16/02/2019 tlaxcala-int.org  23 min #152231

Colombie : à Medellín, plus de 2 000 femmes se disent prêtes à gouverner

 Juan David López Morales

Le mouvement politique « Estamos listas* » (« Nous sommes prêtes «) cherche à entrer dans l'histoire lors des prochaines élections.

Le 21 février prochain, les inscriptions seront closes pour les femmes qui font partie du mouvement et qui veulent se porter candidates. Ensuite, il y aura l'élection de celles qui seront sur la liste. Photo Yojan Valencia

Un jour, une femme, étudiante en maîtrise à l'Université Eafit de Medellin, a assisté à une réunion d'information sur le mouvement politique des femmes " Nous sommes prêtes ". Le lendemain matin, elle commença à parler de ce mouvement à sa femme de ménage, laquelle répondit : « Oui, je suis prête aussi ». Elle en faisait déjà partie.

Cette anecdote est racontée par Jenny Giraldo, l'une des 2039 femmes qui sont déjà enregistrées comme militantes de « Nous sommes prêtes » et qui se disent prêtes à participer aux décisions dans le chef-lieu d'Antioquia.

Elles, qui s'identifient avec un foulard sur lequel apparaît une chouette sage et multicolore qui survole Medellín avec une attitude vigilante, espèrent marquer une étape importante dans la politique colombienne lors des élections locales et régionales du 27 octobre prochain.

Cette initiative, qui a débuté en 2017, est entièrement composée de femmes. Elles recueilleront des signatures dans les mois à venir pour présenter une liste au Conseil de Medellín en tant que mouvement important de citoyennes.

EL TIEMPO s'est entretenu avec trois de ses membres - elles affirment que leurs fonctions de porte-parole sont collectives - pour comprendre qui elles sont, ce qu'elles recherchent et comment elles le font. Il s'agit de Marta Restrepo López, femme noire, féministe et travailleuse sociale ; Piedad Toro Duarte, diplômée en sciences sociales, directrice de l'ONG Primavera, qui travaille avec les femmes exerçant la prostitution, et ancienne membre du parti ASI, où elle a travaillé comme assistante et sous-secrétaire du Conseil ; et Jenny Giraldo García, membre de l'ONG Región, communicatrice et journaliste, qui a une maîtrise en études humanistes.

Piedad Toro, Marta Restrepo et Jenny García, membres d'Estamos listas.
Photos  @piedadtd / Juan David Duque / Yojan Valencia

Vous êtes prêtes pour quoi ?

Piedad Toro : Nous sommes prêtes à entrer au Conseil de Medellín, à exerce un contrôle politique, à administrer cette ville.

C'est la façon de répondre à nous-mêmes et aux autres qui ont dit que les femmes manquent d'expérience. C'est une affirmation, mais c'est aussi pour nommer notre but : que nous ne sommes pas seulement prêtes à partir de nos capacités personnelles, mais pour réaliser un exercice commun. Nous sommes prêtes, ensemble, à arriver à des scénarios comme ça, parce que toute notre vie nous avons essayé d'y arriver à partir des partis et là nous ne sommes pas prêtes. Ou plutôt, nous oui, mais pas les partis.

Voulez-vous simplement entrer au conseil municipal ou visez-vous aussi la mairie de Medellin ?

Piedad Toro : En principe, notre proposition se concentre sur le Conseil. Nous ne voulions pas nous disperser avec beaucoup d'options parce que nous voulions le faire étape par étape. Nous nous sommes concentrées sur le Conseil de Medellín avec l'idée de nos propres candidates.

Il est plus ou moins clair que pour d'autres instances, nous n'aurons pas de candidates propres, même si nous serions ravies s'il y avait des candidates au poste de maire, de gouverneur et à l'Assemblée départementale. Nous discutons actuellement en interne pour savoir comment et qui appuyer et si on va le faire. Pour l'instant, notre priorité est le Conseil.

