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Mozambique : le dévastateur cyclone Idai, la finance occidentale et la dette

Image satellite du Cyclone Idai au-dessus du Mozambique (CC - Wikimedia)

Tout est détruit, c'est une catastrophe » : au Mozambique, le cyclone Idai dévaste la ville de Beira

Les 500 000 habitants de la ville portuaire sont restés coupés du monde jusqu'au rétablissement de la liaison aérienne dimanche matin. Le pouvoir envisage de déclarer l'état d'urgence.

« C'est une catastrophe. Tout est détruit. Le Mozambique n'a encore jamais fait face à un tel désastre. » Toisant la piste d'atterrissage de l'aéroport, le ministre mozambicain de l'environnement, Celso Correia, s'offre une cigarette tout en faisant un état des lieux apocalyptique de Beira après le passage du cyclone tropical Idai, dans la nuit de jeudi 14 à vendredi 15 mars. Pas d'électricité, pas d'accès routier, pas de réseau téléphonique : la grande ville du centre du Mozambique et ses 500 000 habitants étaient complètement coupés du monde jusqu'au rétablissement de la liaison aérienne, dimanche 17 mars au matin.

Le gouvernement pourrait très prochainement déclarer l'état d'urgence. « Pour le moment, nous avons officiellement 84 morts [au Mozambique seulement]. Mais quand on a survolé la zone tôt lundi matin (...) pour comprendre ce qui se passe, tout laisse à penser que le bilan pourrait dépasser les 1 000 morts », a déclaré le président Filipe Nuysi dans une intervention télévisée à Maputo.

Ancien fleuron de la colonie portugaise, la ville portuaire de Beira a été touchée de plein fouet : l'œil du cyclone, accompagné de vents à près de 190 km/h, n'est passé qu'à quelques kilomètres du centre-ville. Celui-ci est désormais méconnaissable. Tout juste dégagées par l'armée, les principales rues sont jonchées de part et d'autre de gigantesques amas de branches d'arbres, de tôles et d'objets en tout genre.

« C'est pire que des scènes de guerre. On s'attendait à des dégâts, quelques vitres cassées, mais là... », explique Djamila Saïd, propriétaire d'une franchise de l'opérateur mobile Vodacom dans le vieux centre. Elle est arrivée le matin même de la capitale, Maputo, pour voir ce qu'il restait de son magasin. La façade a été arrachée. « Grâce à Dieu, notre employé a eu le temps de sauver une partie de la marchandise, mais le reste, on s'est tout fait voler », explique-t-elle, abasourdie.

Alors que les immeubles de style art nouveau datant de l'époque coloniale ont plutôt tenu le choc, certaines rues sont rendues complètement impraticables par l'effondrement des poteaux électriques. D'après le ministre, 80 % du réseau électrique est détruit. A voir les fils qui pendent et s'entremêlent au sol, on peut estimer qu'il faudra de longs mois pour remettre le système en état.

« C'était un vrai enfer »

Bordé par une façade maritime de 2 000 km, le Mozambique est un pays habitué aux épisodes climatiques extrêmes. Avec le réchauffement climatique, ceux-ci se font plus violents et plus fréquents. Début mars, ce qui n'était qu'une dépression cyclonique avait déjà provoqué des pluies torrentielles dans l'est du pays et au Malawi. Les inondations qui s'en étaient suivies avaient causé la mort de 122 personnes dans les deux pays, un bilan toujours provisoire.

La forte tempête a ensuite rejoint le canal de Mozambique où sa puissance s'est décuplée jusqu'à devenir un « cyclone tropical intense » d'après les spécialistes de Météo France. Avant de repiquer vers la côte et de continuer son passage destructeur au Zimbabwe, où il a fait au moins 89 morts selon le porte-parole du gouvernement, Nick Mangwana. Le pays n'a jamais connu de « destructions d'infrastructures d'une telle ampleur », a estimé pour sa part le ministre des transports Joel Biggie Matiza lundi. Au Mozambique, l'Institut national de gestion des catastrophes évoque pour l'instant 600 000 sinistrés, un chiffre qui pourrait être nettement revu à la hausse.

Comme souvent, les plus pauvres sont les plus touchés par la catastrophe. A la fin de la terrible guerre civile mozambicaine (1976-1992) qui a fait un million de morts et 4 millions de déplacés, des milliers de personnes se sont entassées dans des habitats précaires situés en zone inondable. Avec l'épisode cyclonique Idai, certains quartiers ont été complètement submergés. Le gouvernement a déjà installé une vingtaine de campements d'urgence.

Juste en face du conseil municipal, des dizaines de familles se sont réfugiées dans une boutique vide. « On n'a plus de maison, plus de vêtements, plus de nourriture. On est super mal », lâche, dépitée, Seraphina Bernardo, 35 ans. Ses cinq enfants ont été traumatisés par le passage du cyclone en pleine nuit. « C'était un vrai enfer. Je dormais avec ma fille quand le vent s'est mis à souffler. Puis le toit s'est envolé, et je ne trouvais plus les clés pour sortir. Heureusement, un voisin a enfoncé la porte et on a pu s'enfuir, mais on n'a rien eu le temps de prendre », explique Layla George, 32 ans. Ils sont désormais livrés à eux-mêmes. « Notre situation est très grave, on a vraiment besoin d'aide, s'il vous plaît », implore, à ses côtés, René Jamusse.

