02/06/2019 legrandsoir.info  13 min #157248

Revers électoral pour Macron

Apocalypse now ? Retour sur les élections européennes 2019


Benedikt ARDEN

Les élections européennes étant maintenant derrière nous, il nous est enfin possible d'en faire le bilan. Je ne vais pas rappeler dans le détail l'ensemble des résultats de la soirée du 26 mai ( ceux-ci sont disponibles ici), mais je vais quand même en rappeler l'essentiel.

En tête, le Rassemblement national (RN), avec 23,33%. Vient ensuite La République en marche ! (LREM), avec 22,41%. En troisième place, Europe Écologie Les Verts (EELV) avec 13,48%. En 4e position, Les républicains (LR), avec 8,48%. Viennent ensuite La France insoumise (FI) avec 6,31% et le Parti socialiste (PS) avec 6,19%.

En résumé, le parti présidentiel rate son pari de « faire barrage » à l'extrême droite et passe deuxième. Ensuite, nette montée de EELV et grosse défaite pour les Républicains et la FI. Comme je le mentionnais dans mon  1er article sur ces élections, les résultats n'ont pas tellement d'importance, puisque les députés européens n'ont a peu près pas de pouvoirs politiques (1). Si ce n'est de bloquer les traités de libre-échange et autres avancés néolibérales, s'ils sont suffisamment nombreux bien sûr. Ce qui (notons-le) n'aurait pas été le cas, même avec une FI en tête.

Les députés n'ont donc absolument pas « le pouvoir de diriger l'Europe », comme l'a si franchement exprimé l'ancien président français, Valéry Giscard d'Estaing. Les élections européennes sont donc beaucoup plus un sondage grandeur nature, qu'autre chose. Cela étant dit, ce « sondage » comporte néanmoins un grand intérêt pour anticiper les stratégies futures qui auront lieu lors des prochains scrutins nationaux, qui eux comptent beaucoup plus.

Pour ce qui est de ces stratégies, les résultats de ces élections risquent de peser assez lourd, puisque contrairement à ce qu'on pourrait croire, le parti présidentiel ne sort pas vraiment perdant de ces élections, même s'il avait probablement préféré arriver devant le RN. Comme vous le savez, les élections européennes se font au scrutin proportionnel à un tour, c'est pourquoi le mot d'ordre de « faire barrage au RN » était ridicule dans les circonstances. Cependant, la nouvelle dichotomie entre « progressiste VS populiste », voulue par LREM et confirmée dans les votes, s'interprète différemment dans les élections à deux tours, car le RN reste encore le parti le plus détesté de France, même s'il est aussi visiblement le 1er ! C'est pour cette raison que le parti présidentiel a tout intérêt (enfin, à court terme) à ce que sa principale opposition soit l'extrême droite, plutôt que la gauche.

Tant que l'électorat de gauche restera suffisamment divisé, le parti présidentiel pourra compter sur un réservoir de voix suffisant pour se maintenir au pouvoir et ceci, peu importe la violence sociale de ses politiques. En réalité, le système politique français est ainsi fait que le RN doit à lui seul obtenir un score de plus de 50% pour arriver au pouvoir. Mais justement, il est bien possible que la violence politique du parti présidentiel devienne telle que le RN finisse par défoncer ce fameux plafond de verre, même si ce n'est pas encore demain la veille.

Cela est peut-être dur à encaisser pour la gauche radicale, mais le RN est aussi le parti politique le plus populaire chez les  pauvres et les ouvriers. À l'inverse, LREM est le parti le plus populaire chez les retraités, les cadres et (surtout) les plus riches ! Le clivage actuel est donc incontestablement un clivage de classes, même si les initiés savent pertinemment que le RN est encore moins « social » que le PS (2). Il est donc particulièrement urgent de combattre le RN sur cette base et non pas sur le vieil antifascisme défraichi que les macronistes usent et abusent depuis le début, dans leur communication. La meilleure façon de faire une politique de droite est encore de la prétendre de « gauche », mais encore faut-il que cette politique s'oppose à une droite plus dure du point de vue identitaire pour que le stratagème fonctionne, ce que le RN incarne à merveille.

Pour en revenir avec l'analyse du vote, je faisais l'hypothèse, dans mon article d'avant campagne, que la tendance actuelle irait au détriment du parti « Les Républicains », puisque le RN visait cet électorat. Une  enquête postélectorale de l'institut IPSOS nous révèle qu'il en fut ainsi pour 18% de l'ancien électorat LR, ce qui était prévisible. Cependant, la raison qui explique le mieux l'effondrement du parti de droite (3) reste un incroyable report de ses voix vers la liste machiniste (27%). Il s'agit incontestablement de son électorat retraité et centriste comme l'enquête le révèle, tandis que son aile identitaire et xénophobe s'est donnée corps et âme au RN. En somme, c'est 45% de voix en moins pour l'ancien parti de Sarkozy et de Chirac, ce qui le mène à la marginalité.