« Nous sommes prêtes » : est-ce un mouvement féministe ou un mouvement de femmes ?

Jenny Giraldo : C'est avant tout un mouvement de femmes. Mais nous devons sans aucun doute au féminisme le fait que nous, les femmes, puissions voter, que nous soyons citoyennes, il est donc indéniable que " Nous sommes prêtes " a une base que le féminisme nous a permis en tant qu'école, non seulement récemment, mais depuis quelques siècles.

Mais ce n'est pas seulement un mouvement féministe et pour les féministes, c'est un mouvement de femmes. Le féminisme est la toile de fond de beaucoup de celles d'entre nous, et nous parlons bien sûr d'équité, d'égalité des droits, de revendications particulières des femmes. Mais ce qui est en jeu, c'est une ville démocratique, juste, plurielle... Nous sommes dans l'une des villes les plus inégales d'Amérique latine et les inégalités ne touchent pas seulement les femmes. Nous recherchons une ville égalitaire, où les garçons, les filles, les jeunes, les hommes et les femmes, tous et toutes puissions avoir accès à ce que cette ville peut nous donner et nous fournir.

Actuellement, il y a cinq conseillères municipales sur 21 sièges. Mais au-delà du chiffre, il y a ce que ces femmes représentent : qui sont les conseillères municipales qui ont une perspective de genre sur les questions qui se débattent ? Nous voulons être un groupe de femmes au Conseil de Medellín, avec une perspective de genre.

Quelle est la plateforme idéologique et programmatique de « Nous sommes prêtes »

Marta Restrepo : Nous avons sept points fondamentaux. Ils vont de la nécessité d'intégrer une éthique citoyenne qui comprend l'urgence de ne pas défendre, justifier ou naturaliser le meurtre, qui est comme l'exécution de la peine de mort dans la ville et qui est instauré comme une forme de contrôle social ; ça va de ça à la réflexion sur les problèmes sociaux, en général, culturels, environnementaux, de durabilité, et à des propositions dans le domaine de l'éducation, comme l'éducation non sexiste, qui permette des environnements scolaires favorisant des relations plus saines et plus équitables entre les garçons, les filles et entre jeunes ; une plate-forme qui permette au Conseil de placer au centre du débat public le travail de reproduction et de soins effectué en majorité par des femmes et qui fait partie de la richesse et du produit intérieur brut de la ville et pourtant ce sont les femmes chefs de famille qui continuent d'être parmi les plus pauvres de la ville, avec moins d'éducation, moins d'accès à la propriété ; la question de la sécurité et de la coexistence en général, dans une logique qui ne soit pas celles des armes, mais humaniste.

Aujourd'hui, nous sommes 2 039 femmes et l'ordre du jour doit être aussi large que nous le sommes et les citoyen·nes dmocratiques que nous aspirons à représenter. Nous ne pouvons pas abandonner notre expérience de femme. Nous cherchons à entrer au Conseil pour y agir en tant que groupe. Nous ne parlerons pas pour nous-mêmes, mais pour ce programme citoyen, et nous ne nous détacherons pas du fait que nous sommes des femmes et que les problèmes de la ville nous touchent de manière spécifique et que c'est un problème qui se pose en termes d'égalité et de démocratie qui doit être résolu en tant que société.

Récemment, vous avez célébré le fait que vous êtes déjà 2 039, qu'est-ce que cela signifie ?

Jenny Giraldo : Cela a provoqué en nous une émotion impressionnante et cela signifie que la stratégie que nous avons conçue fonctionne à merveille car l'objectif était d'arriver à être 1 860 avant le 5 février. S'inscrire au mouvement signifie avoir certaines obligations : s'inscrire sur un formulaire, verser une cotisation d'adhésion unique de 20 000 pesos (=5,60€) pour les questions logistiques, comme la comme la délivrance de cartes de membres. Il faut aussi s'engager à recueillir des signatures et ensuite à gérer les votes.

