27/03/2019 reseauinternational.net  7 min #153984

Sept pays suspendent tout usage du Boeing 737

Le crash des Boeing 737 Max : le crash de la dérégulation

Discrètement, l’on apprend dans la presse américaine que Boeing avait obtenu de réduire le contrôle des organes étatiques, contrôle transféré à ses propres ingénieurs avec les résultats que l’on connaît pour la modique somme de 15 millions de dollars. Avec cette furie de la dérégulation qui s’empare des Etats, et atteint des sommets inquiétants en Russie, il serait bon de revenir sur cette histoire. Car en fin de compte, l’intérêt du business n’a rien à voir avec l’intérêt public et le business ne peut en aucun cas être destiné à le « protéger ». Le crash des deux Boeing 737 MAX, c’est le crash de la dérégulation. Le crash du marché tout-puissant.

Deux Boeing 737 MAX se sont crashés en quelques mois, il se trouve que l’excès de technologie a empêché les pilotes de pouvoir reprendre le contrôle en cas de danger extrême, en l’occurrence il s’agit des dysfonctionnements du  système anti-décrochage que la compagnie doit corriger, sur demande de l’Agence fédérale de l’aviation (FAA). D’autant plus que plusieurs pilotes ont signalé avoir également rencontré ce problème.

Mais la question qui se pose est comment ce Boeing 737 MAX, avec un problème manifestement systémique de sécurité, a-t-il pu être certifié par la FAA ? En fait, c’est très simple, Boeing l’a de facto certifié lui-même, puisque la compagnie a elle-même apprécié la sécurité de ses appareils.

En 2018, comme le révèle de  Washington Post, Boeing a dépensé 15 millions $ pour réduire le contrôle de l’Etat, à travers l’Agence fédérale d’aviation, sur ses avions. 15 millions $ pour les lobbys du Congrès, du FAA et d’autres agence. Pour les convaincre. Ou les acheter. Et une nouvelle vague de dérégulation a  pu être adoptée:

The U.S. manufacturing giant has spent decades building deep ties across Washington. President Ronald Reagan’s chief of staff, Kenneth M. Duberstein, sits on Boeing’s board of directors. So does Caroline B. Kennedy, President John F. Kennedy’s daughter and the former ambassador to Japan.Boeing reported spending $15 million to lobby Congress, the FAA and other federal agencies last year, and it hired outside lobbyists to push the oversight delegation issue, according to disclosures filed with the Senate. (…) The law gives private companies more power over the rule books that describe what role the FAA has in approving designs. It also sets up an “advisory committee,” with industry representation, that establishes metrics the FAA must “apply and track.”

Le géant américain a passé des décennies à tisser des liens profonds dans tout Washington. Kenneth M. Duberstein, chef de cabinet du président Ronald Reagan, siège au conseil d’administration de Boeing. Boeing a déclaré avoir dépensé 15 millions de dollars l’an dernier pour faire pression sur le Congrès, la FAA et d’autres organismes fédéraux, et a engagé des lobbyistes de l’extérieur pour faire avancer la question de la délégation de la surveillance, selon les informations déposées au Sénat. (…) La loi donne plus de pouvoir aux entreprises privées sur les règlements qui décrivent le rôle de la FAA dans l’approbation des conceptions. Elle met également sur pied un  » comité consultatif « , composé de représentants de l’industrie, qui établit les paramètres que la FAA doit  » appliquer et suivre « .

Il est vrai que ces personnalités de haut vol, comme l’ancien directeur de l’Administration sous Reagan, la fille de l’ancien président Kennedy, etc. dans l’organe de direction de la compagnie aident à régler certaines questions – et à faire passer certains amendements.

Il a fallu quelques centaines de morts pour que les 15 millions $ n’empêchent plus de se poser la question de la nécessité du contrôle. D’un contrôle objectif et non intéressé. Un contrôle étatique. Du coup, une  enquête est ouverte pour déterminer comment la FAA a pu délivrer l’autorisation à Boeing, des commissions sont mises en place.

Même si ces commissions savent parfaitement comment fonctionne le lobbyisme, il faut bien trouver un responsable à l’échec des règles du jeu. A ce slogan selon lequel tout irait toujours beaucoup mieux si le business pouvait tout régler tout seul, car il sait mieux que ces fonctionnaires ce qui est bon. Ce qui est bon pour lui. Il défend logiquement son propre intérêt, qui n’a rien à voir avec l’intérêt général.

Comme nous le voyons avec Boeing aux Etats-Unis, comme nous l’avons vu avec la tragédie de Kémérovo en Russie ( voir notre texte ici), où un centre commercial a brûlé, faisant des dizaines de morts et de blessés, car les mécanismes de contrôles étatiques sur la sécurité des lieux ont été réduit à peau de chagrin, pour « libérer » le business tout-puissant. Dans une logique de dérégulation totale, plus proche du Moyen-Age que d’un libéralisme éclairé. Après quoi, une vague de contrôle s’est abattue sur le pays, il a fallu faire beaucoup de bruit, de grandes déclarations. Puis le temps a passé et à nouveau la ritournelle de la « libération du business » reprend toute sa place. Même l’interdiction de vol de ces Boeing n’a été prise en Russie qu’en dernier recours, quand les Etats-Unis avaient réagi.

Il serait urgent de revenir à une relation plus posée et rationnelle entre le business et l’Etat, avant que les consommateurs ne paient un tribut trop élevé à un dieu de pacotille.

Karine Bechet-Golovko

source: russiepolitics.blogspot.com

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