Emmanuel Macron a envoyé sa lettre aux Français, dans laquelle il prend bien des précautions, évitant tout engagement qui pourrait l'entraîner dans une direction qui échapperait très vite à son contrôle. La sincérité du locataire de l'Elysée est sans doute réelle, globalement, mais le problème n'est pas là. Un petit nombre de Français, dont lui-même, raisonne à l'intérieur de principes qui entraînent avec eux une logique incompatible avec celle du regard porté par le plus grand nombre sur la vie réelle. C'est le monde de la « foi » ultra libérale inconditionnelle qui s'oppose frontalement à celui de la conscience éclairée de tous ceux qui constatent le désastre engendré par cette croyance ayant imposé à tous son « obscurantisme » politique. Voilà pourquoi, nous risquons de constater le dialogue de sourds qui va présider au grand débat national des Français, lorsque celui-ci devra remonter à Paris. C'est déjà ce qui apparaît dans la rencontre de Macron avec les maires de France à Grand Bourgtheroulde, en Normandie, lorsque ceux-ci, à l'issue de cette rencontre, ont exprimé leurs sentiments : ceux disant le profond décalage ressenti entre les réalités locales du terrain et les objectifs de l'Exécutif actuel inspirés par les Institutions supra nationales.
Plus que jamais, les Gilets-jaunes doivent se montrer vigilants et ne pas perdre de vue leur objectif constituant.
Nous avions déjà présenté les principes fondamentaux du travail constituant, dans l'article du lundi 31 décembre 2018, intitulé : « Les Gilets-jaunes provoquent la restauration de la Constitution ». Il suffira donc de s'y référer pour avoir une vue d'ensemble sur ce qui devrait maintenant être la suite de ce choc politique provoqué par les revendications des Gilets-jaunes.
Le travail constituant c'est la pratique de réappropriation de la politique par les citoyens. Aujourd'hui, les décisions politiques sont prises par les plus riches (ploutocratie : banques et grandes entreprises du CAC40) qui, par le biais des grands médias qui leur appartiennent également, et des élus dont ils financent les campagnes électorales, nous obligent à faire leur choix par défaut en nous faisant voter par élimination de ceux qu'on ne veut absolument pas pour nous représenter, grâce à un mode de scrutin sur lequel nous n'avons rien à dire. Ceux qu'on ne veut absolument pas étant bien entendu créés et maintenus volontairement en lisse pour ce jeu pipé, hautement manipulé depuis des décennies.
Pour que nous puissions nous réapproprier la politique de façon démocratique, il est indispensable que chaque citoyen de ce pays puisse écrire ce qu'il considère comme règles constituantes encadrant la façon dont nous allons ensemble accorder notre confiance à ceux qui agiront pour le bien commun et comment nous pourrions les contrôler et les révoquer si nécessaire.
C'est pourquoi, dans un premier temps, chaque citoyen doit participer au niveau local de sa commune, aux discutions qui permettront de rédiger un texte à partir du cahier des doléances sur lequel chacun aura écrit ses revendications.
Dans un deuxième temps, la synthèse de ce travail constituant pourrait être réalisée par le « Conseil départemental » avant d'être envoyé à la présidence de la Région, puis de la Région à une « Assemblée Constituante » tirée au sort pour rédiger en articles chaque thème émanant de la volonté venue du peuple consulté depuis la base communale.
Regardons maintenant les 42 articles synthétisant déjà les revendications des Gilets-jaunes et qui ont été envoyés aux parlementaires ainsi qu'aux médias sous le titre « Les 42 directives du peuple »
1 - Zéro SDF : URGENT.
2 - Impôt sur le revenu davantage progressif (plus de tranches).
3 - SMIC à 1300 euros net.
4 - Favoriser les petits commerces des villages et centres villes. (Cesser la construction des grosses zones commerciales autour des grandes villes qui tuent le petit commerce) plus de parkings gratuits dans les centres villes.
5 - Grand Plan d'Isolation des logements. (Faire de l'écologie en faisant faire des économies aux ménages).
6 - Que les GROS (Macdo, google, Amazon, Carrefour...) payent GROS et que les petits (artisans, TPE PME) payent petit.
7 - Même système de sécurité social pour tous (y compris artisans et auto-entrepreneurs). Fin du RSI.
8 - Le système de retraite doit demeurer solidaire et donc socialisé. (Pas de retraite à point).
9 - Fin de la hausse des taxes sur le carburant.
