14/01/2019 cadtm.org  8 min #150775

Les récentes manifestations au Soudan sont bien plus que des émeutes du pain

Solidarité totale avec le soulèvement populaire au Soudan

Khartoum, Soudan (CC - Flickr - Christopher Michel)

Nous, Alliance des Socialistes au Moyen-Orient, déclarons notre soutien au soulèvement populaire en cours qui a commencé dans toutes les régions du Soudan le 19 décembre 2018. Des manifestations ont éclaté pour protester contre la suppression des subventions sur le pain, le blé et l'électricité, ainsi que contre une forte inflation. Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a estimé que près de la moitié de la population du pays, soit 20 millions de personnes, vivent sous le seuil de pauvreté. Les revendications des masses se sont radicalisées de plus en plus, appelant à la chute du régime d'Omar al-Bashir après des décennies de répression économique, politique et sociale. Le dictateur Omar al-Bashir était sur le point d'obtenir des amendements constitutionnels lui permettant de se présenter aux élections présidentielles en 2020.

Les slogans les plus populaires des manifestant.e.s dans les villes soudanaises sont « Liberté, paix, justice, la révolution est le choix du peuple » et « Le peuple veut le renversement du régime ». Beaucoup de villes ont été le théâtre de démonstrations de courage de manifestant.e.s défiant l'état d'urgence et le couvre-feu imposé sur le pays. Cela illustre la profondeur de la crise et le rejet du régime Bashir.

Le régime, arrivé au pouvoir depuis 1989, a lancé alors une offensive brutale contre les manifestant.e.s, en utilisant des snipers et des miliciens, occasionnant des dizaines de morts et a arrêté plus de 2000 militant.e.s, dont des directions de gauche, ouvrières et féministes. Parmi les personnes tuées, Shawki Ishaq, âgé de 12 ans, est devenu un symbole du soulèvement.

Les manifestations ont commencé dans les zones rurales et dans des villes comme Atbara, une région de tradition ouvrière, dotée de syndicats indépendants, que Bashir a tenté d'écraser. Ces syndicats, en particulier l'Association des Professionnels Soudanais, ont continué à jouer un rôle clé, contribuant à renforcer la voix de la rue par leur rôle fondamental dans l'organisation du mouvement. Cela a conduit à une campagne d'arrestations massives des cadres et dirigeants des travailleurs, notamment un membre du secrétariat de l'Association, le docteur Mohammad Naji Alassam, un membre du Comité des enseignants du Soudan, un membre du secrétariat du rassemblement des Professionnels, Ahmed Rabie, un membre du comité exécutif de l'Association de gynécologie et d'obstétrique, la docteure Huwaida Ahmed Mohamed El Hassan, le doyen de l'ordre des médecins du Soudan, le docteur Ahmed Sheikh, le vice-doyen, le docteur Najib Najmuddin, et le président du Comité des enseignants dans l'État de Al Gazira, Abdullah Hassan.

Alors que les manifestations se propageaient et que la répression s'intensifiait, les syndicats indépendants dirigés par le syndicat des médecins ont fait une grève générale. Le syndicat indépendant des journalistes a fait grève pendant trois jours. Le Comité central des pharmaciens a déclaré une grève. De leur côté, des étudiants et des enseignants ont participé à des grèves et à des manifestations. Vingt professeur.e.s de l'Université de Khartoum ont été interpellé.e.s. Certain.e.s ont été libéré.e.s suite aux pressions universitaires et ouvrières : un membre du Secrétariat général de l'Association des Professionnels, le Dr. Mohammed Yousif, un professeur de sciences mathématiques, le Dr. Mohamed Abdullah, un professeur de littérature, le Dr. Mamdouh Mohamed El Hassan, un professeur des maladies endémiques, le Dr. Montaser El Tayeb, un professeur de la faculté d'ingénierie, le Dr. Ali Siuri et un professeur de littérature, le Dr. Muhammad Yunus.

La gauche soudanaise a continué de soutenir et de participer au soulèvement. Elle a également rejeté les propositions de compromis faites par l'opposition islamique et les factions du parti au pouvoir qui ont les faveur de la communauté internationale, - les groupes d'opposition islamiques et les chefs de partis au sein de la coalition au pouvoir menant des politiques de sécurité et économiques désastreuses, servant la communauté internationale. Le soutien de la gauche au soulèvement a entraîné des arrestations massives et des attaques contre des cadres et dirigeants de gauche, notamment un membre du Bureau politique du Parti Communiste Soudanais Hanadi Fadl, un membre du Comité Central du Parti communiste soudanais, Kamal Jarrar, et un membre du Comité central du Parti Communiste Soudanais et du Syndicat des Professionnels médicaux et de santé, le Docteur Messaoud Mohammad Hassan, ainsi que Batoul Al Rifai, prise en « otage » à la place de son père, le membre du parti communiste Abdel-Fattah Rifai. Un membre du parti Communiste, Yasser Alsar Ali, a été atteint d'un coup de feu et est dans un état critique.

