque, de la décision frileuse kurde quant au retour au sein de l’Etat, et de la présence de plus de 8.000 terroristes de Daech dans la région frontalière avec l’Irak. C’est cet amas terroriste que les États-Unis considèrent comme leur instrument, non plus pour occuper le territoire, mais pour saboter tout projet syrien de nature à rétablir la sécurité, le contrôle et la stabilité dans le nord-est du pays.
La Turquie doit donc agir dans ce contexte qui impose de nombreuses restrictions à son mouvement dans la région. Au début, elle n’aura peut-être pas l’occasion de combattre les FDS qui semblent avoir retrouvé l’esprit et le pragmatisme face à la menace turque et se sont précipités pour chercher la protection du gouvernement syrien. Celui-ci ne manquera pas l’occasion de se redéployer dans la zone contrôlée par les FDS, après avoir établi les plans de coordination et le retrait armé kurde.
La Turquie ne peut pas non plus risquer une confrontation militaire avec l’armée arabe syrienne tout en conservant sa position sous les auspices d’Astana. Si elle le faisait, elle perdrait beaucoup dans ses relations et ses dérobades sans être sûre de réaliser quelque chose d’important sur le terrain, surtout qu’elle pourrait être affrontée par l’armée et la population, ainsi que les FDS que la Turquie considère comme un ennemi terroriste.
La Turquie n’attaquera pas Daech non plus pour deux raisons à la fois subjectives et objectives. Daech est positionnée à 250 km de la frontière turque et il n’y a aucune possibilité de l’atteindre par voie terrestre, sauf en traversant les zones sous contrôle des FDS. D’autre part, la Turquie ne compte même pas lutter contre Daech, son allié historique dans l’agression contre la Syrie.
En outre, nous pensons que la Turquie est militairement incapable de s’engager dans une confrontation terrestre sur l’ensemble du triangle oriental de l’Euphrate. Nous rappelons la position turque, durant les premières années de l’agression, quant à l’établissement d’une zone de sécurité. Ayant échoué dans son projet de contrôler toute la Syrie et son ambition s’étant réduite à mettre en place une zone de sécurité de 100 km des frontières avec la Syrie, la Turquie a demandé l’aide de l’OTAN qui l’a ignorée. Elle a alors renoncé à ce projet ne pouvant « se risquer seule » à l’exécuter, selon ses propres déclarations.
Pour tout cela, nous affirmons que l’Euphrate oriental n’obéira pas aux souhaits de la Turquie, mais sera aux mains de la Syrie légitime, et plus rapidement que prévu, dans le cadre d’un processus combiné, politique et de réconciliation entre le gouvernement syrien et les Kurdes qui restitueraient autant de zones que possible aux autorités légitimes, et militaire par des opérations exécutées par l’Armée arabe syrienne qui barrera la route à toute intervention ou invasion turque. Les opérations militaires seront également menées contre Daech qui se retrouvera pris entre deux feux : à l’est par l’Irak, après l’autorisation accordée par la Syrie à l’Irak de bombarder les positions de Daech en Syrie sans attendre son feu vert, et à l’ouest par l’armée arabe syrienne qui pourrait être épaulée par les FDS lors des opérations de confrontation, selon un accord conclu.
L’entreprise pour cette restauration redimensionnera les différentes parties qui seront ramenées à leur taille réelle et renonceront à leurs objectifs illégitimes. Il n’y aura plus de séparatisme kurde pour menacer l’unité de la Syrie et/ou compromettre la sécurité nationale de la Turquie, ni de présence militaire étrangère pour porter atteinte à la souveraineté et à l’indépendance de la Syrie. On commencera alors à écrire le dernier chapitre de l’agression contre la Syrie, et il ne restera qu’Idlib qui sera l’épilogue de toutes les batailles menées dans cette guerre pour défendre la Syrie.
Article en arabe :
traduit par Rania Tahar