18/02/2019 histoireetsociete.wordpress.com  8 min #152353

L'Afghanistan était un champ de bataille pour la domination mondiale

Valery Korovine

Directeur du Centre d'expertise géopolitique

15 février 2019

 vz.ru

Marianne nous a traduit ce texte écrit par un homme de droite, si je comprends bien son contenu 1) il marque la nouveauté de la géopolitique par rapport à l'internationalisme qui caractérisait l'uRSS. C'est-à-dire que ce sont les intérêts nationaux qui priment et l'on aide dans le cadre de ceux-ci. Mais le même interpréte défend l'URSS à sa manière et dénonce ceux qui n'ont pas vu la nature de son combat. Encore un article qui remet en cause les idées préconçues qui sont les notres et nous aide à mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons (merci Marianne (note de danielle Bleitrach)

Dès l'époque de la «perestroïka», il était de bon ton de vilipender la campagne militaire afghane, pour nous obliger à nous repentir. En réalité, c'est ce repentir incessant à propos de tout et de rien qui a permis d'ébranler, puis de détruire le bloc soviétique. Et pourtant, 30 ans après le retrait complet et définitif du contingent soviétique d'Afghanistan, il apparaît clairement qu'il n'y avaitpas particulièrement de quoi se repentir. Pour l'essentiel, nous avons tout fait à l'époque comme il fallait, il suffisait d'éliminer certaines erreurs et d'ajuster la ligne idéologie générale.

À partir de Khrouchtchev en URSS, il était de coutume de stigmatiser la géopolitique en la qualifiant de «pseudo-science bourgeoise» et de la diaboliser de toutes les manières, la comparant presque au fascisme. Sous Brejnev, la géopolitique était tout simplement tue, comme si elle n'existait pas. Dans le même temps, nos « partenaires occidentaux » ont toujours suivi la logique géopolitique et continuent de le faire à ce jour. Les motifs de l'entrée des troupes soviétiques en Afghanistan étaient aussi essentiellement géopolitiques.

La question était de savoir quel camp - atlantiste ou eurasien - établirait son contrôle géopolitique sur l'Afghanistan. Peu de temps auparavant, une révolution dite démocratique avait eu lieu dans ce pays et l'Afghanistan était devenu une république.

Ces changements pouvaient être interprétés de deux manières. D'une part, les Américains considéraient la « démocratie » comme leur bannière idéologique. D'autre part, l'URSS ne craignait pas les changements démocratiques s'ils arrivaient à la place de «l'archaïsme» et des traditions, c'est-à-dire ce contre quoiluttait le modernisme soviétique. Chez nous cela s'appelait «démocraties populaires» et cela impliquait un développement sur la voie de transformations socialistes.

Se désignant comme la République d'Afghanistan, le nouvel État surgissant à la place d'un pays archaïque, traditionnel, était en quelque sorte ouvert aux transformations. Mais lesquelles? Pour cela, deux superpuissances devaient se battre: le continent eurasien et la puissance atlantique - en langage géopolitique - ou encore le socialisme et le capitalisme - en langage idéologique.

On a donc une confrontation géopolitique. Les dirigeants soviétiques craignaient à juste titre une intervention directe des États-Unis en Afghanistan. Il convient de rappeler ici que les interventions militaires américaines à cette époque étaient déjà assez courantes. À la fin des années 1970, ils avaient déjà envahi de nombreux pays.

Les interventions les plus importantes comprennent le débarquement des marines américains en Haïti, l'invasion militaire du Japon, de la Corée, du Vietnam et de Cuba avec le soutien des marines américaines et de l'aviation, l'organisation de l'invasion du Guatemala avec la participation de la CIA et de l'US Air Force. Et nous ne parlons ici que de la participation directe des forces armées américaines. Et combien y a-t-il eu d'invasions militaires organisées par les États-Unis par procuration ou sous couverture -il est impossible de le savoir. Par conséquent, envahir l'Afghanistan désorganisé par la révolution était pour les Américains simple comme bonjour.

En outre, les États-Unis perdaient le contrôle de la région - l'Iran se rebellait et quittait la zone d'influence américaine. Il fallait s'accrocher à une tête de pont. La création d'un État sous contrôleavec des bases militaires américaines aux frontières mêmes de l'Union soviétique aurait constitué un coup de maître. Et l'Afghanistan, qui occupe une position centrale dans la région, était parfaitement adapté à cet objectif. À partir de son territoire, il était possible de poursuivre l'expansion dans les républiques d'Asie centrale soviétique (sur le territoire desquelles se déroulaient régulièrement des attaques depuis l'Afghanistan avec le soutien américain), tout en bénéficiant d'une position forte au Pakistan avec accès à la mer d'Oman et à l'océan Indien. Que demander de mieux.

Par conséquent, si l'URSS n'avait pas engagé ses troupes en Afghanistan en 1979, ce sont les Américains qui l'auraient fait. Ce qui s'est produit effectivement un peu plus tard (à l'échelle historique).

