21/02/2008  6 min #15145

Les conservateurs cherchent à ouvrir la porte à la recriminalisation de l’avortement

Le 5 mars prochain, le député conservateur Jake Epp soumettra à la Chambre des communes à Ottawa la Loi sur les enfants non encore nés victimes d’actes criminels. La coalition pour le droit à l’avortement au Canada attire notre attention sur cette loi en apparence juste mais qui, dans les faits, constitue une menace pour les droits procréatifs des femmes.

Voir en ligne :  pressegauche.org

Le 28 janvier dernier, nous fêtions le 20e anniversaire du jugement historique rendu par la Cour suprême du Canada dans la cause du docteur Morgentaler, accusé, avec deux autres médecins, de pratiquer des avortements de façon illégale. En effet, avant janvier 1988, l’avortement était considéré comme un acte criminel. Ce jugement est venu invalider les dispositions de l’article 251 du Code criminel, en statuant qu’il portait atteinte au droit à la sécurité de la personne, garanti par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, et est venu gratifier les luttes des féministes canadiennes et québécoises en faveur de la décriminalisation de l’avortement.

Les femmes peuvent désormais décider librement, sans avoir à en demander la permission à quiconque, de poursuivre ou non leur grossesse, sans mettre leur vie, leur santé et leur sécurité en danger. En ce sens, toute menace au droit à l’avortement constitue une menace au droit à l’égalité, à l’autonomie et à la sécurité des femmes.

Le droit à l’avortement est-il menacé ?

Depuis 1988, sur le plan juridique, chaque fois qu’on a essayé de revenir sur ce jugement, la Cour a refusé de reconnaître des droits aux fœtus. Par contre, sur le plan politique, la bataille est loin d’être gagnée. En effet, le jugement de 1988 ne reconnaît pas un droit constitutionnel à l’avortement. Cela fait en sorte que l’intérêt de l’État à vouloir protéger le fœtus pourrait un jour l’emporter sur les droits reconnus aux femmes en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Un projet de loi visant à recriminaliser l’avortement peut donc être soumis à la chambre des communes, en tout temps. Dans les faits, au cours des 20 dernières années, il y a eu de nombreuses tentatives pour faire reconnaître des droits aux fœtus. Le Bill C-484 est la toute dernière.

Le Bill C-484

La coalition pour le droit à l’avortement au Canada, organisme politique pancanadien créé en 2005, voué à assurer le droit à l’avortement libre et gratuit et qui poursuit un travail politique et pédagogique pour soutenir les droits à la santé reproductive en général, fait actuellement circuler une pétition contre la Loi sur les enfants non encore nés victimes d’actes criminels.

Selon cette coalition, ce projet de loi entre en conflit avec le Code criminel parce qu’il accorde aux fœtus un genre de statut légal de personnes, alors que présentement, les fœtus ne sont pas des personnes aux yeux de la loi. En effet, la Cour suprême a statué qu’une femme et son fœtus sont une seule personne physique. Le fait d’accorder une reconnaissance aux fœtus compromettrait nécessairement les droits établis des femmes, étant donné qu’il n’est pas possible pour deux êtres qui occupent un même corps d’avoir des droits à part entière. Cette loi serait donc un pas dangereux dans la voie d’une recriminalisation de l’avortement.

Le contexte

Ces dernières années, au Canada, il y a eu 5 meurtres de femmes enceintes par leur conjoint ou partenaire sexuel. En réaction, certaines personnes ont soutenu que les meurtriers devaient être accusés de deux meurtres, soit celui de la femme et celui du fœtus. Cette notion de vouloir créer une loi de meurtre fœtal a des aspects complexes. En plus d’être anticonstitutionnelle, elle peut mener à une transgression des droits des femmes, en risquant d’amener des préjudices envers les femmes enceintes.

Les femmes de la coalition pour le droit à l’avortement au Canada soulignent correctement que le problème des femmes enceintes violentées ou tuées est un enjeu de violence conjugale et doit être traité comme tel. En ce sens, le droit des fœtus ne doit pas acquérir préséance sur le droit des femmes. La meilleure façon de protéger les fœtus est de fournir aux femmes enceintes le soutien et les ressources dont elles ont besoin pour mener à bien leur grossesse, incluant la protection contre la violence conjugale.

De fait, les lois sur l’homicide fœtal adoptées ailleurs dans le monde, aux États-unis par exemple, n’ont rien fait pour réduire la violence conjugale contre les femmes enceintes ou leurs fœtus. Elles ont plutôt eu tendance à faire en sorte de criminaliser certaines femmes enceintes, pour des comportements qui sont perçus comme portant préjudice à leurs fœtus, comme par exemple la toxicomanie, l’alcoolisme, etc. L’autre danger est que l’avortement soit assimilé à un meurtre.

À l’origine de cette revendication d’une loi sur le meurtre fœtal, il y a certaines familles des victimes dont la douleur est évidente et qui cherchent réparation, ce qui est compréhensible. Par contre, il y a aussi les opposants à l’avortement, entre autres des députés et des organisations anti-choix.

La double morale

Ces anti-choix, qui aiment se nommer « pro-vie », et dont plusieurs se retrouve chez les conservateurs actuellement au pouvoir à Ottawa, sont les mêmes qui envoient les soldats canadiens et québécois tuer et se faire tuer en Afghanistan. Ce sont les mêmes qui préfèrent voir mourir les femmes qui doivent avoir recours à des avortements clandestins et dangereux lorsque l’avortement est criminalisé, plutôt que de leur reconnaître le droit de décider de leur projet de vie. Car le fait de criminaliser l’avortement ne fait pas en sorte que les femmes arrêtent d’avorter. Ça ne fait que rendre l’exercice dangereux pour leur santé et pour leur vie. On estime que 700 000 femmes meurent dans le monde chaque année des suites d’avortements mal pratiqués, en contexte de clandestinité, et que 500 000 en gardent des séquelles physiques.

Avoir un enfant est une décision qu’on ne prend pas à la légère et il appartient aux femmes, puisque c’est de leur corps et de leur vie dont il s’agit, de la prendre. Les femmes qui ne veulent pas, pour une raison ou pour une autre, avoir d’enfant à un certain moment de leur vie mais qui se retrouvent malgré tout enceintes, parce qu’aucun moyen de contraception n’est sûr à cent pour cent, chercherons à avorter si telle est leur décision ; criminalisation de l’avortement ou pas. Alors pourquoi ne pas continuer à permettre que les avortements, qui ne sont jamais des décisions faciles à prendre pour les femmes, se déroulent dans un environnement sécuritaire et qui les respecte ?

Face à la double morale des groupes anti-choix et des conservateurs à Ottawa, il est important de se solidariser et de dénoncer le Bill C-484. Cette loi a peu à voir avec la protection des femmes enceintes. On veut s’en servir pour criminaliser l’avortement. Une bonne façon de le faire est de s’informer, de rester vigilantEs et de signer la pétition que fait actuellement circuler la  Coalition pour le droit à l’avortement au Canada.

 pressegauche.org

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