11/02/2019 les-crises.fr  16 min #152026

La liste des motifs de destitution de Trump s'écrit toute seule, rappelant de plus en plus le cas Richard Nixon. Par Mehdi Hasan

Source :  The Intercept, Mehdi Hasan, 18-01-2019

Mehdi Hasan

18 janvier 2019

Le jeudi, à 22 h 11 (heure de l'est), le site d'information  BuzzFeed News a lancé l'une des plus grosses bombes de la présidence Trump : « Le président Donald Trump a ordonné à son avocat de longue date Michael Cohen de mentir au Congrès au sujet des négociations pour la construction d'une tour Trump à Moscou, selon deux agents fédéraux de la force publique impliqués dans une enquête sur cette affaire. »

Soyons clairs : c'est de l'obstruction à la justice, tout simplement. Si ce rapport de BuzzFeed News est exact, le président a commis un crime - l'entrave à la justice est interdite par un certain nombre de lois pénales fédérales, y compris l'entrave aux procédures judiciaires (Article18 du Code des États-Unis, section 1503) [ law.cornell.edu, NdT] et la manipulation de témoins (18, 1512) - et devrait donc faire l'objet d'une inculpation. (Vendredi soir, le Bureau du conseiller juridique spécial chargé d'enquêter sur les liens de la campagne Trump avec la Russie  a contesté certaines des détails et qualificatifs du rapport BuzzFeed, mais Ben Smith, l'éditeur de BuzzFeed,  reste sur sa position.)

Les avocats de Trump ont toujours  affirmé que le président « ne peut pas faire obstruction à la justice parce qu'il est le principal responsable de l'application des lois » en vertu de la Constitution. Encore une fois, soyons clairs : il s'agit d'une absurdité anhistorique ; c'est de la malhonnêteté trumpienne caractérisée, et une manœuvre de diversion des plus éhontées..

Le président « ne peut pas faire obstruction à la justice » ?

Dites ça à Richard Nixon. Le  tout premier article de mise en accusation adopté par la Commission judiciaire de la Chambre des représentants en juillet 1974 stipulait que Nixon avait « empêché, bloqué et entravé l'administration de la justice » et, après  l'effraction au Watergate, « engagé personnellement et avec l'aide de ses proches collaborateurs et agents, une démarche ou un projet visant à retarder, entraver et bloquer l'enquête sur la dite effraction, pour cacher, dissimuler et protéger les responsables et cacher l'existence et l'étendue d'autres activités illicites et clandestines ».

Dites ça à Bill Clinton. En décembre 1998, la Chambre des représentants a adopté  deux articles de destitution à son encontre, dont l'un déclarait que Clinton avait « empêché, bloqué et entravé l'administration de la justice, et avait à cette fin engagé personnellement et avec l'aide de ses subordonnés et agents, dans le cadre d'une démarche ou d'une manœuvre visant à retarder, empêcher, dissimuler et cacher l'existence de preuves et de témoignages en relation avec une action fédérale pour les droits civiques contre lui dans une procédure judiciaire dûment instituée ».

Dans le cas de Nixon, l'article de destitution donnait neuf exemples différents d'obstruction ; dans celui de Clinton, il y en avait sept.

A quoi ressemblerait une telle liste dans le cas de Trump ? En premier lieu, il faudrait qu'il y ait l'allégation dévastatrice contenue dans  ce dernier article de BuzzFeed News, basé sur deux sources d'application de la loi :

Maintenant, les deux sources ont raconté à BuzzFeed News que Cohen avait également dit au conseiller spécial qu'après l'élection, le président lui avait personnellement demandé de mentir - en trichant sur la date de fin des négociations, qui s'étaient terminées des mois plus tard - afin d'obscurcir l'implication de Trump. Le bureau du conseiller juridique spécial a pris connaissance de l'ordre donné par Trump à Cohen de mentir au Congrès en interrogeant de multiples témoins de l'organisation Trump et par l'examen de courriels internes de l'entreprise, de textos et d'un dossier de documents cachés. Cohen a ensuite accusé réception de ces instructions au cours de ses entrevues avec les enquêteurs.... C'est le premier exemple connu où Trump a demandé explicitement à un subordonné de mentir directement sur ses propres relations avec la Russie.

Comme l'a  confirmé cette semaine William Barr, le candidat même de M. Trump au poste de procureur général, devant le Comité judiciaire du Sénat, un président qui persuaderait une personne de commettre un parjure constituerait une obstruction à la justice.

Ensuite, il y a le limogeage de l'ancien directeur du FBI James Comey en mai 2017. Le président avait peut-être l'autorité légale de le licencier, mais c'est devenu une obstruction à la justice à partir du moment où il a manifesté une  « intention frauduleuse ». Comment ça ? Trump  a dit à Lester Holt de NBC qu'il avait pensé à « cette histoire de Russie » quand il a décidé de se débarrasser du patron du FBI. Le lendemain du jour où il a viré Comey, Trump  a dit au ministre russe des Affaires étrangères - quel choix ! - qu'« une grande pression en raison de la Russie » avait été « levée ».