L'appel a circulé par le bouche à oreille, par conversations, il n'y a pas eu d'appel public massif, c'était donc des adhésions très conscientes. Ce n'était pas massif, il ne s'agissait pas de distribuer des t-shirts ou des foulards, parce que ce que nous voulons faire, c'est faire quelque chose pour transformer la politique de la ville.

Pourquoi aviez-vous calculé le chiffre de 1 860 femmes ?

Jenny Giraldo : En raison des calculs électoraux qui ont été faits au début de " Nous sommes prêtes ". Le pari est d'avoir un nombre important de conseillères. Nous sommes maintenant 2 039, mais en avril, nous rouvrirons les inscriptions. Nous pensons à tout de manière super-collective, il ne s'agit pas de se mettre dans un coin au soleil et de demander à tout le monde de signer. Chacune doit recueillir entre 20 et 30 signatures dans son environnement immédiat. C'est à ça que sert le collectif.

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Comment est née « Nous sommes prêtes » ?

Piedad Toro : Deux amies, Marta et Gloria, m'ont fait la proposition de penser à une liste de femmes au Conseil. Je leur ai dit que je trouvais ça très bien, mais qu'il fallait trouver d'autres amies. Puis j'ai suggéré deux autres amies. Nous leur avons dit et elles aussi étaient un peu anxieuses.

Il y a eu plusieurs réunions et nous avons commencé à dresser une liste d'environ 40 femmes qui seraient intéressées et nous les avons invitées à une première réunion. Presque toutes sont venues, on leur a raconté, et à partir de ce que nous avons appelé le premier cercle, que certaines ont quitté et que d'autres ont rejoint, la suite a été un grand succès. Dans mon cas, cela a dépassé toutes mes attentes. Quoiqu'il arrive le 27 octobre, pour moi on aura gagné. Pour moi, il a été très agréable de voir la différence entre les méthodes traditionnelles des partis politiques et la manière dont on construit ça.

Cette proposition ne vient pas de nous cinq. Ce que nous avons fait, c'est concrétiser un désir qui, depuis de nombreuses années, se manifestait dans le mouvement social des femmes : pendant 20 ans, j'ai entendu dire que nous devions faire une "partie" des femmes, et il y avait beaucoup de peur. Un autre antécédent est qu'il y a quatre ans, pour les élections au Conseil, certaines femmes se sont rencontrées et nous avons fait un exercice inverse : nous avons commencé à nous demander lesquelles des femmes qui étaient déjà candidates nous allions soutenir. La différence, c'est que c'était la candidate d'un parti qui se présentait avec ou sans nous. Ces femmes étaient là à ce premier moment, avant de donner rendez-vous aux 40 autres.

Il est inévitable de relier votre foulard au foulard vert des femmes qui réclamaient la légalisation de l'avortement en Argentine. Existe-t-il une telle relation ?

Marta Restrepo : Le foulard est apparu comme un symbole collectif. Il a une chouette qui représente l'appropriation de qualités qui sont généralement attribuées au masculin, comme la sagesse et la vigilance. La chouette survole la ville et se pose sur un guayacán (ou araguaney, arbre tropical feuillu, NdT), qui sont des éléments naturels vivants qui sont pour nous fondamentaux, puisque nous avons de très gros problèmes environnementaux et que les humains ont besoin d'éléments de la nature pour survivre. Nous visons une relation urbaine durable et équitable, un équilibre équitable et redistributif entre tous les êtres vivants. Nous considérons la ville comme une construction humaine menacée par l'absence de politiques qui établissent un équilibre dans cette relation de dépendance entre les éléments naturels et ceux qui y vivent. La résolution des inégalités est une question vitale pour les villes et la démocratie.

