par Manlio Dinucci
Les conclusions du dernier rapport confidentiel de la Rand Corporation ont été rendues publiques dans un « Brief ». Celui-ci expose comment mener la nouvelle Guerre froide contre la Russie. Certaines recommandations sont déjà mises en œuvre, mais cet exposé systémique permet de comprendre leur véritable objectif.
Réseau Voltaire | Rome (Italie) | 21 mai 2019
Contraindre l'adversaire à s'étendre excessivement pour le déséquilibrer et l'abattre : ce n'est pas une prise de judo mais le plan contre la Russie élaboré par la Rand Corporation, le plus influent think tank étasunien qui, avec un staff de milliers d'experts, se présente comme la plus fiable source mondiale de renseignement et d'analyse politique pour les gouvernants des États-Unis et leurs alliés.
La Rand Corp se vante d'avoir contribué à élaborer la stratégie à long terme qui permit aux États-Unis de sortir vainqueurs de la Guerre froide, en contraignant l'Union Soviétique à consommer ses propres ressources économiques dans la confrontation stratégique. C'est de ce modèle que s'inspire le nouveau plan, Overextending and Unbalancing Russia (Surextension et déséquilibre de la Russie), publié par la Rand [1]. Selon ses analystes, la Russie reste un puissant adversaire des États-Unis dans certains domaines fondamentaux. Pour cela les USA doivent poursuivre, avec leurs alliés, une stratégie d'ensemble à long terme qui exploite ses vulnérabilités. Ainsi va-t-on analyser divers moyens pour obliger la Russie à se déséquilibrer, en indiquant pour chacun les probabilités de succès, les bénéfices, les coûts et les risques pour les USA.
Les analystes de la Rand estiment que la plus grande vulnérabilité de la Russie est celle de son économie, due à sa forte dépendance par l'exportation de pétrole et de gaz, dont les recettes peuvent être réduites en alourdissant les sanctions et en augmentant l'exportation énergétique états-unienne. Il s'agit de faire en sorte que l'Europe diminue l'importation de gaz naturel russe, en le remplaçant par du gaz naturel liquéfié transporté par mer depuis d'autres pays.
Une autre façon de nuire dans le temps à l'économie de la Russie est d'encourager l'émigration de personnel qualifié, notamment des jeunes Russes avec un niveau élevé d'instruction. Dans le domaine idéologique et informatif, il faut encourager les contestations internes et en même temps miner l'image de la Russie à l'extérieur, en l'excluant de forums internationaux et en boycottant les événements sportifs internationaux qu'elle organise.
Dans le domaine géopolitique, armer l'Ukraine permet aux USA d'exploiter le point de plus grande vulnérabilité extérieure de la Russie, mais cela doit être calibré pour garder la Russie sous pression sans arriver à un grand conflit dans lequel elle aurait le dessus.
Dans le domaine militaire les USA peuvent avoir des bénéfices élevés, avec des coûts et des risques bas, par l'accroissement des forces terrestres des pays européens de l'Otan dans une fonction anti-Russie. Les USA peuvent avoir de hautes probabilités de succès et de forts bénéfices, avec des risques modérés, surtout en investissant majoritairement dans des bombardiers stratégiques et missiles d'attaque à longue portée dirigés contre la Russie.
Sortir du Traité FNI et déployer en Europe de nouveaux missiles nucléaires à portée intermédiaire pointés sur la Russie leur assure de hautes probabilités de succès, mais comporte aussi de hauts risques.
En calibrant chaque option pour obtenir l'effet désiré concluent les analystes de la Rand la Russie finira par payer le prix le plus haut dans la confrontation avec les USA, mais ceux-ci aussi devront investir de grosses ressources en les soustrayant à d'autres objectifs. Ils pré-annoncent ainsi une forte augmentation ultérieure de la dépense militaire USA/Otan aux dépens des dépenses sociales.
Voilà l'avenir que nous trace la Rand Corporation, le think tank le plus influent de l'État profond, c'est-à-dire du centre souterrain du pouvoir réel détenu par les oligarchies économiques, financières et militaires, celui qui détermine les choix stratégiques non seulement des USA mais de tout l'Occident.
Les « options » prévues par le plan ne sont en réalité que des variantes de la même stratégie de guerre, dont le prix en termes de sacrifices et de risques est payé par nous tous.
Traduction
Marie-Ange Patrizio
[1] Overextending and Unbalancing Russia. Assessing the Impact of Cost-Imposing Options, by James Dobbins, Raphael S. Cohen, Nathan Chandler, Bryan Frederick, Edward Geist, Paul DeLuca, Forrest E. Morgan, Howard J. Shatz, Brent Williams, Rand Corporation, May 2019.