21/02/2008  6 min #15155

Gwynne Dyer : l’énorme budget militaire US est motivé par la compétition énergétique avec la Chine (traduction)

« La seule raison justifiant l’énorme budget militaire américain, c’est l’existence d’un compétiteur, d’une future superpuissance qui pourrait menacer les USA. Le seul pays pouvant jouer ce rôle, c’est la Chine. Le Pentagone parle ouvertement de la compétition entre la Chine et les USA pour l’accès à l’énergie en Afrique, en mer Caspienne et dans le Golfe Persique. » Gwynne Dyer fait siennes les vues de Michael Klare, le spécialiste des questions militaires de The Nation.

Par Gwynne Dyer, Le Soleil, 15 février 2008

La semaine dernière, le Pentagone a demandé au Congrès d’allouer à la défense un budget record depuis la Seconde Guerre mondiale : 515 milliards $, avec une enveloppe supplémentaire de 70 milliards de dollars pour couvrir le coût des guerres en Afghanistan et en Irak sur une partie de l’année prochaine. Les États-Unis proposent de dépenser encore plus pour les forces armées - sans compter les dépenses courantes en Irak et en Afghanistan - qu’au paroxysme de la Guerre froide avec l’Union soviétique. Pourtant, presque tous les commentaires et les analyses des médias américains se sont focalisés sur le coût de ces deux guerres.

Celui-ci, il est vrai, est conséquent. Depuis 2001, le Congrès des États-Unis a déjà accordé 691 milliards $ pour financer les guerres d’Irak et d’Afghanistan, et les estimations pour cette seule année se montent déjà au total à 190 milliards $. D’autre part, on peut considérer que le budget de base de la défense va indirectement aux guerres menées par l’Amérique dans le monde musulman (par exemple, les dépenses d’équipement pour remplacer les armes détruites ou usées à cause de la guerre).

Néanmoins, une partie bien plus importante du budget actuel de la défense étasunienne - vraisemblablement trois fois plus - n’a rien à voir avec la « guerre contre la terreur ». Même si l’on accepte l’hypothèse profondément douteuse qu’envahir des pays étrangers est un moyen efficace pour combattre le terrorisme, s’agissant de pays qui ne sont généralement pas aux premières places du classement mondial en matière de technologie, cela ne requiert pas onze porte-avions ou des flottes de bombardiers furtifs.

Comment justifier ces dépenses ?

Alors à quoi est destiné tout le reste de cet argent ? Pour Michael Klare, correspondant de l’hebdomadaire The Nation pour les questions de défense, la réponse est évidente.

« L’armée des États-Unis envisage son avenir par rapport à la menace chinoise. C’est en définitive ce qui justifie un budget défense annuel de 500 milliards de dollars. Aucune autre menace n’est plausible. Si on examine le nouveau budget qui a été rendu public cette semaine, on constate qu’il appelle des dépenses colossales pour de nouveaux systèmes d’armes. Celles-ci ne peuvent être justifiées raisonnablement que par l’existence de ce qu’ils appellent un « concurrent de puissance comparable » (peer competitor en anglais), c’est-à-dire une future superpuissance qui pourrait menacer les États-Unis, or seule la Chine peut en avoir le profil. Ce n’est pas le cas de l’Iran, de l’Irak, ni d’aucun (autre) état voyou. La Chine est la seule à pouvoir jouer ce rôle. »

C’est une évidence, quand on y songe. Si les États-Unis n’avaient pas de « concurrent de puissance comparable » réel ou potentiel, comment le Pentagone pourrait-il justifier des dépenses astronomiques en armes de nouvelle génération ? Pour vaincre les « États voyous », des armes d’avant-dernière génération sont plus qu’adaptées. Il faut donc qu’il y ait un concurrent de puissance comparable, qu’il soit conscient de son rôle ou non. Et la Chine est la seule à en avoir le profil.

Alliances et menaces

Quel est donc l’enjeu de cette supposée compétition ? L’énergie bien sûr, et surtout le pétrole. Encore une fois, selon Michael Klare, « Le Pentagone et les stratèges américains parlent ouvertement de la compétition sino-américaine pour l’énergie en Afrique, dans le bassin de la mer Caspienne et dans le Golfe Persique. Ils disent, en outre, que les États-Unis doivent pouvoir contrer le danger que présenterait une alliance stratégique sino-russe. Cela fait sans aucun doute partie des inquiétudes des États-Unis. Ils parlent de l’Organisation de coopération de Shanghaï comme des prémices d’une alliance militaire qui menace les intérêts vitaux de l’Amérique. »

« Les attaques terroristes et les accrochages avec l’Iran ou d’autres États voyous font partie des plus fortes probabilités. L’armée est équipée pour combattre ce genre d’échauffourées régionales (...) Mais quand ils parlent des menaces extrêmes auxquelles ils pourraient être confrontés et pour lesquelles ils doivent consacrer l’essentiel de leur budget et acquérir les armes les plus puissantes, il s’agit de l’alliance sino-russe à laquelle ils se préparent. C’est pour [cette menace] qu’ils réclament au Congrès les plus grosses sommes. »

Pour le moment, toutefois, l’armée étasunienne s’abstient de dire au public américain que c’est à cause de la Chine qu’elle souhaite tout cet argent. Le motif inconsistant et extensible à l’infini de la « guerre contre la terreur » peut être brandi pour couvrir toutes sortes d’autres dépenses. Nul besoin de prouver que la Chine constitue une vraie menace stratégique pour l’approvisionnement de l’Amérique en pétrole ou qu’une alliance sino-russe est une éventualité politique sérieuse.

La menace terroriste

Mais la belle époque sera sans doute bientôt révolue. Alors que la « menace terroriste » retrouve progressivement une dimension plutôt modeste et plus conforme à la réalité dans l’esprit des électeurs, mais aussi des politiciens américains, de telles dépenses dans une confrontation stratégique avec la Chine qui n’est pas encore à l’ordre du jour - et qui n’aura peut-être jamais lieu - vont forcément être remises en cause.

Quant à l’idée d’une alliance sino-russe durable, elle est à peu près aussi crédible aujourd’hui qu’elle l’était aux premiers jours de la Guerre froide. La Chine étant la plus grande menace potentielle pour la Russie, ce pourrait être une bonne stratégie à court terme pour Moscou de s’en rapprocher. Mais la dernière fois que les deux pays ont fait alliance (dans les premières années de la Guerre froide), celle-ci n’a tenu que treize ans. Une seconde alliance ne durerait probablement pas si longtemps.

Pour cette année, le budget de la défense américaine devrait passer sans coupes ou presque. Car, en grande majorité, les membres du Congrès qui veulent se faire réélire en novembre ne tiennent pas à se voir accusés d’être « mous » dans la lutte contre le terrorisme. L’année prochaine, en revanche, la situation devrait certainement être différente. Pour le Pentagone, le bon vieux temps touche à sa fin.

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