Même après les révélations sur l'affaire Cahuzac, le gouvernement de l'époque n'avait pas osé gratifier Mediapart d'une tentative de perquisition. Six ans plus tard, cette ligne rouge vient d'être franchie : ce 4 février en fin de matinée, deux procureurs du parquet de Paris accompagnés de trois policiers se sont présentés devant la rédaction du quotidien en ligne pour perquisitionner ses locaux. Motif : « Atteinte à l'intimité de la vie privée de l'ancien collaborateur du chef de l'État Alexandre Benalla et/ou de son acolyte, le gendarme Vincent Crase », explique la rédaction. Cette tentative de perquisition intervient après la diffusion d'enregistrements d'une conversation entre les deux hommes, montrant qu'en se rencontrant, ils ont violé le contrôle judiciaire auquel ils étaient astreints, et apportant des éléments sur l'implication d'Alexandre Benalla, intime d'Emmanuel Macron, dans un contrat passé avec un sulfureux oligarque russe.
Plutôt que de se saisir de ces nouveaux éléments sur une question qui concerne l'intérêt général, le parquet de Paris - placé, rappelons-le, sous l'autorité de la Garde des Sceaux Nicolle Belloubet - a donc préféré tenter d'identifier par quels moyens Mediapart s'est procuré les enregistrements. Le ministère public porte ainsi atteinte à la protection des sources, pourtant garantie par la Convention européenne des droits humains : « Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière » (article 10). La rédaction de Mediapart s'est opposée à la perquisition - ce que tout mis en cause peut faire dans le cadre d'une enquête préliminaire et tant qu'aucun mandat n'a été délivré par un juge. L'équipe de Bastamag, qui travaille régulièrement avec ses consœurs et confrères de Mediapart, leur apporte bien évidemment tout sa solidarité.
Velléité de mise sous tutelle de la presse
Reste que cette intimidation est un nouveau signe inquiétant de la tentation autoritaire d'Emmanuel Macron. Se confiant à quelques éditorialistes triés sur le volet, la semaine dernière, le président de la République a fait part de sa volonté d'une forme de mise sous tutelle de la presse afin d'assurer sa « neutralité » et « la vérification de l'information ». Cet échange est rapporté par le magazine Le Point, qui n'hésite pas à critiquer un « fantasme macronien » visant à instaurer un « service d'information d'État délégué à des journalistes stipendiés ». « Prenant conscience de la sagesse infinie de notre infaillible Jupiter, les journaux décideront spontanément de lui confier la détermination de la vérité via un système financé par lui, et ce, pour le plus grand bonheur du peuple », ironise Le Point.
Le rapport à la vérité d'Emmanuel Macron consiste sans doute à évacuer sans vergogne certains problèmes. Comme il l'a fait lors du grand débat du 1er février avec les élus d'Outre-mer, à propos du chlordécone, un insecticide épandu sur les plantations de bananes aux Antilles, qui a des conséquences dévastatrices sur la santé des habitants. « Non, les enfants ! », a-t-il alors lancé aux élus de Guadeloupe, de Martinique ou de La Réunion, comme le raconte le chroniqueur Samuel Gontier, on ne questionne pas la vérité présidentielle... L'exercice - un président, seul face à plusieurs dizaines de maires et d'élus, distribuant le micro et monologuant pendant des heures sur la ruralité, l'Outre-mer ou les banlieues - illustre une conception ultra-centralisé et personnalisée du pouvoir. Nous sommes beaucoup plus proches de l'image du PDG venant, d'en haut, remotiver ses collaborateurs que de la pratique d'états généraux ou de « Grenelle » où les différents acteurs débattent d'une question sur un pied d'égalité.
Management et maintien de l'ordre agressifs
Sur d'autres sujets, la tentation autoritaire a dépassé le stade du fantasme pour se matérialiser très concrètement. Dans la rue déjà, face au mouvement des gilets jaunes, avec une stratégie de maintien de l'ordre au bilan toujours plus lourd et de plus en plus contestée : 175 personnes blessées à la tête, 17 éborgnées et 4 mains arrachées depuis le 17 novembre. Sans oublier plus de 5300 gardes à vue. Ce mouvement a été l'occasion de passer en vitesse une nouvelle loi « anti-casseur » qui permettra aux représentants de l'État d'interdire arbitrairement, sans recours à un juge, à des personnes de manifester.
Dans les entreprises, les effets des ordonnances travail, décrétées dans la foulée de l'élection présidentielle, se font déjà sentir. Les contre-pouvoirs aux directions d'entreprises et aux logiques financières qu'incarnaient les représentants du personnels, en particulier au sein des comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) autrefois capables de diligenter des expertises indépendantes sur les conditions de travail et la santé des salariés, se fragilisent ou disparaissent progressivement, laissant le management agressif régner en maître. Agressif certes, mais infaillible, comme le Président.
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Photo : CC French Embassy in the U.S.