De plus, nous avons choisi la forme du foulaed pour pouvoir le porter, car c'est aussi un symbole de féminité. Et il est impossible qu'il n'y ait pas d'assimilations au foulard vert de l'Argentine mais il y avait beaucoup de foulards avant ça, le foulard blanc des Mères de la Plaza de Mayo à Buenos Aires, qui cherchent leurs enfants et petits-enfants disparus, celui des lavandières, de nos grand-mères, celui des paysannes du café qui l'utilisent pour se couvrir du soleil, pour sécher leur sueur, et puis en termes plus modernes comme accessoire de mode. Le foulard a à voir avec la vie, du corps et du travail des femmes.

Quelles difficultés et opportunités avez-vous rencontrées en passant de l'activisme social au militantisme politique ?

Marta Restrepo : Il ne s'agit pas seulement d'un problème des femmes qui font partie d' organisations, mais en général de tou·tes les dirigeant·es de mouvements sociaux. La politique nous a été enlevée, de sorte que la politique est perçue comme quelque chose de sale qui trahit les idéaux sociaux et la relation profonde entre l'occupation du pouvoir politique et les transformations sociales n'est pas visible.

Depuis que la politique dans le pays a été capturée par des intérêts privés et des élites, nous avons évité d'occuper la politique. Les majorités sociales, les citoyen·nes, ont été mises à part. Il s'agit donc de rendre la politique aux citoyen·nes, c'est la citoyenneté qui est appelée à la repêcher à partir de la vie quotidienne, à l'exalter, à sortir de la peur d'avoir le pouvoir et de gagner parce qu'on nous a toujours dit qu'il ne nous est pas possible de faire de la politique et de gagner des élections et encore moins si nous sommes indépendant·es et sans privilèges économiques. C'est pourquoi nous disons 'Nous sommes prêtes'.

Il y a une grande solitude pour celles et ceux qui décident de faire ce pas vers la politique électorale, parce que les camarades diront qu'on est en train de les trahir, mais heureusement pour nous il y a une nouvelle génération de jeunes femmes qui voient les choses différemment, qui croient qu'il faut être dans tous les espaces où l'on peut faire des transformations. Cette politisation et cette relation moins hostile avec le pouvoir est un gain et c'est ce processus qui donne vie à « Nous sommes prêtes ».

Aujourd'hui, la grande occasion qui nous est offerte est de devenir un repère politique, une réalité politique sans précédent dans l'histoire du pays. Nous disons que nous sommes en train de configurer une expression comme les suffragettes du 21ème siècle, ensemble, démocratiques, transparentes, autonomes, créant de nouveaux référents politiques. Ce processus est une réussite : rester ensemble, négocier les différences, parce que nous ne sommes pas homogènes, nous sommes très différentes. Chaque jour est une réussite : être une voix collective avec beaucoup de voix qui s'expriment.

Comment allez-vous gérer l'obligation de la loi instaurant des quotas d'hommes et de femmes sur les listes électorales à ces instances ?

Piedad Toro : La loi sur les quotas était en fait une revendication du mouvement social des femmes et nous la défendons depuis de nombreuses années parce qu'elle a été l'outil qui nous a le mieux permis d'entrer dans ces espaces. Toutefois, nous estimons qu'elle a été insuffisante parce qu'elle a été mal interprétée. On se fixe sur le moment de constitution des listes, mais en réalité ça va au-delà, seulement les partis ne s'y conforment pas.

On dit que la loi oblige à avoir 30% de femmes sur les listes, mais la loi ne parle pas de femmes, elle parle d'un des genres. Elle dit aussi qu'il faut encourager la participation aux organes directeurs des partis : ce n'est pas le cas ;qu' il faut allouer des ressources pour promouvoir la participation des femmes : ce n'est pas le cas... Lorsque nous nous plaignons, l'argument est : « Il n'y a pas de femmes à mettre ». Et des études montrent que ce 30 pour cent est composée de femmes "de remplissage". L'idéal serait la parité et l'alternance politiques, ce que nous croyons être la bonne chose à faire.