Pour ce qui est du score de EELV, lui aussi s'explique facilement. Si nous nous référons bien à l'étude citée plus haut, le score proviendrait pour une bonne part d'un report de voix issue du PS (24%) ainsi que de l'aile « gauche » de LREM (14%). Celles probablement déçues par sa politique anti écologique. Politique justement incarnée par la démission de Nicolas Hulot. En fait, c'est la politique du président qui explique en grande partie ces résultats, car sa politique de répression contre les « gilets jaunes » et ses réformes néolibérales ont drainé vers lui une bonne part de l'électorat de droite et on fait fuir une partie de son aile gauche au profit de EELV (4). Ce dernier étant aussi volontaire sur la question de l'Union européenne que LREM, il est assez facile d'apercevoir les passerelles entre ces partis, d'autant plus que son représentant ne présente pas vraiment son parti comme de gauche, puisqu'il adopte, lui aussi, une rhétorique «  ni gauche ni droite ». Comme le RN et LREM en fin de compte...

Pour ce qui est de la France insoumise, la défaite est au moins aussi grande que celle de la droite. Cela était prévisible, mais elle l'a été bien plus que prévue. À mon avis, la défaite est à lier à plusieurs facteurs, dont le changement de stratégie reste le plus évident. Le souhait plus ou moins officiel de prendre le monopole à gauche est à l'origine d'une communication beaucoup trop axée sur l'électorat PS/EELV, qui s'est avéré un échec complet. Non seulement cet électorat n'a pas rejoint la FI, mais elle lui a également fait perdre une partie de son électorat souverainiste au profit de l'abstention et du RN (4% !)... Ce qui est à l'origine du score de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle était le « populisme de gauche » à la PODEMOS, voire à la Chavez, avec un fort accent souverainiste et eurosceptique. Flatter l'électorat eurobéat me semble donc la principale erreur.

Ensuite, je noterai quelques autres points qui ont aussi fortement pesé sur la défaite de la FI. En premier lieu, la liste concurrente du parti communiste français (PCF) qui lui a fait plus ou moins directement perdre 2,4%. Rappelons que le score du Front de gauche aux élections européennes de 2014 (6,61%) incluait le PCF. Ensuite, est-il utile de rappeler toute la  répression politique qu'a subi la FI ? Sans compter les  polémiques idiotes sur le cas de Jean-Luc Mélenchon ainsi que la mauvaise gestion des conflits internes, sans compter les défections de  plusieurs représentants de leur aile souverainiste.

En dernier lieu, notons que l'abstention, qui a surtout touché les  plus jeunes, a principalement touché la France insoumise.  Selon l'IPSOS, l'électorat principal de Mélenchon lors de l'élection présidentielle de 2017 était les jeunes de 18-24 ans, qui ont votés FI à 30% ainsi que les chômeurs, qui sont à 31%. Selon notre étude sociologique des élections européennes, 53% des abstentionnistes sont des chômeurs et 61% sont dans la catégorie des 18-24 ans. La preuve n'est pas hors de tout doute, mais gageons qu'une bonne partie des électeurs de la FI se sont abstenus. Ceci, d'autant plus que certains groupes, qui ont soutenu la candidature de Jean-Luc Mélenchon en 2017, ont appelé au boycottage de l'élection afin de ne pas « valider l'institution » !

À ce sujet (le boycottage), notons que le résultat concret de ceux qui pensaient défendre la « lutte des classes » et la sortie de l'UE à son paroxysme par «  l'abstention citoyenne » ont au moins indirectement participé à la victoire du RN et de Macron, ainsi qu'au sabotage de leur principale opposition progressiste... Enfin, la « politique du boycott » à ses raisons que la raison ignore ! Et pour les plus « léninistes » d'entre eux, je les renvoierai à ce qu'en  écrivait justement Lénine en son temps (et qui est encore tout à fait valable aujourd'hui).

En conclusion, je crois qu'il est pertinent comme jamais que la France insoumise renoue avec sa stratégie de 2017. Si une leçon peut être tirée de ces élections, c'est bien l'inefficacité de l'union des gauches, puisqu'une bonne partie d'entre elles reste perdue dans leur  rêve européiste. L'expérience le démontre, cette « gauche » se vendra à droite plutôt que d'accepter la réalité de l'UE, alors il est inutile de changer sa communication et son programme pour elle. Le programme de la FI était le plus révolutionnaire des programmes envisageables à court terme. Pour mettre en place ce programme, il faut certes sortir des traités européens, mais sans faire croire pour autant que cette sortie soit autre chose qu'une sortie l'Union européenne tout court, puisque la substance de l'UE est justement ces traités. Comme sortir de n'importe quels traités de libre-échange implique nécessairement de sortir de l'institution qui la gère.

J'espère que la France insoumise saura relever le défi, car, de son exemple, impliquera beaucoup dans les autres pays. Mêmes pour ceux qui vivent et luttent hors d'Europe, comme chez nous au Québec.

Salut internationaliste à mes amis français et bonne chance !

Benedikt Arden (fin mai 2019)

[1] C'est aussi pour cette raison que je ne traiterai pas des résultats en dehors de France.
[2] Ironiquement, le parti socialiste a été lourdement sanctionné par ce même électorat et pour la même raison.
[3] Rappelons que ce parti avait relativement survécu au désastre des législatives, contrairement au PS.
[4] En somme, LREM a perdu des plumes à gauche, mais en a retrouvé à droite.

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