© ludovic MARIN, AFP / ANNE-CHRISTINE POUJOULAT, AFP
Une nouvelle vague de journalistes ont été convoqués par la DGSI pour des révélations sur l'utilisation d'armes françaises au Yémen et sur l'affaire Benalla. Le camp présidentiel n'y voit aucune entrave à la liberté de la presse.
«Je suis très profondément attachée à la liberté d'informer» : la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye ne voit rien d'inquiétant dans la convocations de journalistes par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), dont la liste s'allonge.
Ces 22 et 23 mai, plusieurs nouveaux journalistes révélaient avoir été convoqués par la DGSI : 𝕏 Valentine Oberti, une journaliste de Quotidien pour une enquête sur les ventes d'armes françaises à l'Arabie saoudite ; un 𝕏 collaborateur du site Disclose qui devra être entendu le 28 mai prochain sur ce même dossier ; Ariane Chemin, grand reporter au journal Le Monde et Louis Dreyfus, président du directoire du journal, convoqués le 29 pour des articles sur les affaires Benalla.
Des convocations qui s'ajoutent à celles révélées mi-mai de deux journaliste de Disclose et d'un journaliste de la Cellule investigation de Radio France ayant enquêté sur l'exportation d'armes françaises utilisées au Yémen.
Sibeth Ndiaye assume parfaitement cette multiplication de convocations, qu'elle justifie au micro d'Europe 1 ce 23 mai en arguant que «les journalistes sont des justiciables comme les autres».
"Les journalistes sont des justiciables comme les autres. Il est normal qu'un État protège un certain nombre de données nécessaires à des activités de défense extérieure et militaires."@audrey_crespo #europe1
En ce qui concerne Arianne Chemin, la porte-parole du gouvernement explique ainsi qu'une plainte a été déposée par un «agent» à la suite d'un article de la journaliste sur les affaires Benalla. Dans un éditorial sur le sujet, le journal Le Monde précise que l'enquête vise notamment les informations publiées «sur le profil d'un sous-officier de l'armée de l'air, Chokri Wakrim, compagnon de l'ex-cheffe de la sécurité de Matignon, Marie-Élodie Poitout». Chokri Wakrim était lié par un contrat de protection rapprochée avec un homme d'affaires russe, qui a conduit à l'ouverture d'une enquête pour «corruption», rappelle Le Monde. «L'intérêt public suppose de pouvoir enquêter sur les entourages et les liens entretenus par des collaborateurs de l'Élysée ou de Matignon, quels que soient leurs parcours antérieurs», défend le quotidien.
L'Etat c'est l'Etat, et il y a des secrets qu'on doit aussi protéger
Dans la suite de son interview accordée à Europe 1, Sibeth Ndiaye justifie en outre la convocation des journalistes concernant les révélations sur l'utilisation des armes françaises vendues à Riyad, participant à la guerre au Yémen, en raison d'«une note classée secret défense qui s'est retrouvée dans la nature». «Il est normal qu'un Etat protège un certain nombre de données nécessaires à des activités de défense extérieure et militaires», fait-elle ainsi valoir, avant de ne laisser aucun doute sur la volonté du gouvernement de poursuivre dans cette voie : «Il faut qu'on soit capable d'aller chercher les choses.» Assurant malgré tout porter une attention particulière au secret des sources - qui est un droit des journalistes - Sibeth Ndiaye conclut dans le même registre : «Pour autant, l'Etat c'est l'Etat, et il y a des secrets qu'on doit aussi protéger.»
Faut-il comprendre que le public n'aurait pas dû être informé de l'utilisation par l'Arabie saoudite et par les Emirats arabes unis d'armes françaises au Yémen ?
Nathalie Loiseau : «En France on a la chance d'être dans un Etat de droit»
Lire aussi
Entendu par la DGSI sur ses révélations, Mathias Destal dénonce une «intimidation» (VIDEO)
Face à la nouvelle polémique qui se dessine pour la majorité, Nathalie Loiseau, tête de liste de la majorité présidnetielle pour les européennes, a de son côté concédé suite à la convocation d'Arianne Chemin devant la DGSI, que «ça [faisait] beaucoup». Tout en suivant la ligne de défense établie par Sibeth Ndiaye sur ce dossier, Nathalie Loiseau a fait part de sa «conviction du devoir de vigilance extrême sur la protection de la liberté de la presse, des sources».
Alors que c'est la France qui est concernée, elle a jugé qu'il existait «clairement en Europe» un danger pour la liberté de la presse, citant la Hongrie, la Pologne, où «les extrémistes veulent [sa] peau». «En France on a la chance d'être dans un Etat de droit», a-t-elle conclu sans donner son sentiment sur les convocations de la DGSI de journalistes qui enquêtaient sur l'exportation d'armes françaises utilisées au Yémen.
Des sociétés de journalistes mettent en garde contre une «épée de Damoclès» compromettant les enquêtes
Dans le classement établit par Reporter sans frontières en 2019 - avant ces révélations - la France se situe au 32e rang mondial. A titre d'exemple, la Pologne pointée du doigt par Nathalie Loiseau est au 59e rang, la Hongrie au 87e. Or, les syndicats de journalistes en France s'inquiètent d'une dégradation de la liberté de la presse. «La DGSI va-t-elle se mettre à convoquer tous les journalistes qui révèlent des informations qui ne plaisent pas au pouvoir en place?», s'est ainsi interrogé le SNJ. La CFDT-Journalistes a dénoncé pour sa part «une procédure dont le but inavoué est de faire taire les journalistes dans l'exercice de leur mission d'informer», et le SNJ-CGT y a vu un «nouveau coup de canif insupportable contre le journalisme et la liberté d'informer».
Et un collectif d'une trentaine de sociétés des journalistes (SDJ), dont celles de l'AFP, de conclure : «Le secret-défense ne saurait être opposé au droit à l'information, indispensable à un débat public digne de ce nom, ni servir d'épée de Damoclès pour dissuader les journalistes d'enquêter.»
Lire aussi : Une journaliste du Monde convoquée par la DGSI pour ses articles sur l'affaire Benalla