Par Bill Van Auken
24 mai 2019
Washington menace une fois de plus la Syrie d'une attaque militaire en raison de l'utilisation présumée d'armes chimiques par le gouvernement du président Bachar al-Assad.
Si elle était exécutée, cette attaque serait la troisième en autant d'années par l'administration Trump, qui a fait pleuvoir des missiles sur le pays ravagé par la guerre en avril 2017 et en avril 2018 en utilisant comme prétexte des allégations non fondées d'utilisation d'armes chimiques.
La dernière menace a été publiée sous la forme d'une déclaration de Morgan Ortagus, récemment nommée porte-parole du département d'État, recrutée, comme son prédécesseur, dans l'écurie des commentateurs de Fox News de droite. «Nous réitérons notre avertissement selon lequel si le régime d'Assad utilise des armes chimiques, les États-Unis et leurs alliés réagiront rapidement et de manière appropriée», a déclaré le communiqué.
Le dernier incident aurait eu lieu dans la province d'Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie, sur un territoire dominé par la milice Hay'at Tahrir al-Sham, la dernière incarnation du Front Al Nusra, la filiale syrienne d'Al-Qaïda. Les troupes syriennes et les milices alliées soutenues par la force aérienne russe ont mené une bataille contre les forces islamistes ces dernières semaines.
Washington craint que si Damas réaffirme le contrôle du gouvernement sur la province, cela signifierait la fin de la guerre de près de huit ans pour un changement de régime soutenue par les États-Unis et leurs alliés de l'OTAN et de la région, en particulier l'Arabie saoudite et Israël. Cette guerre a déjà fait des centaines de milliers de victimes et des millions de réfugiés.
Alors que les États-Unis ont lancé une intervention militaire directe en Syrie en 2014, menant des frappes aériennes dévastatrices et envoyant 2000 soldats sous prétexte de combattre le groupe État islamique (EI) et de mener la «guerre contre le terrorisme», ils menacent maintenant de lancer des attaques visant à sauver les derniers bastions d'Al-Qaïda en Syrie.
Le prétexte selon lequel Washington s'inquiète des pertes civiles est clairement absurde. Il n'y a pas eu de tels scrupules lorsque des avions de combat et des obusiers américains ont réduit la ville syrienne de Raqqa en ruines, tuant des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants, sans parler du nombre beaucoup plus élevé de civils tués dans un siège américain similaire de Mossoul, autrefois la deuxième ville d'Irak en importance.
La menace d'une nouvelle intervention en Syrie s'inscrit dans le contexte d'un renforcement militaire massif des forces américaines dans le golfe Persique dirigé contre l'Iran, principal allié régional de Damas. Le Pentagone a envoyé un groupe aéronaval au large des côtes iraniennes. Il a été rejoint par une force opérationnelle de bombardiers, y compris des B-52 à capacité nucléaire, ainsi que par des navires de guerre d'assaut amphibies transportant des contingents de marines américains et une batterie de missiles Patriot.
Le Pentagone, brandissant la menace non dissimulée d'une invasion directe, a élaboré des plans de guerre prévoyant l'envoi de 120.000 soldats américains dans la région, une force expéditionnaire de taille similaire à celle qui avait été mobilisée en préparation de l'invasion de l'Irak en 2003.
Ce que l'impérialisme américain apporte une fois de plus au Moyen-Orient, c'est une guerre en quête d'un prétexte, réel ou fabriqué.
Tout de suite après que l'Iran a été accusé d'avoir saboté des pétroliers au large des côtes des Émirats arabes unis, il y a maintenant des allégations selon lesquelles une milice irakienne soutenue par l'Iran serait à l'origine d'une roquette perdue qui aurait atterri dans la zone verte très fortifiée de Bagdad, à environ 500 kilomètres de l'ambassade des États-Unis. Téhéran a également été accusé pour les attaques de drones par les rebelles yéménites houthis sur les installations saoudiennes en représailles de la guerre quasi génocidaire de Riyad contre le pays arabe le plus pauvre du monde.
Et, bien sûr, il reste les allégations sans fondement des États-Unis selon lesquelles l'Iran cherche à se doter d'armes nucléaires, allégations qui ont servi à justifier l'annulation par l'administration Trump de l'accord nucléaire iranien de 2015 et l'imposition de sanctions économiques brutales qui équivalent à un état de guerre.
N'ayant toujours pas réussi à faire réagir militairement l'Iran à ses provocations incessantes, Washington semble maintenant être en train de préparer un nouveau front en ravivant sa guerre contre la Syrie.
Dans sa menace de représailles contre l'utilisation présumée d'armes chimiques, le département d'État américain a lancé mardi une mise en garde contre une «campagne de désinformation du régime Assad et de la Russie visant à créer le faux récit selon lequel d'autres seraient responsables des attaques avec armes chimiques perpétrées par le régime Assad lui-même».