Mais il y a aussi beaucoup d'autres exemples où le président a fait obstruction à la justice avec « intention de corrompre ». Comme le résume très bien une étude récente de la Brookings Institution :

Pour ne prendre que quelques exemples, il a été rapporté que le président Trump : a tenté d'interdire au procureur général Jeff Sessions de se récuser dans l'enquête sur la Russie malgré l'obligation légale claire qu'a le procureur général de la mener; a demandé à Sessions d'annuler sa décision de retrait ; a exigé et obtenu la démission de Sessions pour son incapacité à maîtriser l'enquête russe (avant de finalement abandonner) ; a ordonné deux fois le renvoi du conseiller spécial Robert Mueller, a dicté un faux témoignage à un témoin clé, son fils Donald Trump Jr, pour la réunion du 9 juin 2016 entre des représentants de la campagne et des représentants russes à la Trump Tower ; a attaqué publiquement le conseiller juridique spécial Mueller et les principaux témoins dans l'affaire d'obstruction ; et a contesté à plusieurs reprises l'attaque russe sous-jacente et le rôle de Vladimir Poutine dans celle-ci malgré la possession de preuves du contraire.

Obstruction, obstruction, obstruction !

Et maintenant, que fait-on ? Les partisans de Trump  soutiennent qu'il ne peut pas être mis en accusation ; ils se réfèrent aux directives du ministère de la justice selon lesquelles la mise en accusation d'un président en exercice « minerait de façon anticonstitutionnelle la capacité du pouvoir exécutif à remplir ses fonctions, attribuées par la Constitution ».

Pourtant, comme le soulignent les professeurs Eric Posner et Daniel Hemel, de l'Université de Chicago, dans  un article publié récemment dans le California Law Review, « il n'est tout simplement pas inscrit dans la loi qu'un président ne peut être mis en accusation lorsqu'il est en fonction » et en outre « même si un président ne peut l'être, il peut être accusé et condamné après avoir quitté ses fonctions pour un crime commis pendant son mandat, il peut l'être pour ce crime », et ce, « même si un président ne peut pas être poursuivi pour un crime commis durant son mandat, il peut être destitué en raison de ce crime ».

Le parti démocrate souhaite-t-il lancer des auditions de destitution avant la conclusion de  l'enquête de Robert Mueller sur la collusion présumée entre la campagne Trump et le gouvernement russe ? Jeudi soir, le représentant Ted Lieu  a tweeté : « Sur la base du rapport Buzzfeed et de nombreux autres articles montrant que  @realDonaldTrump est coupable d'obstruction à la justice et éventuellement d'autres délits, il est temps que le comité judiciaire de la Chambre commence à tenir des audiences pour établir si  @POTUS [Président des États-Unis, NdT] a commis des délits/infractions graves ». L'ancien procureur général Eric Holder  a tweeté : « Si c'est vrai - et les preuves doivent être examinées - le Congrès doit entamer la procédure de destitution ». Nous verrons dans les jours et les semaines à venir combien d'autres démocrates de haut niveau sont prêts à prendre le train de la destitution.

Dans le podcast de l'émission  Deconstructed de cette semaine, j'ai demandé au nouveau membre du Congrès Rashida Tlaib - qui, quelques heures seulement après avoir prêté serment le 3 janvier,  a fait la une des journaux en faisant le serment de « destituer ce fils de pute » - comment elle avait réagi aux critiques de gauche et de droite qui laissent entendre que la destitution par une Chambre dirigée par les démocrates serait une perte de temps et de ressources colossale, étant donné qu'un Sénat dirigé par les républicains n'accepterait jamais  d'inculper Trump et de le retirer de son poste.

« Ce n'est pas une perte de temps que de demander des comptes au président des États-Unis »,  m'a-t-elle dit. « Nous devons comprendre nos devoirs en tant que membres du Congrès. Et je crois que même la destitution de Nixon n'a pu se faire... que grâce à l'union des républicains et des démocrates, qui firent firent passer le pays en premier. »

Il y a très peu de chances que le Parti républicain actuel fasse passer l'intérêt national avant ses propres intérêts partisans. Ainsi, chaque membre républicain du Congrès [GOP : parti républicain, NdT] devrait se voir confronté, encore et encore, aux  questions fondamentales posées par le père fondateur George Mason à la Convention constitutionnelle de 1787, en réponse à ceux qui s'opposaient à l'ajout d'une clause de destitution dans la nouvelle constitution.

« Y a-t-il un seul homme qui puisse être au-dessus des lois ? », demande-t-il. « Et surtout, sera-t-il au-dessus des lois, lui qui peut commettre la plus grande des injustices ? »

Mise à jour : 18 janvier 2019, 21h07

Cette histoire a été mise à jour pour inclure une référence à la déclaration du conseiller juridique spécial qui vendredi soir contestait l'information de BuzzFeed ainsi qu'une déclaration des responsables de BuzzFeed affirmant qu'ils maintiennent cette information.

Source :  The Intercept, Mehdi Hasan, 18-01-2019

Traduit par les lecteurs du site  www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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