L'Union féminine soudanaise et d'autres groupes de femmes ont joué un rôle actif dans la direction du soulèvement et ont continué à jouer un rôle moteur, comme lors de mobilisations précédentes contre les pratiques patriarcales et répressives du régime Bashir et de ses prédécesseurs. Résultat, le régime a emprisonné certains des dirigeantes les plus en vue, dont la dirigeante de l'Union, Adila Al Rabaq, la présidente de l'Union féminine démocratique du Soudan, Munira Sid Ali, une membre de l'Union Féminine, du Parti Communiste et du Comité soudanais de solidarité, Hanan Mohamed Nour, la poétesse Sumaya Isaac, l'avocate et membre de l'Union Féminine, Hanan Hassan, et une membre de l'Union féminine et du Parti communiste, Amal Jabrallah.

Pendant des décennies, le régime avait pratiqué la répression politique, et joué sur les différences ethniques, les divisions politiques au sein de la société soudanaise et les opposants au régime. Cela a contribué à la désintégration du pays et à la création d'un vide politique qui ne peut être comblé par le discrédité Parti national Umma. Le parti Umma, dirigé par Sadiq al-Mahdi, a tenté de chevaucher la vague de manifestations contre le pouvoir, ce qui a permis au régime de saper les revendications radicales de la rue.

L'armée est également un partenaire essentiel de ce régime clientéliste au pouvoir, ainsi que le bras essentiel de la répression, sans parler de son rôle dans l'instabilité politique dans le pays, dans le sud du Soudan et au Yémen. Et ceux qui s'imaginent qu'elle est une institution indépendante capable de passer du côté des citoyens devraient revoir le rôle contre révolutionnaire de l'armée en Égypte et les déclarations pro-régime de l'armée soudanaise.

Après s'être montré partenaire de la lutte contre le terrorisme en tant qu'allié crédible de l'impérialisme dans une région qui refuse ses dirigeants tyranniques, le mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale émis en raison par les crimes de guerre perpétrés au Darfour a été miné, et le régime a rétabli ses relations avec les puissances impérialistes. Et il a obtenu le soutien de son homologue criminel dans la guerre du Sud-Soudan et président actuel, Salva Kiir, face au soulèvement au Soudan.

Le régime de Bashir a prolongé et enflammé la guerre civile en recourant à l'incitation religieuse et raciale au génocide contre les habitants du sud du Soudan et du Darfour, qui a fait plus d'un million de victimes. Bashir a également utilisé l'expérience qu'il avait acquise dans l'assassinat de son peuple en envoyant au Yémen des chefs de tribus formés au meurtre et au viol pour y travailler comme mercenaires. Cela nous rappelle que la répression du régime de Bashir, comme tout autre régime, est régionale et transfrontalière.

En outre, le régime Bashir a réussi à créer des liens avec d'autres puissances régionales et impérialistes pour rester au pouvoir. Après le début de l'actuelle Intifada, Bashir a rendu visite à Bachar al-Assad à Damas, lui affirmant son soutien et se présentant avec la posture d'un intermédiaire potentiel avec l'Arabie saoudite, tout en maintenant sa solide alliance avec le Qatar, et tout en renforçant ses relations avec l'Arabie saoudite et en participant aux crimes pour consolider son pouvoir. Cela a conduit à un soutien des régimes criminels des deux côtés, y compris l'émir du Qatar Tamim al-Thani, le parti de la Justice et du Développement au pouvoir en Turquie au pouvoir, et le ministre égyptien des Affaires étrangères et directeur du renseignement. En outre, il a rejoint d'autres régimes qui effectuent une normalisation avec Israël, comme en témoigne l'annonce de Benjamin Netanyahu concernant le survol des avions d'El Al de l'espace aérien soudanais.

Aujourd'hui, les manifestant.e.s au Soudan rejettent les politiques du régime de Bashir et tous les régimes autoritaires qui lui sont alliés, et ils se dressent contre les politiques de paupérisation du FMI. La société civile et le mouvement ouvrier, qui a survécu à la vague montante de néolibéralisme et de répression, ont annoncé une grève générale.

Nous déclarons que nous nous tenons aux côtés des manifestant.e.s courageux.se.s qui affrontent les forces d'un régime brutal, et en raison de l'existence d'un consensus régional et international qui a fait se maintenir Bashir au pouvoir pendant des décennies, il nous incombe de renforcer notre soutien et notre solidarité avec le soulèvement populaire et la lutte pour la justice sociale incarnée par la devise « Liberté et justice, la révolution est le choix du peuple ».

Alliance des socialistes au Moyen-Orient
8 janvier 2019

 cadtm.org

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