Dans votre cas, comment allez-vous dresser la liste en termes de genre ?

Piedad Toro : Nous prévoyons d'inclure sept hommes. Nous discutons du profil de ces hommes, car ce projet est entièrement féminin et vise à renforcer la participation des femmes.

Nous sommes en train de discuter de qui pourraient être ces hommes, camarades, alliés, qui ont exprimé leur intérêt à appuyer cette proposition, en comprenant que la priorité de la constitution est celle des femmes. C'est-à-dire que les hommes choisis seront aux derniers rangs de la liste. Ce sont donc des hommes qui se prêtent et qui vont nous soutenir dans cette initiative, renonçant d'une certaine manière aux privilèges dont ils jouissent en tant qu'hommes pour que nous, les femmes, puissions accéder au Conseil.

Ces candidats seront-ils choisis avec la même méthode que les femmes ?

Piedad Toro : Non, ils seront choisis collectivement, mais cette décision sera prise dans le premier cercle en demandant des recommandations et des suggestions aux autres cercles, car nous ne voulons pas leur donner le premier rôle et les mettre dans les mêmes conditions que les femmes.

Leur rôle serait donc de vous permettre de vous conformer aux exigences de la loi ?

Piedad Toro : Et de nous soutenir. Nous ne voulons pas que ce soit une liste de remplissage. Nous voulons que ce soient des hommes qui sont vraiment conscients et d'accord avec nous sur le fait que nous n'avons pas eu cet espace et qu'il est important que nous y entrions. Ce sont des coéquipiers qui sont prêts à soutenir cette proposition dans un rôle secondaire, pas dans celui qu'ils ont toujours eu comme protagonistes.

Vous fonctionnez en réseau ou comment appelez-vous le système « chacune mobilise cinq femmes »?

Jenny Giraldo : Je vais te raconter comment je l'ai vécu, parce que pour moi ça avait l'air super impossible, mais quand elles ils me l'ont expliqué, j'ai vu que c'était faisable. Quelle était l'idée ? Il y a un premier cercle qui dynamise les autres cercles. Sur cette base, il y a 60 femmes. Donc, si chacune de ces 60 femmes invitait 5 femmes et qu'elles étaient si passionnées par cette idée que chacune pourrait en avoir 5 autres, on serait 1860. Chaque cercle est composé de 31 personnes : la première qui en invite cinq, plus les cinq que chacune des autres invite. Donc je suis arrivée comme l'une de ces 30 personnes d'un cercle, celui de Marta. Ensuite, j'ai voulu participer à la commission communication et quand j'ai commencé à m'impliquer davantage, j'ai décidé de créer mon propre cercle. Ensuite, je suis entrée au premier cercle.

Le premier cercle a proposé que chaque cercle porte un nom de femme importante et constituant une référence pour nous, aussi pour dépersonnaliser le mouvement. On a choisi des noms comme Débora Arango, María Cano, Las Polas, Haydee Eastman, Beatriz Restrepo.... Et les noms sont choisis par consensus ou par vote.

Est-ce que ce premier cercle est une sorte de conseil d'administration ?

Jenny Giraldo : Je ne sais pas si ça correspond vraiment à conseil d'administration, mais c'est le dynamiseur. En outre, il existe sept commissions : financière, juridique, communications, systématisation, affaires politiques, internationales et méthodologique. Celles qui sont dans le premier cercle sont tenues de participer à l'une de ces commissions. Mais les autres peuvent aussi les intégrer, si elles le souhaitent.

Vous a-t-on dit que ce modèle s'apparente à un modèle multiniveau ou à une pyramide ?

Jenny Giraldo : Oui, nous nous développons comme un multiniveau, mais il n'y a pas de hiérarchie. Certaines d'entre nous ont des rôles dirigeants, mais il n'y a pas de relations hiérarchiques : personne ne m'a dit comment faire les choses, et personne ne m'a limité pour le faire.