Mais ce n'est pas tout. En fait, divisant le monde en deux parties, les blocs soviétique et occidental avaient un nombre égal d'actions géopolitiques, environ 50/ 50. Chacun d'entre eux devait recevoir au moins 1% supplémentaire pour avoir une «participation majoritaire». Obtenir cette prééminence, mêmeinfime, aurait signifié passer le point critique de la domination. Après cela, le bloc qui aurait obtenu la majorité aurait acquis non seulement un avantage géopolitique, mais également un avantage idéologique.

La lutte pour l'Afghanistan revêtait donc une importance fondamentale.

Si l'URSS avait réussi, l'Afghanistan serait devenu socialiste, l'émergence de l'idéologie soviétique dans le monde serait devenue irréversible et le projet idéologique occidental aurait entamé son déclin.

Les Américains, qui préparaient leur invasion militaire, mais ont été pris de court, le savaient. C'est maintenant qu'ils essayent de se convaincre et de convaincre le monde entier que c'était justement leur idée, et que c'étaient eux, soi-disant, qui avaient entraîné l'Union soviétique dans une guerre sans espoir...

À cette époque, l'Iraq, la Libye et la Syrie s'engageaient déjà dans la voie de la constructiondu socialisme, même s'il s'agissait encore d'un modèle islamiste. Lesidées socialistes s'emparaient de l'Amérique latine et renforçaientleur influence en Afrique, dans la région Asie-Pacifique. Tout ce qui se passait était surveillé de près par les pays du Mouvement des pays non alignés, hésitant, choisissant le camp, surveillant qui prenait le dessus.

C'est pourquoi l'URSS et les États-Unis ont beaucoup investi en Afghanistan. Le programme d'appui économique à la République démocratique d'Afghanistan de la part de l'URSS est impressionnant : nombreuses centrales hydroélectriques, barrages, lignes électriques, parcs de stockage, gazoducs, entreprises, aéroports, autoroutes, ponts, jardins d'enfants et hôpitaux, établissements d'enseignement et bien plus encore. Tout cela sur un espace nu de sable et de pierres. En fait, nous avons construit en Afghanistan tout ce qui existe encore actuellement, prouvant notre efficacité non pas en paroles mais en actes. Au même moment, les États-Unis investissaient dans l'infrastructure militaire du Pakistan voisin où des groupes paramilitaires étaient formés, dans des livraisons d'armes et dans une campagne d'information antisoviétique.

En analysant ce qui s'est passé du point de vue d'aujourd'hui, nous pouvons dire avec certitude à quel endroit nous avons fait des erreurs de calcul, pour quelles raisons que nous avons perdu. L'Afghanistan islamique traditionnel, en grande partie archaïque et tribal, n'était bien sûr pas prêt à accepter le modèle soviétique, athée, matérialiste, marxiste tel que nous l'avons amené ici. Et tandis que Kadhafi, Hussein et Asad Sr., ainsi que Nasser et d'autres dirigeants de l'Est, adaptaient progressivement le socialisme aux spécificités de leurs pays, nous avons rapidement essayé de construire une république soviétique où même les travaux préparatoires n'avaient pas été effectués.

Nous étions pressés et avons donc semblé ridicules avec notre marxisme et notre «assistance internationale», à un endroit où non seulement il n'existait aucune classe de travailleurs avec une conscience politique prolétarienne, mais où l'appartenance au genre et à la tribu revêtait et revêtencore aujourd'hui une importance capitale.

Les Américains quant à eux ont fermé les yeux sur tout sauf l'essentiel: assurer leurs intérêts géopolitiques dans la région et ne pas prêter attention aux points de vue et aux caractéristiques de la société afghane. Et tandis que nous qualifiions la géopolitique de «pseudoscience», ne nous reposant que de manière intuitive sur ses lois, les Américains ont fait leur «Grand jeu», dont nous subissons les conséquences jusqu'à aujourd'hui.

Après avoir introduit nos troupes suite à plus de 20 demandes et appels répétés du côté des autorités afghanes légitimes, nous avons absolument agi comme il se devait du point de vue de la géopolitique (tout en le niant). De même que nous agissons de manière tout à fait juste aujourd'hui en Syrie, en suivant ouvertement une logique géopolitique. A l'époque, nous avons perdu, empêtrés dans une idéologie moderne qui nous est étrangère, dont le marxisme fait partie. Aujourd'hui, il est important pour nous de clarifier le sens de nos actions, d'opposer à leur idée du globalisme notre alternative eurasienne. Sans imposer nos idées à qui que ce soit, garder la tradition et la foi de ces peuples qui se tournent vers nous pour obtenir de l'aide. Ce sera notre travail principal sur les erreurs de la campagne afghane.

Traduit par Marianne Dunlop pour Histoire et Société

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