Ce passage a apparemment été inclus dans une large mesure en raison de la fuite d'un document préparé par un éminent enquêteur de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), qui a totalement discrédité l'histoire officielle concernant l'attaque présumée aux armes chimiques dans la banlieue de Damas, à Douma, qui a servi de prétexte à la dernière attaque américaine, britannique et française de missiles en avril 2018.
Le rapport a analysé les bouteilles de gaz qui auraient été larguées par un avion du gouvernement syrien sur le toit d'un immeuble à appartements, causant la mort de 49 personnes.
«Les dimensions, les caractéristiques et l'apparence des cylindres, ainsi que la scène environnante des incidents, n'étaient pas conformes à ce à quoi on aurait pu s'attendre si l'une ou l'autre des bouteilles avait été larguée par un avion», indique le rapport. Il ajoute que le placement manuel des cylindres là où les enquêteurs les ont trouvés est «la seule explication plausible de la scène que nous avons observée». Comme la scène était sous le contrôle des milices liées à Al-Qaïda, cela signifie que ce sont elles, et non le gouvernement de Damas, qui sont responsables de l'incident et des morts.
Ce rapport, auquel le département d'État fait obliquement référence, a été soigneusement ignoré par les médias capitalistes. Le New York Times, donnant le ton au reste de la presse, régurgite longuement les allégations de Mme Ortagus, mais censure rigoureusement la preuve que les affirmations de Washington sur les armes chimiques sont des mensonges.
Il n'y a rien de nouveau là-dedans. Immédiatement après l'incident de Douma, en avril 2018, Robert Fisk, le célèbre correspondant britannique pour le Moyen-Orient, s'est rendu sur les lieux et a interviewé des médecins dans une clinique médicale où des vidéos largement diffusées ont été tournées montrant des enfants arrosés à l'eau, prétendument pour soulager une intoxication par gaz toxiques. Ils lui ont dit que la scène avait été mise en scène par les «Casques blancs» financés par l'Occident et que personne souffrant d'un empoisonnement au gaz n'était venu à la clinique.
Le récit de Fisk, ainsi que d'autres preuves établissant que l'incident de Douma était une fabrication destinée à justifier une attaque dirigée par les États-Unis contre la Syrie, ont été ignorés par les autres médias capitalistes, qui agissaient comme une agence de propagande du Pentagone.
Il y a eu la même réaction en 2017 aux preuves présentées par le journaliste d'investigation chevronné Seymour Hersh qui montraient qu'une attaque présumée au moyen d'armes chimiques contre le village de Khan Sheikhoun dans la province d'Idlib était en fait une attaque classique contre un groupe de miliciens liés à Al-Qaïda pour laquelle l'armée russe avait préalablement obtenu l'autorisation auprès du Pentagone. Néanmoins, l'administration Trump l'a utilisée comme prétexte pour lancer 59 missiles de croisière Tomahawk en Syrie, tuant neuf civils.
Le Parti démocrate a soutenu les deux précédentes frappes de missiles sur la Syrie et soutiendra sans aucun doute une nouvelle frappe. Devant la menace du département d'État, les membres du Congrès et les sénateurs démocrates se sont joints à eux pour appuyer une lettre adressée à M. Trump, signée par 400 membres des deux chambres législatives, demandant à la Maison-Blanche «d'accroître la pression sur l'Iran et la Russie en ce qui concerne les activités en Syrie».
Quels que soient les doutes que les démocrates ont exprimés au sujet du tweet apocalyptique de Trump menaçant une «fin officielle» à l'Iran, ils encouragent une politique qui dresserait les troupes américaines en Syrie contre l'Iran et la Russie, une puissance nucléaire, en poursuivant la guerre illégale de changement de régime.
De même, la pseudo-gauche, des Democratic Socialists of America à l'International Socialist Organization dissoute, travaille de concert avec le Parti démocrate et l'appareil militaire et de renseignement américain. Ils cherchent à créer une base ostensiblement libérale en faveur de la guerre parmi les couches privilégiées de la classe moyenne avec des invocations des «droits de l'homme» et une tentative de vendre la guerre de la CIA pour un changement de régime comme une sorte de «révolution démocratique».
Leurs positions politiques sont l'expression «de gauche» de l'implacable volonté de l'impérialisme américain de surmonter par des moyens militaires le déclin de son hégémonie mondiale. Il s'agit notamment d'une tentative effrénée d'affirmer sa domination des gisements pétroliers mondiaux, de l'Iran au Venezuela, en prenant le contrôle des ressources nécessaires à son principal rival mondial, la Chine.
Les menaces contre la Syrie et les préparatifs de la guerre contre l'Iran constituent le danger d'une troisième guerre mondiale. Cependant, la même crise du capitalisme américain et mondial qui engendre ce danger produit son contraire: la croissance de la lutte de classe et la maturation des conditions objectives de la révolution socialiste. La tâche la plus urgente est le développement d'un mouvement politique de masse de la classe ouvrière contre la guerre et sa source, le système capitaliste.
(Article paru en anglais le 23 mai 2019)