Quand on nous dit que c'est comme un système multiniveau (système de marketing relationnel par paliers inventé par Tupperware aux USA, NdT), il faut reconnaître que pour beaucoup de femmes, c'est la seule possibilité d'avoir une certaine autonomie économique, mais on sait que c'est un modèle pervers de précarisation du travail. Pour nous, c'est donc plutôt une stratégie de croissance circulaire, horizontale, comme des ondes qui se propagent dans l'eau.

Nous les appelons les cercles de confiance parce que nous sommes sûres que toutes les femmes qui y sont arrivées ont des références et qu'elles sont d'accord avec nos principes de base comme mouvement, qui sont dans notre manifeste. Mais en plus, cela a amené beaucoup d'entre elles à parler de politique à leur maman tous les jours, ou que nous en parlons tout le temps avec nos amies. Et on s'est fait des nouvelles amies.

En fin de compte, nous ne leur donnons rien, nous ne leur offrons ni un transport ni un goûter. Nous ne leur demandons pas de l'argent pour le rendre avec des gains monétaires, comme les pyramides, mais avec la conscience que le gain sera dans autre chose.

Vous a-t-on reproché d'avoir pour objectif d'être fondamentalement un mouvement de femmes, quel rôle jouent les hommes ?

Piedad Toro : Oui, nous avons reçu des critiques, mais pas de la part des femmes, qui sont d'accord et trouvent cette proposition intéressante. Bien qu'il s'agisse d'une liste de femmes, nous espérons qu'aussi bien des hommes que des femmes voteront pour elle. Ce qui est beau, au-delà de notre force politique, ce que c'est aussi une question sociale. Les gens se rendent compte qu'il n'y a presque pas de femmes en politique.

Nous avons surtout été critiquées par les partis, ils pensent que nous prenons des risques, qu'il est très difficile d'obtenir des votes.

Nous avons reçu des invitations à participer à d'autres partis et à y devenir une tendance, ce qui nous permettrait d'économiser de l'argent, du temps et de recueillir des signatures. Même certaines femmes d'autres partis disent que cela leur semble à moitié fou, que nous devrions nous battre à l'intérieur des partis.

Nous ne demandons pas la disparition des partis et il nous semble qu'il y a des femmes très courageuses qui ouvrent la voie dans ces partis. On parvient à ouvrir des espaces, mais c'est un exercice trop difficile et épuisant, car c'est à nous, les femmes, de démontrer que nous sommes bonnes et que nous avons la capacité, pas aux hommes. Et lorsque nous nous impliquons, la remise en question de notre gestion est beaucoup plus forte : pourquoi nous posent-ils ces questions et avec les hommes, nous tenons pour acquis qu'ils font bien les choses ? Si ce qu'ils nous demandent était demandé aux hommes, il n'y aurait pas de politiciens. Nous croyons donc que les femmes doivent ouvrir leurs propres espaces, où nous nous légitimons et nous reconnaissons.

Toutes les femmes sont-elles les bienvenues ou cherchez-vous des profils particuliers de femmes ?

Jenny Giraldo : Dans le premier cercle, nous sommes des femmes très diverses, disons donc qu'il n'y a pas de stratégie visant à nous uniformiser. De toute évidence, pour grandir en tant que mouvement politique, nous avons besoin que les femmes soient des êtres politiques. Que les femmes soient des sujets politiques, cela passe par le simple fait de se demander pourquoi certaines choses nous arrivent en tant que femmes. Cela passe aussi par le fait de nous poser des questions sur la ville, les causes de ce qui s'y passe, la cause de ces taux d'homicides, l'inégalité.

