27/04/2019 reseauinternational.net  8min #155458

 Explosions dans des églises et hôtels au Sri Lanka : une centaine de morts et de blessés

Sri Lanka : Du sang sur la Nouvelle Route de la Soie

par Emanuel Pietrobon

Le 21 avril 2019, c'était Pâques pour les chrétiens du monde entier. Au Sri Lanka, six kamikazes explosent simultanément en six points différents choisis parce qu'ils sont surpeuplés de chrétiens et de touristes occidentaux.

Les cibles étaient trois églises catholiques à Negombo, Batticaloa et Colombo (la capitale), et trois hôtels de luxe à Colombo, le Shangri-La, le Cinnamon Grand et Kingsbury.

Plus tard dans la journée, cinq personnes, dont trois policiers, ont trouvé la mort dans la banlieue de Colombo lors d'une confrontation avec des suspects qui se sont fait exploser.

L'énorme chasse à l'homme menée par les autorités cingalaises a conduit à la découverte de bombes prêtes à exploser disséminées dans la capitale, à l'aéroport et à la gare routière centrale et à l'arrestation de 27 personnes liées à un groupe islamiste local, dont on ne savait pas grand-chose, du moins jusqu'à hier : le National Thowheeth Jama'ath (NTJ).

Les origines du groupe sont incertaines et, jusqu'à aujourd'hui, il a été le protagoniste d'attaques contre la communauté bouddhiste, de vandalisme contre des monuments, statues et lieux de culte, sans jamais attaquer la communauté chrétienne, qui est, comme les Musulmans, une minorité dans ce pays bouddhiste.

Ces attentats sont parmi les plus meurtriers de l'histoire du terrorisme islamiste : 321 morts et 521 blessés, selon la dernière mise à jour.

Le 13 mars 2017, un groupe terroriste connu sous le nom d'Armée de Libération du Baloutchistan (ALB), a tué 10 travailleurs sur un chantier ouvert à Gwadar (Pakistan). Gwadar est une petite ville qui vit depuis 2015 un profond changement qui la transformera en un point de passage stratégique de la Nouvelle Route de la Soie.

L'ALB n'était pas une nouveauté dans le pays, mais le mobile était définitivement nouveau : des attaques contre les infidèles et les autorités aux attaques contre les chantiers de l'Initiative Ceinture et Route, le nouvel ennemi est la Chine.

Depuis que le Pakistan s'est engagé dans le corridor économique Chine-Pakistan de 46 milliards de dollars en avril 2015, après des années de retour progressif à la normale, le pays est rapidement retombé dans le chaos, connaissant une insurrection terroriste similaire à celle qui a suivi le 11 septembre 2001.

Tout comme le Pakistan, l'Afghanistan connaît une nouvelle ère d'instabilité renouvelée depuis son entrée dans la sphère d'influence de Pékin.

Qu'est-ce qui lie le Sri Lanka au Pakistan et à l'Afghanistan ? Des pays aux contextes nationaux, politiques et religieux très différents, mais avec une chose importante en commun : le soutien au rêve de Xi Jinping d'une Eurasie chinoise et de la Nouvelle Route de la Soie.

Selon les plans de Pékin, Colombo est appelée à devenir l'une des plaques tournantes les plus importantes de la route maritime de la soie qui traverse l'océan Indien. Pékin prévoit d'investir jusqu'à 10 milliards de dollars dans l'État insulaire, notamment dans l'élargissement du port de Colombo et dans le développement d'une zone industrielle à proximité de la capitale. Le port de Hambantota est déjà loué aux Chinois depuis 99 ans.

L'élargissement du port est en cours, mais la zone industrielle est devenue un sujet de controverse après une série de violents affrontements anti-chinois qui se sont produits récemment et qui ont également provoqué un gel temporaire dans les relations bilatérales entre les deux pays. À Colombo devrait être construit un nouveau quartier de gratte-ciel, de centres d'affaires et de divertissement, largement promu dans tout le pays avec des panneaux publicitaires, et conçu pour accueillir environ 85 mille habitants. Le projet de Pékin est de construire une « ville à l'intérieur de la ville » capable d'attirer les investissements internationaux grâce à un régime fiscal à l'image de Singapour.

Le Sri Lanka a été approché par la Chine depuis la fin de la guerre civile sanglante provoquée par les Tigres tamouls, elle investit et prête de l'argent au pays depuis 2007.

Les autorités cingalaises ne pensaient pas qu'un petit groupe islamiste peu connu puisse mener à bien l'attaque terroriste la plus sanglante du pays et elles ont donc suivi la « voie internationale » depuis le tout début. Que signifie la « voie internationale » ? Que les terroristes étaient armés et financés par « quelqu'un à l'extérieur du pays » pour semer le chaos et, par conséquent, la fuite des humains et des capitaux en faisant que le pays ne soit plus un havre de paix pour la Nouvelle Route de la Soie.