10 - Pas de retraite en-dessous de 1 200 euros.
11 - Tout représentant élu aura le droit au salaire médian. Ses frais de transports seront surveillés et remboursés s'ils sont justifiés. Droit au ticket restaurant et au chèque-vacances.
12 - Les salaires de tous les Français ainsi que les retraites et les allocations doivent être indexés à l'inflation.
13 - Protéger l'industrie française : interdire les délocalisations. Protéger notre industrie c'est protéger notre savoir-faire et nos emplois.
14 - Fin du travail détaché. Il est anormal qu'une personne qui travaille sur le territoire français ne bénéficie pas du même salaire et des mêmes droits. Toute personne étant autorisée à travailler sur le territoire français doit être à égalité avec un citoyen français et son employeur doit cotiser à la même hauteur qu'un employeur français.
15 - Pour la sécurité de l'emploi : limiter davantage le nombre de CDD pour les grosses entreprises. Nous voulons plus de CDI.
16 - Fin du CICE. Utilisation de cet argent pour le lancement d'une Industrie Française de la voiture à hydrogène (qui est véritablement écologique, contrairement à la voiture électrique.)
17 - Fin de la politique d'austérité. On cesse de rembourser les intérêts de la dette qui sont déclarés illégitimes et on commence à rembourser la dette sans prendre l'argent des pauvres et des moins pauvres mais en allant chercher les 80 milliards de fraude fiscale.
18 - Que les causes des migrations forcées soient traitées.
19 - Que les demandeurs d'asiles soient bien traités. Nous leur devons le logement, la sécurité, l'alimentation ainsi que l'éducation pour les mineurs. Travaillez avec l'ONU pour que des camps d'accueil soient ouverts dans de nombreux pays du monde, dans l'attente du résultat de la demande d'asile.
20 - Que les déboutés du droit d'asile soient reconduits dans leur pays d'origine.
21 - Qu'une réelle politique d'intégration soit mise en œuvre. Vivre en France implique de devenir français (cours de langue française, cours d'Histoire de la France et cours d'éducation civique avec une certification à la fin du parcours).
22 - Salaire maximum fixé à 15.000 euros [mensuel].
23 - Que des emplois soient créés pour les chômeurs.
24 - Augmentation des allocations pour handicapés.
25 - Limitation des loyers. Plus de logement à loyers modérés (notamment pour les étudiants et les travailleurs précaires).
26 - Interdiction de vendre les biens appartenant à la France (Bâtiments, barrages, aéroports...)
27 - Moyens conséquents accordés à la justice, à la police, à la gendarmerie et à l'armée. Que les heures supplémentaires des forces de l'ordre soient payées ou récupérées.
28 - L'intégralité de l'argent gagné par les péages des autoroutes devra servir à l'entretien des autoroutes et routes de France ainsi qu'à la sécurité routière.
29 - Le prix du gaz et de l'électricité ayant augmenté depuis qu'il y a eu privatisation, nous voulons que ces entreprises redeviennent publiques et que les prix baissent de manière conséquente.
30 - Fin immédiate de la fermeture des petites lignes, des bureaux de poste, des écoles et des maternités.
31 - Apportons du bien-être à nos personnes âgées. Interdiction de faire de l'argent sur les personnes âgées. L'or gris, c'est fini. L'ère du bien-être gris commence.
32 - Maximum 25 élèves par classe de la maternelle à la Terminale.
33 - Des moyens conséquents apportés à la psychiatrie.
34 - Le Référendum d'Initiative Citoyenne doit entrer dans la Constitution. Création d'un site lisible et efficace, encadré par un organisme indépendant de contrôle où les gens pourront faire une proposition de loi. Si cette proposition de loi obtient 700 000 signatures alors cette proposition de loi devra être discutée, complétée, amendée par l'Assemblée Nationale qui aura l'obligation, (un an jour pour jour après l'obtention des 700 000 signatures) de la soumettre au vote de l'intégralité des Français.
35 - Retour à un mandat de 7 ans pour le Président de la République. (L'élection des députés deux ans après l'élection du Président de la République permettrait d'envoyer un signal positif ou négatif au président de la République concernant sa politique. Cela participerait donc à faire entendre la voix du peuple.)
36 - Retraite à 60 ans et pour toutes les personnes ayant travaillées dans un métier usant le corps (maçon ou désosseur par exemple) droit à la retraite à 55 ans.
