© Stephane Mahe Source: Reuters
Après les annonces du gouvernement prônant la fermeté à l'encontre des manifestations des Gilets jaunes, les syndicats et les associations de police s'inquiètent de la stratégie adoptée par l'exécutif et déplorent un manque de dialogue.
Le 7 janvier sur le plateau du 20 heures de TF1, le Premier ministre Edouard Philippe a proclamé la volonté du gouvernement de procéder à un tour de vis sécuritaire pour faire face aux mobilisations des mobilisations des Gilets jaune que connaît le territoire français depuis le mois de novembre 2018.
De nouvelles mesures sont annoncées. Elles permettront d'encadrer différemment les manifestations à venir et de sanctionner plus sévèrement les débordements, de renforcer les effectifs des forces de l'ordre dès le prochain acte des Gilets jaunes (un contingent de 80 000 personnes est attendu). Par ailleurs, une suggestion des syndicats de police a été retenue : créer un fichier où seraient consigné les identités des manifestants considérés comme violents afin de leur interdire de manifester.
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Contacté par RT France, le porte-parole de l'association policière Union des policiers nationaux indépendants (UPNI), Jean-Pierre Colombies, a pour sa part vu dans ces déclarations une certaine redondance : «Edouard Philippe dit n'importe quoi. Quand il annonce des sanctions accrues pour les personnes participant à des manifestations non-déclarées, je rappelle que les dispositions existent déjà dans le code pénal, à l'article 431. Il s'agit d'un délit déjà puni par un an d'emprisonnement. Mais le pire est peut-être le message politique que ces déclarations envoient : nous nous trouvons dans une situation où le Premier ministre de notre pays prévoit déjà qu'il y aura des manifestations violentes à l'avenir. A aucun moment, il ne semble se poser la question d'une sortie de crise et il ne parle que du bras de fer. La réponse est purement sécuritaire. C'est un peu court !»
Ces personnes violentes ne sont-elles pas déjà connues des services de renseignement ? Bien sûr que si ! Tout cela n'est que gesticulation !
L'ancien gradé en retraite s'interroge : «C'est à se demander si le gouvernement ne cherche pas la confrontation ! Par ailleurs, sur le principe annoncé du "casseur-payeur", Philippe ne fait qu'annoncer des choses qui existent déjà... Il veut faire payer les casseurs ? Je rappelle que c'est déjà prévu à l'article 222-13 alinéa 4 du code pénal. C'est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende et ça va jusqu'à cinq ans en cas de violences physiques. Je ne sais pas qui est son conseiller justice, mais ce que fait le gouvernement actuellement, ça me rappelle les années Sarkozy. On montre les muscles, mais on n'est pas dans la réflexion, on ne cherche pas à savoir où tout cela va mener.»
Jean-Pierre Colombies déplore également l'idée consistant à constituer un nouveau fichier : «Cette idée vient des syndicats. On veut dupliquer la loi anti-hooligans. Mais ce qui est applicable dans ce contexte particulier ne l'est pas forcément dans celui des Gilets jaunes. Les supporteurs de football sont très identifiables, ils soutiennent toujours la même équipe et se rendent dans les espaces fermés que sont les stades. Par contre, comment va-t-on s'assurer que tel ou tel manifestant violent va participer à telle ou telle manifestation ? A laquelle va-t-on leur interdire de venir ? Cette mesure me paraît inapplicable et du point de vue des données personnelles, j'imagine qu'elle sera au moins questionnée par la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) ou retoquée par le conseil d'Etat. De plus, des fichiers existent déjà, les manifestations sont filmées par les forces de l'ordre. Ces personnes violentes ne sont-elles pas déjà connues des services de renseignement ? Bien sûr que si ! Tout cela n'est que gesticulation !»
Concernant les effectifs impressionnants qui sont annoncés par le Premier ministre, l'ancien policier n'est pas plus optimiste : «On va dire aux policiers qu'ils doivent poser le doigt sur la couture et retourner au combat, mais les flics sont déjà sur-sollicités ! Je pense qu'avec cette logique, on va vers une configuration d'accident. Il y a actuellement une polarisation des images et des actes de la part du gouvernement. C'est trop facile et dangereux. Les gens attendent de vrais actes politiques, pas des mesurettes et surtout pas une invitation à remettre ça ! Le gouvernement se lance dans une stratégie binaire : il y aurait d'un côté les citoyen et de l'autre les forces de l'ordre. Mais la police, ce n'est pas une équipe de gros bras qui serait là pour protéger le gouvernement. La police n'est pas partisane, elle est là pour défendre l'intérêt général. Ce n'est pas "Venez me chercher !"»
Dans un tweet, le syndicat des commissaires de police SCPN a eu une analyse similaire le 7 janvier : «Le dernier mot à la crise doit être politique, issu du dialogue et de la concertation. Ce n'est pas un match Police-GiletsJaunes.»
Ce n'est pas un match Police - GiletsJaunes.@EmmanuelMacron @EPhilippePM @CCastaner @NunezLaurent #GiletsJaunes#EdouardPhilippe
Jean-Pierre Colombies rappelle également que les policiers montraient des signes de fatigue, voire d'exaspération dans leurs relations avec le ministère de l'Intérieur : «Cette institution était déjà en plein mal-être et épuisée. Edouard Philippe assure : "Nous répondrons présents", mais ce ne sera pas eux sur le terrain, ce seront les policiers ! Ce gouvernement ne peut pas se contenter d'une opposition police-citoyenneté, c'est très dangereux. D'ailleurs, vous remarquerez que l'exécutif ne parle plus des mesures économiques qu'attendait le public, on ne parle plus de la TVA, des taxes sur le carburant, ni surtout de la répartition des richesses, tout cela est totalement noyé dans un discours sécuritaire.»
Répondant aux propos de Christophe Castaner, le syndicat de police VIGI a également considéré que le ministre de l'Intérieur en demandait trop à ses forces de l'ordre et a déclaré sur Twitter : «Apportez des réponses politiques pour que nous ne soyons plus insultés à votre place, que nous n'ayons plus à prendre des coups à votre place. Ce n'est pas la République qu'ils veulent outrager, mais le gouvernement. Par contre honte à eux de s'en prendre aux mauvaises personnes.»
Honte à ceux qui vous frappent.
Car à travers vous, c'est la République qu'ils outragent.
Revenant sur la séquence du 5 janvier au cours de laquelle des manifestants ont enfoncé la porte du secrétariat d'Etat de Benjamin Griveaux à Paris, le porte-parole de l'association policière n'est pas étonné : «C'était sûr ! Il y a énormément d'éléments incontrôlables dans ces manifestations qui sont venus se greffer aux Gilets jaunes. Hier c'était Benjamin Griveaux, demain ce sera ailleurs.»
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