Le fait que l'État islamiste ait revendiqué la responsabilité des attentats corrobore la thèse de la piste internationale et, de toute façon, l'union d'un petit groupe terroriste local avec un plus grand pour mener une attaque spectaculaire est une scène déjà vue.

Comme le Sri Lanka, le Pakistan et l'Afghanistan, le Nicaragua est lui aussi entré dans un « étrange » tourbillon d'instabilité qui a éclaté au hasard à la suite des annonces de l'Initiative Ceinture et Route.

Au Nicaragua, la Chine voulait construire un nouveau canal, capable de rivaliser avec celui du Panama, mais le projet a rapidement été abandonné après une série de manifestations anti-chinoises qui ont marqué le point de départ d'une guerre quasi civile actuelle. La situation est si dramatique que la Russie a été contrainte d'envoyer des experts en guerre asymétrique et hybride pour aider l'allié Ortega à ne pas être victime d'une nouvelle révolution colorée.

Par la suite, la Chine s'est échappée du Nicaragua, car trop d'instabilité est synonyme d'incertitude économique et dans le cas de Pékin, le montant est toujours égal à plusieurs milliards de dollars en raison de l'objectif de mener des changements structurels profonds.

La Chine elle-même a connu une nouvelle vague de violence sans précédent dans les régions à majorité islamique, en particulier dans le Xinjiang.

Le Pakistan et l'Inde se blâment mutuellement pour ces attentats, et même s'il est vrai que le Pakistan a une longue tradition de terrorisme soutenu par l'État, comme le montre l'affaire Ben Laden, il est vrai en même temps que le pays a fait de nombreux efforts pour clore ce chapitre noir depuis l'intensification des relations avec la Chine.

Les attentats étaient délibérément spectaculaires et à fort potentiel meurtrier, ils visaient à faire fuir les touristes, les chrétiens, mais surtout à faire peur aux investisseurs. En outre, le pays doit faire face au problème d'un appareil de sécurité désorganisé : les autorités ont été averties des plans de la NTJ depuis le début du mois d'avril par des sources étrangères et internes, mais malgré cet avertissement, aucune mesure de sécurité n'a été prise pour Pâques.

S'il est clair que l'objectif principal des terroristes, sans doute motivés par la haine religieuse mais au service d'agendas étrangers, est la Chine, l'idée d'un deuxième objectif ne doit pas être sous-estimée : le Vatican.

Le pape François est un réformateur conservateur qui, sans changer le Magistère de l'Église catholique d'une virgule, est la cible d'une campagne de diffamation sans fin lancée par le mouvement populiste de droite de Washington.

Il est particulièrement connu pour ses tentatives de normalisation des relations avec la Chine ; après l'accord sur la nomination des évêques et l'annonce d'une future visite en Corée du Nord, la diplomatie du Vatican a travaillé très dur pour convaincre le gouvernement italien de rejoindre la Nouvelle Route de la Soie. Pourquoi ? Le Vatican a compris que l'Occident s'achemine vers une société post-chrétienne et que l'avenir des relations internationales, et de l'Église catholique elle-même, est ailleurs : en Amérique latine, en Afrique, en Asie.

Le Vatican a tout parié sur la Chine qui, d'ici 2050, deviendra le plus grand pays chrétien du monde en raison de la dynamique démographique et des conversions religieuses, prévoyant que la « bombe chrétienne » prête à exploser dans les années à venir changera inévitablement l'approche orwellienne du Parti Communiste Chinois envers la religion, en particulier la religion chrétienne.

Terrorisme islamiste ? Oui, les poseurs de bombe ont sans aucun doute agi au nom de la foi, les tuant parce qu'ils étaient chrétiens, parce qu'ils étaient occidentaux, mais en même temps, nous devons encadrer l'ensemble du contexte, en gardant à l'esprit que le terrorisme a toujours été soutenu par des commanditaires politiques, selon des programmes étrangers spécifiques.

La construction de la Nouvelle Route de la Soie avance à un rythme record, mais entre le rêve de Xi Jinping et la réalité pèse l'inconnu de l'empire US et ses alliés, principalement les pays musulmans. Nous ne savons pas si la Nouvelle Route de la Soie sera réellement construite, mais nous savons une chose : il faut s'attendre à beaucoup de sang dessus.

Source :  Sri Lanka: Blood on the New Silk Road

traduit par Pascal, revu par Martha pour  Réseau International

 reseauinternational.net