« Certains barrages ont cédé, d'autres sont prêts à déborder »

Dimanche, les avions se sont succédé toute la journée. Les équipes humanitaires ont installé un centre de contrôle provisoire dans une des aérogares de l'aéroport, l'une des seules dont le toit a résisté à la violence du vent. « Notre gros défi pour le moment, c'est l'accès », résume Jamie Lesueur, le chef des opérations pour la Fédération internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR). « Un seul de nos camions a pu arriver, les autres sont bloqués à 80 km d'ici, il y a un tronçon de 30 km de route qui a été complètement décimé », explique ce Canadien arrivé la veille en hélicoptère.

Sur place, on craint désormais une nouvelle vague d'inondations potentiellement dévastatrices. « Certains barrages ont cédé, d'autres sont prêts à déborder », s'affole Emma Beaty, la coordinatrice de l'aide humanitaire pour les ONG, avant de s'engouffrer dans un hélicoptère. « 90 % de Beira et de ses alentours ont été endommagés ou détruits », évalue le FICR dans un communiqué publié lundi.

Adrien Barbier (Beira (Mozambique), envoyé spécial)

Le Monde. Publié le 18 mars 2019 à 10h48 - Mis à jour le 18 mars 2019 à 20h05 :
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Au Mozambique, « l'hypocrisie » des Occidentaux face à la dette Dette multilatérale : Dette qui est due à la Banque mondiale, au FMI, aux banques de développement régionales comme la Banque Africaine de Développement, et à d'autres institutions multilatérales comme le Fonds Européen de Développement.
Dette privée : Emprunts contractés par des emprunteurs privés quel que soit le prêteur.
Dette publique : Ensemble des emprunts contractés par des emprunteurs publics.
du pays est dénoncée

Le rôle des banques internationales qui ont négocié les emprunts - et récolté des millions en frais bancaires au passage - est très critiqué par l'opposition et la population. Certains réclament l'annulation pure et simple des emprunts en question.

Assis à son bureau de Maputo, le diplomate ne décolère pas lorsqu'on le lance sur le sujet des dettes cachées. « C'est d'une hypocrisie spatiale. Depuis le début, on attaque et on blâme le Mozambique mais on ne touche pas à l'Allemagne, la France, la Suisse, l'Angleterre, qui sont tous impliqués !, s'énerve t-il, sans mâcher ses mots. Les banquiers qui ont monté cette dette savaient très bien que le pays était sous perfusion du FMI, et par déontologie, tu ne fais pas ce type de crédit lorsque c'est contre les fameuses règles de bonne gouvernance. »

Alors que le Mozambique détient désormais le bonnet d'âne de l'endettement public en Afrique, le rôle des banques internationales qui ont négocié les emprunts - et ont récolté des millions en frais bancaires au passage - est de plus en plus critiqué. En novembre, le régulateur bancaire britannique a toutefois abandonné ses poursuites contre la branche londonienne de Credit Suisse, qui, avec la banque russe VTB, a organisé l'émission des trois emprunts cachés au cœur du scandale : 850 millions de dollars (745 millions d'euros), 622 millions et 535 millions de dollars, contractés entre 2012 et 2014.

Au Mozambique, la décision a provoqué une levée de boucliers dans l'opposition et la société civile. Celles-ci réclament l'annulation pure et simple des emprunts en question, considérés comme illégaux et inconstitutionnels puisque le gouvernement aurait dû consulter le Parlement avant de signer.

Le gouvernement espère parvenir à un accord de restructuration

« Nous questionnons désormais la sincérité du Royaume-Uni et des autres bailleurs de fonds qui disent s'engager pour la bonne gouvernance au Mozambique. La communauté internationale tient seulement le peuple mozambicain comme responsable et exonère ceux qui sont véritablement derrière », a réagi une coalition d'ONG mozambicaines de lutte contre la corruption.

Mais pour le gouvernement de Maputo, annuler les dettes reviendrait à lâcher les hauts responsables impliqués, ce que le Frelimo, le parti au pouvoir, n'est pas prêt à faire. Le gouvernement espère plutôt conclure en janvier 2019 un accord de restructuration avec ses créanciers pour la dette obligataire de 850 millions de dollars, pour laquelle le pays est en défaut depuis janvier 2017. « L'accord signifie surtout que le Mozambique va devoir repayer entre 1,7 et 2,2 milliards de dollars sur cet emprunt et que certains spéculateurs vont engranger jusqu'à 270 % de profits sur une dette odieuse », a commenté l'ONG londonienne Jubilee Debt Campaign.

Pour sa part, Credit Suisse assure que « toutes les procédures de vérification (Due Diligence) ont été suivies au moment où les emprunts ont été contractés. Nous continuons a croire qu'une solution appropriée et durable est atteignable rapidement ».

Adrien Barbier (Maputo, envoyé spécial)

Le Monde. Publié le 22 décembre 2018 à 18h00
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