37 - Un enfant de 6 ans ne se gardant pas seul, continuation du système des aides PAJEMPLOI jusqu'à ce que l'enfant ait 10 ans.
38 - Favoriser le transport de marchandises par la voie ferrée.
39 - Pas de prélèvement à la source.
40 - Fin des indemnités présidentielles à vie.
41 - Interdiction de faire payer aux commerçants une taxe lorsque leurs clients utilisent la carte bleue.
42 - Taxe sur le fuel maritime et le kérosène.
Enfin, nous ajoutons aux 42 articles les articles suivants :
43. L'article 3 de la Constitution actuelle doit être corrigé dans les termes suivants :
« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du referendum d'initiative citoyenne en toutes matières y compris constitutionnelle et de ratification des Traités ; cet article ne peut être modifié que par voie référendaire. »
44 - Le Referendum d'Initiative Citoyenne (RIC) est une procédure décisionnelle dont l'initiative appartient exclusivement aux citoyens et qui leur permet, si les conditions prévues par l'article 34 ci-dessus sont remplies, d'imposer un referendum pour prendre une décision. Il est ainsi possible de décider par referendum de modifier la Constitution, d'interrompre le mandat d'un élu y compris celui du Président de la République, d'adopter une loi, d'abroger (supprimer) une loi déjà votée, de modifier un règlement ou un décret... Si le vote prévu à l'article 34 est favorable, la proposition sera adoptée, sans que le Président ou le Parlement ne puissent s'y opposer.
45 - Abrogation explicite de l'article 49.3 de la Constitution du 4 octobre 1958.
46 - Le seul principe fondant et légitimant le droit civile et pénal, c'est la souveraineté du peuple qui est exprimée par la Constitution.
47 - Revoir les modalités du scrutin en proposant des règles plus justes pour la représentation nationale.
Ces 47 revendications sont les premières qui sortent du lot des doléances des Français. Il en suivra encore bien d'autres si le « grand débat national » est vraiment un débat. Nous ne sommes pas du tout certains que les Français pourront aller au bout de leur attente et de leur demande, comme ils le souhaitent. Seule, au terme de ce débat, une Assemblée Constituante tirée au sort, pourrait se mettre au travail pour un véritable changement. Puis, à la suite de ce travail constituant, un referendum national de confirmation du texte final pourrait enfin inaugurer la naissance d'une pratique de démocratie directe participative.
L'agenda actuel de Macron semble aller à l'extrême opposé de cette volonté de la majorité des Français. Dans la perspective actuelle de la complicité franco-allemande et ce que cette dernière est entrain de préparer, sans l'avis du peuple, les initiatives de l'Elysée s'opposent frontalement à ce que les Français entendent mettre dans le grand débat national. « La FRANCE et l'Allemagne envisagent de fusionner les frontières, les économies et les politiques de défense dans la dernière étape vers la création d'un super-État européen. »
Dans l'idée originale, nous devions construire une Europe des Nations, pas cette Europe-là que les Français ont rejetée dès qu'on leur a demandé leur avis en 2005. Pourquoi donc vouloir à tout prix continuer la casse des Etats Nations et leur atomisation définitive? Nous allons prochainement perdre notre position comme membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, donnant à l'Allemagne un atout qui deviendra aussitôt pour elle une nouvelle occasion de dominer encore plus l'Union Européenne et de nous entraîner dans un éloignement toujours plus grand de la souveraineté constitutionnelle du peuple, puisque ces « accords » prévaudront sur ce qui fonde le droit français... Le but final de ces manœuvres, c'est un transfert massif de souveraineté à Bruxelles. On peut dire adieux à une Europe des Nations. C'est la technocratie de l'UE qui s'impose chaque jour un peu plus, afin de pouvoir décider prochainement sans jamais avoir besoin de consulter la « souveraineté constitutionnelle » d'aucun peuple.
Comment peut-on imaginer une suite possible et souhaitable aux revendications des Gilets-jaunes, puisque tout s'éloigne à grande vitesse dans le sens diamétralement opposé? Où donc se trouve la porte de sortie, la solution au problème, et par quoi devrons-nous passer pour mettre fin aux conséquences de l'idéologie ultra libérale expliquant le désastre actuel, alors que les dirigeants continuent à encenser les causes et à œuvrer pour nous les imposer davantage?
Jean-Yves Jézéquel
La source originale de cet article est Mondialisation.ca
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