Avec ce mouvement, des femmes apparemment dépolitisées, qui disent "je ne suis pas intéressée ", en viennent à penser à la nécessité de transformer la politique. Les 69 % de femmes qui sont chez nous ont entre 18 et 39 ans, ce sont celles qui explorent, ou qui ont été désenchantées par la politique alternative, ou qui n'ont jamais rien trouvé à quoi se relier. Il y a aussi un bon nombre de femmes professionnelles, mais nous n'avons jamais eu l'intention de nous adresser à elles en particulier. Il y a aussi des femmes du troisième âge, des femmes afro, des femmes trans, des travailleuses du sexe, des travailleuses domestiques... Nous sommes diverses.

Que signifie aujourd'hui, en Colombie, « féminiser la politique »?

Marta Restrepo : Deux questions. Tout d'abord, la politique étant masculinisée, ce sont les formes qui prévalent, c'est un débat où les idées ne s'expriment pas, mais plutôt des préjugés et des dénonciations, ce qui n'est pas le cadre pour un vrai débat, car le débat est clos d'emblée et la raison et les idées politiques disparaissent. Il y a peu d'espaces pour délibérer, pour converser, sans perdre le besoin d'exprimer des antagonismes. Dans la culture, les femmes sont les transmetteuses de la parole, de la langue, donc pour féminiser la politique, il faut placer les idées, la délibération et l'organisation des femmes au centre de l'exercice politique.

Bien sûr, la politique est un jeu d'intérêts, et nous avons les nôtres, mais nous privilégions l'espace de la démocratie, de la compréhension que nous sommes dans un État démocratique et que c'est ainsi que les conflits doivent être résolus.

D'autre part, cela signifie aussi que nous les femmes, avec notre expérience de vie, occupons lespace public, non pas parce que nous allons en faire notre maison ou notre cuisine, mais pour mettre au centre l'éthique qui s'oppose à la destruction et à la mort et pour inaugurer en politique d'autres manières de connaître les problèmes et besoins humains. C'est une façon de radicaliser la démocratie, non pas pour concentrer davantage le pouvoir, mais pour le redistribuer pour le bien commun.

Qu'espérez-vous obtenir aux élections du 27 octobre ?

Piedad Toro : L'attente maximale est de pouvoir faire entrer six femmes au Conseil. La stratégie est la suivante : si chacune des 1860 que nous pensions être à l'origine réussit à obtenir 100 voix, cela ferait 186 000 voix, et selon nos comptes, cela donne plus ou moins six sièges.

C'est le maximum possible dont nous avons rêvé avec cette méthode, en comptant sur celles qui sont ici et sur d'autres sympathisantes, hommes et femmes qui sont d'accord avec cette proposition. Mais je serais très heureuse si même une seule était élue, parce que je sais que c'est un processus très difficile, obtenir des votes est complexe, mais aussi, moi qui ai eu l'expérience de campagnes, je pense qu'il y a ici une très belle force, qui est la force du nouveau. Et il me semble qu'en politique il y a si peu de nouveautés, tout est pareil, qu'en réalité nous avons beaucoup d'espoir. L'autre chose, c'est que nous rions avec celles qui veulent être candidates parce que la seule chose différente, c'est qu'elles vont avoir le micro, mais elles vont seulement faire ce que le mouvement décide. C'est pour démontrer qu'il est possible de faire des exercices politiques démocratiques, que ce n'est pas seulement le fait d'être là, mais qu'il y a un mouvement pour soutenir et discuter ce que les conseillères que nous avons devraient voter et dire.

Est-ce une forme de démocratie plus directe ?

Piedad Toro : Oui, plus directe, où les candidates ne sont que la voix. Mais aussi complexe que soit cet exercice, on ne peut qu'y gagner. Et si on n'y arrive pas ? Peu importe, que nous soyons deux mille femmes et que nous soyons capables de multiplier le nombre de votes, pour moi, c'est un gain énorme. Depuis que nous avons commencé ce projet, il est tout bénéfice.

NdT

Estamos listas : un jeu de mots intraduisible, « listas » signifiant aussi bien « listes » que « prêtes ».

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Courtesy of  Tlaxcala
Source:  eltiempo.com
Publication date of original article: 12/02/2019

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